Cameroun,Crise anglophone: Prosper Nkou Mvondo : « la solution, c’est le retrait de Biya »
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Cameroun,Crise anglophone: Prosper Nkou Mvondo : « la solution, c’est le retrait de Biya » :: CAMEROON

Enseignant à l’Université de N’gaoundéré, élu municipal et leader du Parti Univers, le prof pense que Biya, incapable de dialoguer, devrait se retirer pour que le Cameroun retrouve son unité de conscience sur de nouvelles bases vers le fédéralisme.

Qui gouverne au Cameroun ?

La bonne question, préalable à celle que vous posez, serait celle de savoir si le Cameroun est gouverné. A cette question, je répondrais par la négative. Le terme « gouverner », de mon point de vue, fait référence à l’action d’un homme, placé à la tête du pays, qui, permanemment présent, donne des orientations à la vie nationale, fixe le cap à atteindre, s’assure que tout l’appareillage politique fonctionne, contrôle les rouages du système, place à des postes de responsabilité des personnes compétentes qui peuvent faire fonctionner les machines qui propulsent le navire. Les multiples moteurs du navire ronflent, en émettant harmonieusement un son agréable à l’audition. Le Camerounais a cessé d’être gouverné le 6 avril 1984. Le président Ahidjo a tenu le gouvernail du bateau Cameroun, d’une main de fer, du 1er janvier 1960 au 4 novembre 1982. Seulement, pendant les dix dernières années de son règne, le bateau avait commencé à prendre de l’eau sale : corruption, détournements de fonds publics, tolérance administrative et autres. Le président Biya a essayé de redresser le navire entre le 6 novembre 1982 et le 6 avril 1984 : on parlait alors de « rigueur et moralisation » de la vie publique. Puis, est arrivée la tentative du coup d’Etat du 6 avril 1984. Depuis cette date, le président Biya a tout abandonné et s’est replié sur lui-même: Le bateau Cameroun glisse tout seul, avançant s’il y a du vent qui souffle, s’arrêtant s’il n’y en a pas ; allant à gauche ou à droite au gré du vent. Lorsque du simple vent, on passe à la tempête, le bateau prend beaucoup d’eau et tangue dangereusement : fort heureusement, on n’a pas connu de naufrage jusque-là ; Mais, en sommes nous si éloignés ? Pour répondre à votre question, personne ne gouverne au Cameroun. Toute personne détentrice d’une petite parcelle de pouvoir de décision dans la vie publique en fait à sa guise ; les postes de responsabilités sont transformés en véritables comptoirs que le titulaire du poste gère pour son compte personnel, pour sa famille, sa tribu ou pour son cercle d’amis. Si l’on tient alors à dire que le Cameroun est gouverné, on dira qu’il l’est par cette multitude de cercles, chacun détenant une petite parcelle d’un pouvoir bureaucratico-présidentiel, où les actes sont posés uniquement dans l’intérêt de Paul Biya, dans l’optique qu’il soit maintenu éternellement à la tête de l’Etat, sans toutefois gouverner.

Dans l’actualité, on se rend compte que la crise dite « anglophone » s’enlise et tire vers le pourrissement ; A qui profite cette situation ?

L’absence de réponse gouvernementale à cette crise est justement le reflet de ce que le Cameroun n’est pas gouverné. On n’a jamais entendu le président Biya se prononcer sur cette crise. A se demander s’il en est même au courant, puisqu’il ne l’évoque dans aucun de ses discours récents. Alors, chaque « petit » détenteur d’une parcelle de pouvoir politique ou sécuritaire y va de sa façon propre : certains disent qu’il n’y a aucun problème « anglophone» ; d’autres choisissent la violence policière et la violence militaire, comme technique d’étouffement des revendications pourtant légitimes des populations; certains parcourent le monde, choisissant les ambassades du Cameroun pour tenter d’expliquer l’inexplicable à des personnes qui ne les écoutent même pas ; les autorités préfectorales se contentent de ce qu’elles savent faire le mieux : interdire les manifestations publiques ; mais, désormais, un simple arrêté préfectoral, ou sous-préfectoral, n’intimide plus un peuple résolu à se faire entendre. Au fond, rien n’est fait pour apporter des réponses, positives aux négatives, à ces citoyens qui exigent, à défaut d’un Etat fédéral, au moins un Etat véritablement décentralisé. C’est le lieu de rappeler que le fédéralisme réclamé par certains est loin d’être en contradiction avec la forme unitaire de l’Etat du Cameroun. La Constitution de 1996 dit que le Cameroun est un « Etat unitaire décentralisé ». Si l’on considère que le fédéralisme est la forme achevée de la décentralisation, on pourrait aboutir un jour à un Etat unitaire fédéral. Les Etats-Unis d’Amérique constituent bel et bien un Etat Unitaire, mais de type fédéral. Le Cameroun n’étant pas gouverné au sens que j’ai décrit plus haut, la situation ne peut que s’enliser et pourrir. Ceci profite à ceux qui se nourrissent du pourrissement des choses. Ils sont visibles aujourd’hui : ils appellent à la négation du Cameroun, en brûlant le drapeau de la République ; ils prônent la sécession, en hissant sur le territoire national, le drapeau d’un pays qui n’existe que dans leur pensée. Mais, dans leur action, les sécessionnistes vont se heurter à l’opposition des compatriotes camerounais, qui refusent de voir leur pays, le Cameroun, saucissonné comme l’a été le Soudan. Le Cameroun, décentralisé comme je le souhaite, fédéral comme le veulent d’autres compatriotes, restera un et indivisible, avec ses 475 442 kilomètres carrés.

Peut-on encore stopper l’enlisement et le pourrissement ?

Bien sûr ! C’est d’ailleurs la chose la plus facile. Il suffit que le chef de l’Etat reprenne le gouvernail, comme il l’a fait entre le 6 novembre 1982 et le 6 avril 1984. Qu’il ouvre un dialogue franc avec ses compatriotes qui ont des revendications à formuler. Si les revendications sont légitimes, on devrait le reconnaître ; si elles ne le sont pas, on fera comprendre à ceux qui les formulent qu’ils font fausse route. Il s’agit de convaincre par des arguments tirés de la sagesse et de l’intelligence, transmis par le verbe ou l’écrit ; il ne s’agit pas d’imposer des solutions à travers des manœuvres d’intimidation ou de violence. Souvenons-nous que « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, tant qu’il n’a pas transformé sa force en droit et l’obéissance en devoir », comme le disait Montesquieu. Mais, comprenons aussi que cette entreprise de dialogue est difficile pour notre chef de l’Etat, Paul Biya, qui a 84 ans ; Peut-il encore tenir une discussion de plusieurs heures, avec en face, des citoyens, deux ou trois fois moins âgés que lui ? Je ne le pense pas. Vous comprenez pourquoi, avec lui, seuls le silence et la répression sont à l’ordre du jour.

Paul Biya est-il donc le mal camerounais ?

Lorsque l’on met long au pouvoir, on laisse fatalement pourrir des choses. Lorsqu’on a 84 ans, on n’a plus, naturellement, toutes les aptitudes et toutes les facultés nécessaires pour gouverner, si jamais on en avait la volonté. Paul Biya, au regard, au moins de ces deux réalités, est l’un des maux dont souffre le Cameroun, entre autres, l’enlisement et le pourrissement de la crise dite « anglophone »

Son départ pourrait-il mettre fin aux velléités sécessionnistes ?

Le président Paul Biya a été élu pour un mandat de sept (7) ans qui coure jusqu’en 2018. Je suis convaincu qu’il ira jusqu’au bout de son engagement avec la partie du peuple qui l’a élu. Ce qui est normal. Ce qui est anormal, et qui pour moi relèverait de la sorcellerie, c’est qu’un homme de 85 ans, en 2018, soit encore candidat à une élection présidentielle, pour solliciter de ses compatriotes un mandat de sept (7) de plus à la tête d’un Etat de 475 445 kilomètres carrés, avec une population de plus de 23 millions d’habitants, dont plus de 60 % sont âgés de moins de trente (30) ans. A 85 ans, on aspire au repos ; on a même l’obligation morale de prendre sa retraite, dès lors qu’on ne l’a pas fait longtemps avant. Pour détendre l’atmosphère au Cameroun, et sur beaucoup de plans, il suffit que le président Paul Biya annonce simplement et aujourd’hui, qu’il ne sera plus candidat en 2018. Les militants d’une décentralisation effective, les partisans du fédéralisme et même les sécessionnistes vont sans doute observer un temps d’arrêt dans leurs revendications. Chacun va s’interroger sur l’attitude que le prochain régime politique va observer face aux problèmes laissés par Paul Biya.

Voyez-vous des élections se tenir en 2018, dans ce contexte de crise ?

Ces élections doivent impérativement avoir lieu. Elles constituent même une des clés pour sortir des multiples crises que traverse le Cameroun en ce moment. Seulement, pour que les choses se passent bien, Paul Biya ne doit pas être candidat à l’élection présidentielle. Sa présence comme candidat à cette élection risque fort de conduire au naufrage du bateau Cameroun. De Paul Biya, beaucoup de Camerounais en ont marre, même si très peu ont le courage de l’avouer. Son retrait de la vie politique apaiserait beaucoup de tensions. En tout cas, le parti Univers, l’a dit lors de son premier congrès, tenu à N’Gaoundéré le 20 février 2016, pour l’élection présidentielle de 2018, ce sera « Tout, sauf Paul Biya ».

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