Célestin Tawamba : « L’entreprise mérite des égards particuliers de la part des pouvoirs publics »
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Lundi dernier, 9 octobre, cela faisait 100 jours qu’il a été porté à la tête du GICAM. Au milieu de nombreux chantiers guidés par un discours programme ambitieux, il dresse un bilan d’étape.

Monsieur le Président, trois mois se sont déjà  écoulés depuis votre élection le 29 juin 2017 à la tête  du GICAM. Quels résultats  concrets pouvez-vous déjà  mettre à votre actif ?
Ecoutez… Vous ne penserez tout de même pas que je tiens  une comptabilité d’actions que  j’inscris à mon actif. Une telle  démarche ne participe ni de  mon éthique, ni de l’esprit qui  anime le bureau nouvellement  élu pour diriger le GICAM. Nous  avons la modestie de penser  que nous nous investissons  quotidiennement et résolument, depuis l’entame de  notre mandat, dans la mise  en œuvre d’un programme et  d’un plan d’actions massivement  approuvés par nos adhérents.  

Certaines actions ont connu  un large écho auprès de l’opinion publique, à l’exemple du  remboursement partiel de la  dette due par l’Etat aux entreprises ou de nos points de  vue sur l’économie camerounaise, la fiscalité, le climat des  affaires ou la relation avec le FMI. D’autres en revanche sont  moins médiatiques quoique très  importantes, à l’image du vaste  chantier des réformes institutionnelles au sein du GICAM,  de la réflexion et des propositions sur la prochaine loi de  Finances, la mise en place d’une  fiscalité de développement, la  production d’un livre blanc de  l’économie camerounaise. Nous  nous employons par ailleurs au  regroupement et à l’unité du  patronat, autant qu’à l’amé- lioration des relations entre  le secteur public et le secteur  privé. Ces premiers jours sont  certainement porteurs de promesses quant à la tenue de nos  engagements mais quoi qu’il  en soit, c’est à nos adhérents  que nous devons un compte  rendu circonstancié en vue de  recueillir leurs préoccupations  et suggestions.

Vous avez pris les commandes du GICAM dans  un contexte où l’économie  camerounaise est affectée  depuis trois ans déjà, par  la chute des cours des  matières premières et  l’insécurité aux frontières.  Comment cette conjoncture défavorable affectet-elle vos entreprises en  particulier et les performances du secteur privé en  général ?
Vous avez raison de pointer du doigt ces contraintes exogènes  qui handicapent considérablement l’activité de nos entreprises et plus généralement  les performances de notre économie. Il n’est un secret pour  personne que l’Etat constitue  dans ce pays, le premier opérateur économique et que de  très nombreuses entreprises,  dont une majorité de PME, en  sont les partenaires privilégiés.  Ces entreprises sont directement affectées par la baisse  drastique de la trésorerie de  l’Etat, du fait de la diminution  des importantes recettes liées  aux matières premières: accumulation des dettes liées au  non-paiement des prestations  et retards dans le remboursement des crédits de TVA,  baisse des marchés publics  et de la sous-traitance, la  baisse du compte de réserve  de change occasionnant des  retards dans l’exécution des  transferts internationaux et  l’accentuation conséquente  des contrôles fiscaux, notamment en quête de ressources  fiscales complémentaires, entre  autres. Par ailleurs, la persistance de l’insécurité aux frontières, particulièrement dans  le Nord et l’Est du pays, doit  être analysée comme facteur  de très lourdes pertes pour les  entreprises qui perdent de très  larges parts du marché national  et sous-régional. L’acheminement et l’écoulement de nos  produits dans le grand nord  et vers le Tchad, le Nigeria ou  le Soudan est aujourd’hui une  véritable gageure. Ce qui est  source de très grosses pertes.  L’insécurité en Centrafrique  grève les entreprises camerounaises d’importantes parts  de marchés. A cela s’ajoute  naturellement les conséquences  du ralentissement des activités  économiques dans les régions  du Sud-ouest et du Nord-ouest  de notre pays. D’où un réel  climat de morosité affectant  le secteur privé camerounais.  Il n’est guère possible pour  l’heure d’avoir une estimation  chiffrée des pertes engrangées  par toutes ces crises sécuritaires, mais le GICAM se fera fort de présenter une étude  sur la situation de l’économie  camerounaise telle que perçu  par le secteur privé.  

Nous sommes rentrés depuis le mois d’août dernier  dans la mise en œuvre  de la deuxième phase de  l’APE d’étape, qui lie le  Cameroun à l’Union européenne. Au stade actuel de  la mise en œuvre de cet accord, quels commentaires  pouvez-vous faire de son  apport réel sur l’économie  nationale en général, et  sur les performances des  entreprises en particulier ?  
Il me semble prématuré de dresser un bilan de l’APE Cameroun-Union européenne. La  seconde phase de démantèlement des droits de douanes  sur les biens européens est  intervenue le 4 août dernier.  Celle-ci ne porte pas sur des  produits finis, en l’occurrence  ceux fabriqués localement, mais davantage les intrants  de production et certains équipements. Ce démantèlement  est synonyme de baisse de coût  à l’importation de ces intrants  ou ces équipements par l’entreprise. Cela constitue une  bonne évolution. Cependant,  cette perspective se traduit  par des pertes fiscales pour le budget de l’Etat. Cela nous  fait naturellement craindre  des risques d’augmentation  de la pression fiscale sur les  entreprises citoyennes, afin de  compenser ces manquements.  Nous veillerons toutefois à ce  que ce transfert de charge ne  puisse pas se réaliser, si cela  venait à s’imposer comme tel.  Dans tous les cas, nous pouvons noter que les entreprises  n’arrivent pas encore à tirer un  réel profit des avantages que  pourraient leur procurer les  APE. Nous prévoyons, dans les  prochaines semaines, engager  des séances d’appropriation  et de partage sur ces accords  avec nos membres, afin d’en  tirer le meilleur parti.

Que pensez-vous du retour au Programme économique et financier triennal  conclu par le Cameroun  avec le FMI, 11 années  après qu’on en soit sorti  et de l’appui qu’apporte  cette institution à la zone  CEMAC ?
D’abord, le recours à de nouveaux financements auprès du  FMI suggère que des leçons  ont été insuffisamment tirées  sur le précédent Programme  et que les nouvelles marges  de manœuvre qui ont résulté du désendettement massif  PPTE n’auraient pas toujours  été utilisées de manière optimale bien qu’on peut y rajouter les crises exogènes citées  précédemment. C’est préoccupant ! Les raisons du retour   de ces pays au FMI sont bien  connues à savoir notamment  la baisse du cours du pétrole ainsi que les crises sécuritaires  qui secouent nos régions entrainant une baisse du compte  de réserve de change. Je peux  cependant déplorer le faible  montant de l’aide du FMI à  toute la zone CEMAC compte  tenu des enjeux comparativement à l’appui qu’il apporte  dans d’autres pays en difficulté.  Tenez par exemple, la Grèce,  pour un PIB de 180 milliards  d’euros a bénéficié d’une aide  de 312 milliards soit un taux de  173% et une croissance de 0%,  tandis que la zone CEMAC pour  un PIB de 70 milliards d’euros  va bénéficier d’une aide de 1,6  milliards soit un taux de 2,3%  et une croissance de 3,5%. Je  vous laisse faire analyser. J’en  appelle donc à plus d’effort de  nos partenaires pour éviter un  triple désastre : économique,  démographique et sécuritaire.  Le Cameroun étant la locomotive de la zone CEMAC, nous  estimons que la majorité de  l’aide bilatérale et multilatérale devrait se porter sur ce  pays car si le « Cameroun va,  la CEMAC va » et comme un  adage dit « si le Gros maigrit,  le mince meurt… ». Il faut  donc massifier, optimiser et  rendre plus efficace l’aide sur  le Cameroun.

On assiste depuis quelque temps à la raréfaction des  devises. Quelles sont les  conséquences au niveau du  secteur privé ?
La baisse du compte de réserves de change à un niveau incompatible avec une monnaie à taux  de change fixe a été une des  raisons du plan d’ajustement  et recours au FMI. On assiste  par conséquent depuis quelque  temps à un rallongement des  délais de transfert des devises  auprès des banques. Cette  situation crée une psychose  dans le monde des affaires qui  se traduit notamment par la  thésaurisation des devises par  les populations, l’anticipation de certains paiements, le non  rapatriement de certaines devises, le report de certains investissements en raison de la  crainte du risque de change.  Il est urgent que les autorités  monétaires rassurent le public  et surtout que des mesures  urgentes soient prises pour  régulariser cette situation au  niveau des banques, avant qu’il  n’y ait un effet de contagion.  La confiance dans le système  bancaire doit être absolument  maintenue et les mesures structurelles engagées pour éviter  que la situation ne se dégrade  davantage.     

A propos du Programme économique et financier  triennal conclu par le  Cameroun avec le FMI le  26 juin 2017, le GICAM a  déploré une « implication  insuffisante du secteur  privé ». Par secteur privé, faites-vous allusion au  GICAM ou à l’ensemble des  organisations patronales,  lorsqu’on sait qu’il existe  des plateformes de dialogue secteur public-secteur privé ?
La faible implication du secteur privé dans l’élaboration de la  réponse gouvernementale que  vous rappelez est donc une  préoccupation supplémentaire.  De fait, l’existence des plates- formes de dialogue n’est pas  une garantie de la qualité du  dialogue, si les protagonistes  ne développent pas les réflexes  visant à promouvoir un dialogue franc et sincère. Encore  faut-il que ces plates-formes  soient pleinement actives, en  conformité avec l’exigence d’une  pleine participation de toutes  les parties prenantes. Il y a lieu par conséquent de s’interroger  sur l’efficacité de cette plateforme du secteur privé qui, au  lieu de prôner la convergence  et d’aider le regroupement,  entretient plutôt la division  et l’émiettement du secteur  privé. Ce dernier doit prendre  ses responsabilités également,  pour mieux se structurer et  être plus influent.

Ne faut-il pas plutôt voir dans cette sortie du  GICAM, l’une des faiblesses du secteur privé  camerounais qui, bien  que défendant des causes  communes, peine à parler  d’une seule et même voix ?  
L’unité dans l’action patronale  est indispensable, au-delà de  nos diversités et que le patronat  soit représenté par une seule  structure ou non. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je  prône l’unité patronale et que  j’ai commencé à engager des  initiatives concrètes dans cette  perspective ; unité d’action à  défaut d’unité de représentation. Ceci étant, et par-dessus  tout, il est particulièrement  important que la structure  la plus importante et la plus  représentative du patronat  puisse parler et surtout, être  écoutée.  

Vous dites vouloir œuvrer pour un GICAM « de service, d’action et de résultats concrets » suivant  le triptyque : « Rassemblement-Réconciliation-Refondation ». Comment  comprendre cela et quelle  sera votre stratégie pour y  arriver ?
Nous devons nous rassembler autour de nos intérêts communs, qui transcendent nos  différences qui peuvent être  liées à la taille de l’entreprise,  au secteur d’activité, ou à la  nationalité du capital. Unité,  fédération ou confédérale  patronale ? Qu’importe… Cet engagement qui prend  sa source au sein du GICAM  doit – et ça rejoint la question  de l’unité patronale – s’étendre  à l’ensemble de la communauté des entreprises dans le pays.  L’exigence de réconciliation  vise à minorer les divergences  pour une action encore plus  forte, qui passe par une refondation pour laquelle un état  des lieux, résultant d’un audit  institutionnel et fonctionnel  pour une efficacité accrue de  notre organisation, nous est  absolument utile. Tout ceci est  fondamental pour concourir à  faire du GICAM, une organisation patronale à la puissance  incontestable et incontestée,  la référence en matière économique dans un Cameroun en quête d’émergence.

L’accompagnement du secteur privé était au  centre des discussions  que vous avez eues avec les membres du gouvernement en charge de secteurs bien ciblés (finances, économie, énergie, PME,  industrie, travail et habitat) au lendemain de votre  élection. Qu’espérez-vous  concrètement des pouvoirs  publics dans ce sens ?
Nous espérons de nos interlocuteurs gouvernementaux une  plus grande proximité avec le  monde de l’entreprise, une forte  volonté politique de réunir toutes  les conditions qui préparent à  la transformation structurelle de l’économie camerounaise. A  ce titre, un renforcement de la  compétitivité des entreprises,  une meilleure protection de  l’industrie locale, ainsi que de  la transparence dans leurs  contacts avec la représentation patronale sont attendues.  Je note au demeurant que ces  mutations ne sont possibles  que si, dans le même temps,  l’administration revisite les  comportements et attitudes de  ses représentants dans leurs  relations avec l’entreprise. Il  est  en  effet  vain  d’espérer  un secteur privé conquérant  sans l’avènement d’une administration de développement  ; une véritable administration  de services et au service de  l’entreprise, seule véritable  créatrice de richesses.   

Alors que l’économie camerounaise vit des heures  difficiles, on a beaucoup  parlé de ce que le gouvernement ne fait pas, devrait  faire ou alors améliorer.  Qu’en est-il du secteur privé qui doit créer la richesse  et les emplois ? Son rôle  se limite-t-il à observer,  proposer et attendre ?
L’entreprise produit et distribue. Telle est sa vocation. Les chefs  d’entreprises osent, risquent  leur argent et leur santé tous  les jours. Ce faisant, l’entreprise  est le principal créateur des  richesses et des emplois. Elle est  donc au cœur de la croissance  et, partant, du développement.  C’est pour cela qu’elle mérite  des égards particuliers de la  part des pouvoirs publics, en  termes de facilités et d’amélioration de l’environnement  des affaires. Autant dire que  tout doit être mis en œuvre  pour lever les obstacles à la  création et au développement  des entreprises. En cela, il y  a donc urgence. Des efforts  sont faits, mais restent encore  très insuffisants pour espérer  un véritable décollage écono- mique. Dans le même temps,  nos entreprises sont conscientes  qu’elles agissent dans une communauté. Ce qui impose de  leur part des responsabilités  qu’elles doivent assumer vis- à-vis de leurs personnels, qui  ont des familles à faire vivre,  vis-à-vis de l’environnement,  pour la promotion du développement durable, vis-à-vis de  la communauté dans laquelle  elles opèrent, au nom de leur  responsabilité sociale et sociétale. Bref, notre Groupement  s’attache à promouvoir l’entreprise citoyenne. Il est également temps qu’elle contribue  activement à la lutte contre la  corruption, que ce ne soit plus  un slogan et une mission assignés seulement aux pouvoirs  publics. Nous devons promou- voir plus d’éthique dans les  affaires, asseoir une meilleure  gouvernance et développer  une culture d’acquittement  des impôts. Les délinquants  fiscaux doivent être démasqués  par tous les moyens.

Comment la PME, qui constitue l’essentiel du  tissu économique de notre  pays et qui fera l’objet de  tout un forum que vous  organisez le 24 octobre  prochain peut mieux  contribuer au développement ?
L’entreprise en général doit être aidée, la PME plus spécifiquement. Cette frange d’entreprises constitue l’essentiel  du tissu industriel camerounais. Elle fait face à toutes les  difficultés qui oppressent les  grandes entreprises, et elle doit  conjurer des défis spécifiques  : le manque de capital, l’accès  au crédit bancaire ou à tout  autre instrument financier, la  qualité du management, une  moindre résistance aux difficultés  telles que la disponibilité de  l’énergie ou les carences en  infrastructures. Si ces facilités  sont assurées, si ces obstacles  sont réduits à leur simple expression et si la PME se dote  de standards acceptables de  gestion, alors elle deviendra,  du fait de son potentiel élevé  de création d’emplois et de  richesses, un des acteurs essentiels du développement du  Cameroun. Le Forum destiné  à la PME que nous organisons  le 24 octobre prochain devrait  donc permettre d’apporter des  solutions à quelques problématiques clefs que nous avons  définies.

L’un des projets sur lesquels le gouvernement  travaille actuellement  pour faire face à la difficile  conjoncture actuelle,  c’est la promotion des  champions nationaux. Selon-vous, quelles sont les  conditions à réunir pour  atteindre l’objectif visé ?
Au premier abord, la promotion des champions nationaux constitue une idée séduisante. Mais,  et sans préjuger du contenu  des futurs programmes gouvernementaux nationaux en la  matière, ma préférence va en  direction d’un droit commun  sectoriel, avec des contraintes  minimales pour l’ensemble des  entreprises. Ce qui permettrait,  dans un environnement de saine  émulation, que les entreprises  les plus compétitives usent de  leurs atouts propres et d’un  environnement particulièrement favorable pour atteindre  le seuil de développement qui  feraient d’elles des champions  régionaux.

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