Père Ludovic Lado : Il y a une divergence d’appréciation de la réalité
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Le prêtre analyse les voix discordantes de l’Eglise catholique dans la crise anglophone.

Quelle lecture faites-vous de la sortie des évêques de la Province épiscopale de Bamenda et celle du président de la Conférence épiscopale nationale ?
Il est évident que depuis le début de la crise anglophone, les évêques ont du mal à parler d’une seule voix, et ça peut se comprendre. Il y a d’un côté, la Province épiscopale de Bamenda qui est sur le terrain des événements et de l’autre, les autres évêques qui essayent de comprendre ce qui se passe et ce qu’on peut faire. La réalité est que les évêques de la Province épiscopale sont entre le marteau des activistes et l’enclume des pouvoirs publics, et on l’a vu avec l’affaire de la fermeture des écoles. Les évêques de cette Province auraient bien souhaité à un moment que les cours reprennent comme l’avaient souhaité la Conférence épiscopale mais, le contexte local ne s’y prêtait pas. Et on a fini par les trainer  devant les tribunaux.

La tournée du président de la Conférence dans la région était courageuse mais la vérité est qu’il a été boudé par les populations qui ne comprenaient pas qu’il insiste sur la reprise des cours, pendant que les leaders étaient en prison. Donc, il me semble qu’il y a une divergence d’appréciation de la réalité entre la Province épiscopale de Bamenda et la Conférence épiscopale dans son ensemble. Et c’est compréhensible ! C’est pour cela que depuis le début de cette crise, les sorties des évêques de la Province épiscopale de Bamenda et du président de la Conférence épiscopale se suivent mais ne se ressemblent pas ni dans le ton, ni dans la perception de la gravité de la situation. Même s’ils appellent tous au dialogue et au rejet de la violence dans toutes ses formes, ils n’ont pas la même perception de la gravité de la situation du problème anglophone. Ces sorties non coordonnées donnent malheureusement l’impression que d’un côté, il y a les évêques anglophones et de l’autre les évêques francophones.

Quelles relations entretiennent les différentes provinces avec la Conférence épiscopale nationale ?
Les provinces épiscopales sont au niveau régional ou provincial ce qu’est la Conférence épiscopale au niveau national. Ce sont des instances ou espaces communs de concertation entre les évêques, entre les pairs, et de ce point de vue, n’ont qu’un pouvoir consultatif. Mais en général, telle que la hiérarchie de l’Eglise catholique fonctionne, chaque évêque est chef de son diocèse et ne rend compte qu’à Rome ! Bref, la Conférence épiscopale nationale n’a pas vocation à régenter les provinces épiscopales qui ont une grande marge d’autonomie. Et les conférences provinciales n’ont pas non plus vocation à régenter les diocèses particuliers. Un évêque est presque un monarque dans un diocèse !

Pourquoi n'y a-t-il pas eu jusqu'ici d'arbitrage du Vatican ?
Le Vatican ne peut pas s’ingérer dans une crise aussi politique s’il n’est pas sollicité par les pouvoirs publics. En effet, l’Eglise catholique dans son ensemble, préfère souvent une diplomatie très discrète avec des institutions telles que la Communauté de Sant’Egidio, qui a une grande expérience de médiation dans les pays africains comme au Mozambique pour la fin de la guerre civile, en Côte d’Ivoire, en République centrafricaine, etc. Ça ne m’étonnerait pas si le gouvernement tendait la main au Vatican, que cette communauté intervienne au nom de l’Eglise catholique. Mon sentiment personnel est qu’il faut aujourd’hui une médiation extérieure pour apporter un cachet de confiance à l’inévitable dialogue national de sortie de crise au Cameroun, à partir du moment où le capital de confiance entre les parties en conflit est presque épuisé.

Peut-on dire qu’il y a un manque de réserve de la part des évêques -en tant qu'autorité morale- de la Province épiscopale de Bamenda, lorsqu’ils parlent de «génocide» ?
Il est évident que nous ne sommes pas en situation de «génocide » au sens technique de ce terme, mais on peut comprendre que quand on est en situation de minorité réprimée violemment avec des pertes en vie humaine, certains termes permettent d’attirer l’attention de la Communauté internationale sur la gravité de la situation. Ceci dit, quand certains journalistes comme cela a été le cas sur la chaine de télévision Vision 4, appellent au ciblage des Anglophones, on peut craindre la dérive génocidaire. J’ai été surpris par la tolérance du ministère de la Communication (Mincom), face à de telles dérives médiatiques qui rappellent les radios milles collines du Rwanda et entretiennent chez les Anglophones, la fausse impression qu’il y a un complot francophone contre eux au Cameroun. Le pouvoir de Yaoundé n’agit pas au nom des Francophones!

Comment expliquer ce durcissement de ton, après les concessions du gouvernement, qui avait par exemple fait abandonner les charges contre les évêques de cette province il y a quelques mois ?
Comme vous le savez, cette crise est partie de simples revendications des syndicats d’avocats et d’enseignants, et nous l’avons vu se radicaliser au fil des mois. Nous sommes progressivement passés d’un agenda essentiellement social à un agenda politique avec la question du fédéralisme et les récupérations sécessionnistes. A mon humble avis, le pouvoir de Yaoundé a mal apprécié la situation et en a fait une gestion catastrophique et les fruits sont amers. Et donc, les concessions du pouvoir dans les domaines judiciaires et éducatifs sont appréciables mais sont venus trop tard. La mutation de l’agenda avait déjà eu lieu. Il y a eu aussi une mutation au niveau de leadership du mouvement et l’arrestation des leaders de la contestation plutôt modérés, a créé un vide qui a été très vite occupé par les tendances radicales et sécessionnistes qui semblent aujourd’hui très populaires dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

C’était une autre grosse erreur de trainer les évêques et les pasteurs devant les tribunaux, considérant leur autorité morale dans la région. Ça n’a fait que renforcer l’impression d’un complot. Le défi aujourd’hui est de renouer avec le dialogue, mais avec qui ? Les modérés ou fédéralistes de plus en plus marginalisés ou les sécessionnistes dont le leadership est basé à l’étranger ? Ou les deux ? L’obstination du pouvoir de Yaoundé à dire que la forme de l’Etat est non négociable est suicidaire, surtout qu’il ne fait rien pour mettre en place la décentralisation politique inscrite dans la Constitution depuis 1996.

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