Artistes camerounais : Ces clashs qui font le buzz
CAMEROUN :: MUSIQUE

Artistes Camerounais : Ces Clashs Qui Font Le Buzz :: Cameroon

Les récentes attaques en règle du chanteur Longuè Longuè contre ses congénères ravivent de vieux souvenirs. Et en la matière nos stars sont loin d’avoir inventé la poudre. Le conflit fait toujours vendre mais encore faut-il être prêt à en payer le prix.

Ce soir de septembre 1998, Petit Pays est annoncé en spectacle au cinéma théâtre Abbia. Au faîte de son art, l’artiste peut faire 05 fois le plein de cette salle. Mais les organisateurs lui ont adjoint un certain Jean Pierre Essome pour le lever de rideaux. Essome a le vent en poupe et compte démontrer qu’il peut donner la réplique au « Turbo d’Afrique ». Il se présente sur scène vers 22h et déroule son répertoire devant un public admiratif. Ses pas de danses figés ne déplaisent point. Sa voix grave est noyée dans la cohue. Essome chante, ravi de marquer ainsi son territoire. Puis il est stoppé net dans son élan.

De l’arrière de la salle surgit, tel un diable de sa boite, un Petit Pays que personne n’attend à cette heure. L’homme se dresse impassible, suscitant l’hystérie du public qui se met à hurler son nom. L’intermède ne dure que 2 minutes mais le mal est fait. L’invité surprise a enrayé la partition de celui qui tenait la scène. Prié de vider les lieux par un public devenu hostile, Essome tentera une résistance avant de s’éclipser une dizaine de minutes plus tard. Triomphant, Petit Pays viendra alors promener son monde dans ses mélodies échevelées et osées. Entre deux chansons, il va même s’attaquer de manière frontale à celui qui l’a précédé.

« N’achetez pas son album, c’est un cuisinier », dira-t-il pour moquer l’expertise musicale d’un Jean Pierre Essome qui était alors en service à l’Hôtel Mont Febe de Yaoundé. Le chanteur populaire reprochait à son rival d’un jour de s’être glissé dans l’affiche du spectacle pour oser contester son hégémonie. La guerre était ouverte. Plus tard, Essome accusera Petit Pays d’avoir plagié le titre d’une de ses chansons intitulée « Coup d’Etat ».

Guerre de leadership

Aujourd’hui encore, les deux hommes se détestent cordialement. Et Essome n’est pas le seul à honnir celui qui se fait aussi appeler « Rabba Rabi ». Certains anciens membres de son groupe, les Sans-Visas, ne jurent que par sa déchéance. Sammy Diko résume à lui seul cette rupture brutale avec le maitre que certains assimilent à un parricide. Depuis 20 ans il n’a pas parlé à Petit Pays qui lui a pourtant mis le pied à l’étrier dans le monde du show-biz. « On a affaire ici à un maitre qui a été gêné par l’ascension de son élève et à un élève qui n’a pas voulu respecter son maitre », analyse Alain Dexter, animateur de programmes culturels sur la Crtv.

Guerre de leadership donc, bataille pour affirmer sa primauté. Et  encore...Allez donc comprendre pourquoi Sergeo Polo et Njorreur qui ont signé l’un des duos les plus retentissants de de l’histoire de la musique camerounaise (« le mari d’autrui », 1997) sont au- jourd’hui incapables de se serrer la main. On parle d’une dispute sur la paternité d’un titre à succès qui aurait finalement été composé par un troisième larron : Hugo Nyamè. Une dispute qui rappelle la chaude explication entre Papillon et le duo Epee et Koum qui se sont brouillés autour du titre « l’amour et la misère » qu’ils tous interprété en 1993.

Longuè Longuè se déchaine

Tout récemment encore, Longuè Longuè qui semble s’être découvert une vocation d’animateur de réseaux sociaux a vertement tancé le sulfureux chanteur.  « Petit Pays c’est un tricheur », a- t-il martelé avant d’expliquer les raisons de son courroux. « Quand j’ai eu des problèmes Il a dit que je ne respectais pas la nature, alors je lui rends la monnaie », plaide en substance l’auteur de Ayo Africa. Déchainé, Longuè Longuè ne s’arrête pas là. Il donne rendez-vous pour des directs où il passe ses congénères à la moulinette. Ndedi Eyango est  traité d’escroc, Lady Ponce d’illettrée. L’une des victimes notables est le comédien Fingon Tralala.

« Il a volé ma chaine, qu’il me la rende », vocifère-t-il. Piqué au vif, Fingon répond comme un berger à la bergère. « C’est un violeur qui a été condamné pour des faits avérés ; c’est en plus un voleur qui a dérobé une montre devant moi ici à Paris, il m’a appris à « sauter » le métro en France ». Les mélodies sifflent... dans les canniveaux. Si pour le clash entre Petit Pays et Jean Pierre Essome l’on avait affaire à une querelle de leadership, la confrontation qui oppose Longuè Longuè à Fingon  est clairement une bataille de chif- fonniers comme le milieu artistique camerounais sait en produire. « Ce sont souvent des amis qui se querellent pour des questions privées, c’est par exemple le  cas entre  Sergeo Polo et Mani  Bella qui ne se parlent plus aujourd’hui alors qu’ils étaient les  meilleurs amis du monde », constate Alain Dexter.

Polémiquer pour mieux vendre

Et des exemples abondent dans ce sens. En aout 2015 Mani Bella a assigné en justice Chantal Ayissi auprès d’un tribunal parisien accusant cette dernière d’injures, de diffamation et  de menace de mort. Chantal Ayissi n’aurait pas apprécié que cette dernière se rende à un événement organisé à Paris par son frère Imane avec qui elle serait en froid. Nos artistes se crêpent aussi le chignon pour des raisons affectives quand ce ne sont pas simplement des histoires d’amour qui tournent au vinaigre. Rappelez-vous du fameux titre « le mari de ma femme » (2001) d’un Romeo Dicka excédé par les infidélités de son épouse Chantal Ayissi qui avait fini par le laisser à quai. Le déballage avait alors eu lieu en public, dans les radios urbaines du Cameroun. Chantal Ayissi taxait son ex-mari de sorcier quand ce dernier la remerciait d’avoir boosté les ventes de son album avec ses accusations. « Il y a toujours derrières ces polémiques un succès quasiment assuré, note Alain Dexter.

Le prochain Longuè Longuè sera  probablement un best-seller », anticipe-t-il. Pas si sûr, rétorque Cyrille Bojiko, le promoteur de Radio Bala- fon à Douala. « Certains artistes  qui ont commencé cette guerre depuis n’ont plus jamais eu de succès. À ce moment, tu deviens la risée de la société. Ceux qui achètent les disques sont ceux qui ont le pouvoir d’achat. Ce sont des gens réfléchis. Lorsque vous êtes devenus vulgaire et même ridicule sur les réseaux sociaux ou dans les médias, vous n’avez plus de public. Qui pourrait acheter le billet de spectacle de quelqu’un qui insulte les gens en public. C’est la fin de la carrière ».

D’autant qu’après il faut, comme le souligne Dexter, « assumer ces attaques contre d’autres musiciens, assumer le fait qu’on embrasse des gamines devant la caméra ». Alors, faut-il pour autant désespérer de notre scène musicale qui multiplie ainsi des clashs à l’envie. « Mais non !, répond vigoureusement Alain Dexter, cela fait partie du show-Bizz. Regardez les confrontations entre rappeurs aux Etats-Unis, regardez la guerre entre Dj Arafat et Debordo en Côte d’Ivoire ou encore entre Koffi et son fils Fally au Congo.

Ça crée le buzz et ça fait vendre mais il faut éviter de sombrer dans le ridicule ». Un propos encore relativisé par Cyrille Bojiko : « Ailleurs, cela faisait vendre les disques parce que les modèles correspondent à une génération de public et à une époque précise. Aux Etats-Unis, on fait souvent ce genre de buzz à la veille de la sortie d’un disque. Le public se dit qu’à travers la  chanson, il peut écouter les règlements de compte qui se trouvent  à l’intérieur de la musique.

Ce sont des gens qui veulent rester dans l’actualité mais qui finiront par se fatiguer à un moment donné. Car, il n’y aura plus d’énergies ou de nouvelles croustillantes », explique-t-il. Pour Bojiko, ces confrontations sont surtout le fait « des artistes qui ont eu un certain succès. Ceux qui le sont toujours ne le feront pas. À l’exemple des plus jeunes comme Daphné, Locko, Salatiel, Mr Leo car ils sont toujours dans la plénitude de leurs succès ».

On veut bien le croire. Sauf qu’un certain Mink’s qui est l’un des rappeurs à la mode a fait son  entrée sur la scène musicale camerounaise en signant un « le gars-là est laid » adressé à son ami et rival Franko. « Je sais je suis laid mais j’ai les do. Je sais je suis laid mais j’ai embarqué ta go », lui a répondu Franko dans un single sorti en aout 2016 dans la foulée du succès mondial de « coller la petite ». « Le rap clash à la camerounaise, ce n’est ni du Baudelaire, ni du Senghor, mais cela fait parler, cliquer... et danser », écrivait alors Mathieu Olivier de Jeune Afrique. Se réclamant de la « génération Petit Pays », nos deux jeunes chanteurs ont d’ailleurs de qui tenir.

Lire aussi dans la rubrique MUSIQUE

Les + récents

partenaire

canal de vie

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo