Cameroun: LA DERNIERE LECON PUBLIQUE DE RUBEN UM NYOBE
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Cameroun: LA DERNIERE LECON PUBLIQUE DE RUBEN UM NYOBE :: CAMEROON

Nous pensons fort mal, peut-être ne pensons-nous pas même le moins du monde, et nous agissons, en tout cas, bien plus mal encore lorsque nous saisissons le pouvoir, dans sa représentation comme dans son exercice, en terme de « qui ». En croyant ainsi que le problème fondamental que soulève la question du pouvoir est celui de son occupant ou de son détenteur, nous nous trompons lourdement. Savoir d’abord qui est habilité à exercer le pouvoir n’a nul sens si n’est avant tout défini ce pouvoir lui-même. Le problème de fond est ainsi de savoir de quel pouvoir il s’agit, ce qu’est le pouvoir, quels en sont le fondement, les assises sociales, et la fonction au sein de la totalité sociale.

Autrement dit, et c’est en quoi consiste la dernière leçon publique de Ruben Um Nyobè, le fond du problème est relatif à la nature ou encore à la qualité, ou comme disent les philosophes, à l’essence du pouvoir. Laquelle se détermine et ne se mesure, au plan politico-juridique, qu’à l’aune du droit et de la force, et au plan socio-économique, d’après les intérêts à la défense desquels le primat est accordé, intérêts qui peuvent être nationaux ou étrangers.

Cette thèse capitale est pratiquement l’une des dernières et des plus importantes énoncées en juin 1957 par Ruben Um Nyobè, soit un an et trois mois seulement avant son assassinat, et c’est de la sorte, une thèse signée du sang d’UM. Toute quête d’effets émotionnels verbaux mise à part, elle fait indiscutablement partie de ce qu’on peut, sans exagération aucune, appeler le testament de Ruben Um Nyobè.

L’intéressant pour nous qui avons le privilège d’être vivants, et dont le rapport à Um relève désormais de l’ordre de la mémoire historique, c’est que soixante ans après son énonciation, cette thèse demeure d’une actualité saisissante. On la dirait fraîchement écrite à notre intention, pour répondre à nos préoccupations singulières actuelles. Cette actualité cependant ne vaut pas pour nous seuls : ailleurs au monde aussi. Sans perdre le sens de la mesure, on pourrait lire sous la plume d’Um Nyobè, une leçon valable pour l’humanité, par- delà nos différences, comme on dit, d’ethnie et de race.

Mais de quoi s’agit-il au juste, déjà ? De la réponse à une interpellation effectuée en toute bonne foi par Charles Assigui Tchungui suggérant à Um de sortir du maquis pour l’Assemblée Territoriale du Cameroun (ATCAM), en vue d’une « détente morale et politique ». Le problème, répond Um, n’est pas que l’UPC siège à cette Assemblée, ni même qu’il y occupe, lui en personne, quelque strapontin.

Donc, relevons-le déjà pour le souligner, il ne s’agit pas d’une affaire partisane, de groupe ou de personne, qu’importe, mais d’une question de principe soustraite, par définition, à tout marchandage : et de fait, dit Um, le problème est de savoir si cette Assemblée est véritablement « habilitée à faire toutes les lois kamerunaises ».Autrement dit, le peut-elle ?Prenons bien garde au syntagme ‘’peut-elle’’ qui enveloppe ici l’idée des circonstances et conditions où la liberté de décider aurait un sens et serait effectivement exercée. Décider du sort du pays suppose un pouvoir véritable que n’enveloppe pas le simple droit abstrait de le faire. A quoi pourrait tenir un éventuel pouvoir de ce genre ? Au simple fait de prendre part au pouvoir d’Etat en vertu de sa présence physique en son sein ? Non point : seulement à la nature de ce pouvoir, aux motifs de ce

pouvoir. L’exercer au titre de figurant, de trivial comparse, et de faire-valoir, ou le faire pour répondre à quelque besoin ayant une portée socio-historique déterminée, ce n’est pas pareil. Faut-il donc adopter pour principe éthico-politique intangible l’exercice du pouvoir à tout prix ? Prenons bien garde qu’en dépit de l’apparence, il ne s’agit pas là d’une interrogation portée par une attitude faussement moralisatrice dans laquelle, du haut d’on ne sait quelle chaire l’on proférerait, à tue-tête, toutes sortes de propos comminatoires, des condamnations vertueuses, des imprécations et des déprécations. Non.

La question ainsi formulée préoccupe Ruben Um Nyobè, certes, mais elle ne se pose pas pour lui seul : en réalité, c’est à la totalité sociale affrontée à la nécessité de choisir son destin qu’elle se pose. Um est simplement le vigile de l’esprit qui rend visible le problème que tout, par ailleurs, contribue à masquer. Tout : l’Assemblée d’opérette par exemple, mise sur pied pour désamorcer le processus révolutionnaire déjà en cours. Un unique exemple ? Le congrès pan-Kamerunais de Kumba, tenu du 12 au 17 décembre 1951, à l’instigation de Ruben Um Nyobè, en préparation de son intervention à la tribune des Nations unies l’année suivante, congrès dont les acquis sont le principe de l’Unification immédiate et le projet d’Indépendance commune pour janvier 1957 ; ces deux principes faisant l’accord des Kamerunais sans acception de passé colonial (britannique ou français, qu’importe), sont combattus aussi bien par les Nations-unies que par les adversaires politiques de la glorieuse UPC des UM pour qui il fallait s’unir d’abord pour ne pas aller à l’indépendance en rangs dispersés. Tout va être fait pour que ce projet avorte : le bannissement de l’UPC de l’espace politique légal dès le 13 juillet 1955, l’assassinat de Ruben le 13 septembre 1958 ; sans compter les limites de l’ATCAM contenues dans les replis mêmes de la loi-cadre de Gaston Defferre qui lui donne naissance ; la myopie politique de bien de ses membres ; leur lucidité critique inversement proportionnelle à leurs appétits portés par les promesses mirobolantes qu’on fait miroiter à leurs yeux, qui leur font croire qu’ils vont, sous peu, être les artisans de leur destin, qu’ils en sont même déjà, ce qui ne les empêche pas de se rendre complices des « pleins pouvoirs » concédés au premier ministre en 1959,etc. Pour lors, une question se pose donc à notre société : peut-elle compter sur l’ATCAM pour se forger un destin propre à elle ? Um s’avise de ce que de la réponse qui lui sera donnée dans le proche avenir dépend le sort même de la totalité sociale que nous constituons en tant que corps politique. L’accélération des événements qui aboutiront d’ailleurs à son assassinat lui fait voir que nous allons, comme totalité sociale, au- devant de périls insoupçonnés. Et de fait, cinq semaines après l’avoir tué, le 20 octobre, ses ennemis formulent une motion en faveur de ce qu’ils appellent la réunification et l’indépendance désormais envisagée pour janvier 1960, et programmée expressément avant toute unification.

Cela dit, dans l’histoire de notre pays, la paternité de l’idée de la réunification comprise, à l’époque, comme une fédération à trois Etats revient à John Ngu Foncha qui en parle à Douala en novembre 1958. Ahidjo ne va s’y rallier qu’après avril 1959, sur les conseils de ses mentors français. Et le 16 décembre 1960, Abel Kingue rappellera la position officielle de l’UPC, arrêtée du vivant même de Ruben Um Nyobè, et par la direction en lutte du ‘’Mouvement national kamerunais’’, à savoir, un Etat unitaire démocratique et décentralisé. N’empêche, en août 1961, en moins de deux heures de séance plénière, ce qu’on a appelé la Conférence de Foumban en dispose autrement, comme on sait.

Or donc, produit de la loi-cadre G. Defferre, l’ATCAM se ressent de ses limites : elle légifère en matière d’affaires courantes mais son impuissance est criarde quant aux décisions et actions affectant notre sort, celles qui concernent notre Unification, notre Indépendance et notre Essor socio-économique. Ce chapitre qu’il lui est interdit d’examiner relève de la compétence exclusive du pouvoir colonialiste qui se partage d’ailleurs cette chambre étrange qu’est l’ATCAM avec une insignifiante poignée de ressortissants de notre pays, triés sur le volet, et sur la base de la représentation prétendument ethnique. A l’ATCAM en effet siègent des gens de toutes nos régions actuelles. Quoiqu’ainsi constituée, cette chambre n’en est pas moins impuissante à décider de notre avenir. Impuissance congénitale : elle n’a pas été mise sur pied pour dire si le colonialisme doit, ou non, prendre fin : seulement pour nous prescrire, à nous les colonisés, la meilleure façon de nous accommoder du colonialisme. Telle est la limite infranchissable du pouvoir dévolu à l’ATCAM, être et n’être qu’au service du pouvoir et de l’ordre colonialistes auxquels il est finalement avantageux de faire participer le colonisé lui-même, s’assurant de la sorte sa docilité en le gavant de l’illusion d’être maître de son destin.

C’est précisément cette limite qu’interroge le génie politique de Ruben Um Nyobè dont la démarche a été diversement appréciée d’ailleurs. Par exemple, on a pu y voir une ‘’erreur’’ et même une ‘’faute’’ politiques. Défaillance tout à la fois de l’intelligence et de la volonté. Donc limites intrinsèques prêtées à Um, non sans désinvolture d’ailleurs. Selon cette lecture qui a toujours ses adeptes qui pullulent à droite où l’on répète volontiers qu’un lâche vivant vaut mieux qu’un héros mort, paraît-il, Um eût été bien inspiré de suivre tout bonnement le conseil de Charles Assigui Tchungui. Faisant alors fi de sa propre représentation du pouvoir en terme de qualité, il eût pris place à l’ATCAM, certes d’avance assuré de sa propre impuissance, et y consentant néanmoins, sans état d’âme.

On peut à loisir discuter des mérites et des bienfaits mirifiques que certains prêtent à une telle démarche, en terme notamment de futurible, comme disent les historiens. Je me bornerai, pour ma part, à dire que point n’est besoin d’être grand clerc pour constater le bilan calamiteux de tous ceux qui ont cru pouvoir corriger la copie d’UM en commençant par succomber au tropisme de gouvernement dont, à gauche on sait, d’instinct en quelque sorte, qu’il ne doit rien à la démarche d’un Lénine recommandant, contre les gauchistes de son temps, les Otzovistes, d’apprendre à travailler dans les structures légales de l’Etat en place, combinant de la sorte, légalité et illégalité, transformant, par le fait même, ces questions en de simples questions tactiques : ils ont, par leur conduite, jeté le discrédit sur une organisation, et par suite, sur une lutte au mérite historique incommensurable. Qu’il me soit, par ailleurs, permis de relever simplement que par leur démarche prônant de prendre le contrepied d’UM, on se pose un tout autre problème que celui de notre destin commun. On soulève assurément une question de personne, qui a certainement son importance, mais qui se déploie en dehors de la lutte collective comprise, pour lors déjà, comme une lutte de classe à l’échelle internationale. On traite donc d’une question relevant de la morale du confort individuel, personnel. Ce faisant, on oblitère la question du combat collectif qui vise, dès cette époque, à convertir notre destin collectif, celui que nous inflige le colonialisme, en un dessein commun de notre choix, fait d’Unification, d’Indépendance, et de Progrès socio-économique.

Il y a pis cependant. A l’époque en effet, méprise insidieuse répandue par le colonialisme, on taxe UM d’extrémisme, quand on ne le donne pas pour une victime de ‘’boutefeux’’ dont on

voit aisément son entourage grevé, et pour tiraillé entre des ‘’ailes’’ de son Mouvement qu’avec désinvolture on peint aux couleurs de deux ethnies, ou encore entre des ‘’lignes’’ antagoniques séparant partisans et adversaires résolus du compromis politique.

En réponse à ces billevesées bruyamment échafaudées, Um se dit enclin, le cas échéant, au compromis, mais réfractaire à jamais à la compromission. Autrement dit, son combat n’est ni raciste, ni même racial, il n’est pas dirigé contre le Blanc : contre le colonialisme seulement. Blanc et Noir peuvent donc s’entendre, pas colonialiste et colonisé. Pour que s’instaure cette entente, il faut que sur les cendres du statut de colonialiste et de colonisé, émergent de nouveaux hommes dont plus aucun ne vive essentiellement de l’exploitation, de la domination et de l’oppression de l’autre. C’est à la politique de promouvoir ces hommes nouveaux. Mais si et seulement si elle s’en donne le pouvoir. Que l’ATCAM n’a pas et ne saurait avoir, dans son état du moment.

En conséquence Um va, à son tour, formuler, en quelques points, une proposition concrète de « détente morale et politique » véritable. Amnistie générale du fait de laquelle plus personne ne serait persécutée en raison de ses convictions politico-idéologiques, quelles qu’elles soient. Retour de l’UPC à la légalité dont elle a été bannie en 1955, soit la veille d’élections projetées pour décembre 1956, ce qui suffit à en dire long sur ce que sont, depuis toujours, les élections en colonie comme en néocolonie. Campagne d’opinion, c’est-à-dire d’explications visant à ramener « la paix des cœurs », entre compatriotes et concitoyens artificieusement dressés les uns contre les autres par le colonialisme, sur des bases ethniques notamment.Cette campagne d’explications est une fulgurante anticipation de ce qu’on a, dans les années 90 du siècle dernier, appelé, un peu partout en Afrique, la « conférence nationale souveraine », et en Afrique du Sud, le processus de « vérité et réconciliation ». Enfin, foi en nous-mêmes, en nos propres forces, et non pas en d’autres dont nous n’aurions plus qu’à attendre qu’ils fassent notre bien-être à notre place, à charge pour nous, en retour, de faire, sous leur dictée, leur politique chez-nous.Croyance, en conséquence, que notre sort est entre nos propres mains, nos seules mains, pour le meilleur et pour le pire. Ce qui n’amenuise en rien l’effet des facteurs exogènes dont Um nous fait prendre conscience que leur efficience est encore tributaire de notre propre conduite, du moins jusqu’à un certain point qu’il convient de ne pas sous-estimer.

Le pouvoir est ainsi, aux yeux d’Um Nyobè, bien autre chose que la simple faculté de commander et d’obtenir obéissance. L’important d’ailleurs en matière de pouvoir n’est pas le fait de donner un ordre : seulement ce qu’on fait après, notamment de ce que l’Autre fait de l’ordre reçu. C’est là véritablement que commence l’exercice du pouvoir. Cela dit, bien plus que l’art de commander c’est, selon UM, le moyen d’informer (au sens propre de ‘’donner forme concrète’’) les droits qui, le cas échéant, pourraient nous être reconnus. Le moyen, en conséquence, de convertir notre destin commun en un commun dessein de notre choix. C’est un ustensile d’utilité commune ordonné à la promotion, non pas du simple et factice calme social, mais de la paix sociale, symbolisée sous la plume d’Um Nyobè par la « paix des cœurs ». Qui suppose, au-delà de la justice distributive – à tout le moins -, la reconnaissance et l’acceptation de l’Autre comme autre.

Préoccupé, non pas par les paillettes du pouvoir, mais par sa qualité, Um la saisit selon deux axes. D’abord le juridique par où, mis en rapport avec le droit et la force, il devient soit antidémocratique en reposant sur la force, soit démocratique en se fondant sur le droit, à condition toutefois que ce droit reflète les intérêts, les aspirations, exprimés dans l’opinion de la majorité numérique des gens, en faisant cependant droit à l’organisation comme à l’expression de l’opinion de la minorité qui, le cas échéant, peut devenir la majorité du lendemain, en participant, de façon critique, à la marche des affaires publiques.

Ensuite l’axe socio-économique par où cette participation peut, ou non, devenir active, efficiente, en se dotant, ou non, d’un contenu du fait duquel elle cesse d’être un droit abstrait pour devenir un pouvoir réel, effectif. Cet axe s’esquisse en référence aux intérêts soit du Capital étranger, soit des Nationaux. Si prime la sauvegarde des intérêts étrangers, alors se poursuit autrement l’œuvre du colonialisme. Et si la relation à l’extérieur est prioritairement ordonnée à la résolution de nos propres problèmes et à la satisfaction de nos propres besoins, alors tendent à se réunir les conditions de notre souveraineté, sans qu’elle soit pour autant xénophobe, ni incompatible avec la présence d’intérêts étrangers sur notre sol.

Le génie de Ruben Um Nyobè, tiraillé on l’imagine, entre la tentation de se river à un passé dont il est en un sens le produit, et la tendance forte à se conduire comme ceux de sa génération qui, même sans trouver des vertus spéciales au pouvoir colonialiste, sont spontanément enclins à commencer par s’y conformer, son génie a consisté à s’inventer d’autres paradigmes, d’autres principes d’explication que ceux, certes d’inégale valeur, que nos traditions et la colonisation lui fournissaient. Les traditions en effet offraient le modèle d’un pouvoir diffus, reposant sur la pesanteur des liens sociaux, etla colonisation, celui d’un pouvoir hyper concentré, hypercentralisé, hyper individualisé, faisant corps avec son détenteur, marqué par lui au point de devenir sa chose. Les paradigmes enveloppés par l’un et l’autre type de pouvoir sont simplement répudiés dès lors qu’UM pose la question de la qualité du pouvoir. Cette question en effet fait obligation au pouvoir de reposer sur des normes autres que celles qui sont en vigueur. Il ne saurait plus suffire d’appartenir à la totalité sociale pour se trouver habilité à exercer un pouvoir donné selon l’esprit des traditions qui, certes en outre, prévoient l’épreuve de l’initiation. Ni de faire allégeance à la puissance administrante, comme l’exige le rituel de l’entrée à l’ATCAM. Il faut auparavant avoir pu s’être assuré(e) de la congruence entre ce pouvoir et le réel auquel il est voué à s’appliquer. De sorte que l’on ne serait plus habilité à gouverner, administrer, légiférer en fonction simplement de la personne ou de l’individu qu’on est, imprégné du savoir traditionnel ou rompu à la soumission à l’autorité coloniale. C’est proprement en vertu d’une qualité propre au pouvoir lui-même, et qui est telle que venant à l’exercer, quiconque ne pourrait que le mettre au service des intérêts et des aspirations du menu peuple, du moment que la congruence entre ce pouvoir et ce peuple ne saurait produire d’autre effet que celui-là. Ainsi peut-on dire que selon UM, ce qui donne le pouvoir de gouverner c’est l’aptitude à s’en tenir à des lois et principes complètement impersonnels et asservis à l’utilité publique. Gouverner requiert le sacerdoce éclairé par le principe d’utilité commune. En l’absence de conditions propices à la promotion d’un tel mode de gouverner, il faut s’atteler à les créer plutôt qu’à s’immiscer dans les rouages d’un tout autre pouvoir à l’esprit totalement adverse.Telle est la dernière leçon de Ruben Um Nyobè.

Que vaut-elle, dira-t-on, les temps ayant changé, soutiendra-t-on ? Moins que le temps sociohistorique, politico idéologique, socioéconomique, c’est le temps personnel des individus qui jugent, chacun, invariablement, que leur heure ayant sonné, ils ne voient plus pourquoi ils auraient la patience des combats longs, sinueux, incertains au surplus. Ce qui a changé, c’est le temps de ceux qui, à l’exemple d’un Houphouët-Boigny en octobre 1950, vont appeler ‘’repli tactique’’ le reniement de la cause qu’ils semblent avoir, jusque-là, défendue. 1. Ce qui a changé, c’est la façon vieille comme le monde, de poser les problèmes de la lutte, complètement en dehors de la lutte des classes, sans se soucier de ce qu’une démarche peut être gratifiante pour soi-même, tout en étant nocive pour les intérêts et les aspirations des masses populaires. Ainsi, l’inventaire du combat des UM, parfois réclamé, dont l’exigence ne saurait, raisonnablement, passer pour on ne sait quel crime de lèse-autorité morale révolutionnaire, n’est pas, ne nous en déplaise, une triviale affaire de choix entre deux lignes tactiques, celle des UM et celle de ceux qui renient les UM en priant les masses de leur donner raison. Le premier pas en direction d’un tel inventaire, s’il s’exige ferme, plutôt qu’à la réclame flattant divers réflexes identitaristes, ne saurait mener ailleurs qu’à l’analyse de notre formation sociale comme société de classes en lutte. C’est seulement à partir d’un tel point de vue qu’on peut juger sereinement de ce que notre société était hier, de ce qu’elle est devenue, de la continuité ou de la discontinuité de ses problèmes fondamentaux, ou tenus pour tels.

A l’heure où l’on dédie monument et place à UM sans toujours soigneusement veiller à préserver sa dimension internationaliste que d’autres que nous ses congénères lui ont toujours, à juste titre, reconnue, la moindre des choses consiste, pour nous, à relire et faire à nouveau connaître sa pensée, par-delà les méprises et les mésinterprétations dont notre époque semble prodigue.

1- C’est François Mitterrand, pour lors jeune député de la Nièvre à 30 ans, qui a pu circonvenir le politicien ivoirien, l’amenant à désapparenter le RDA du PCF. Pour quoi faire ? On peut en juger par ce qu’il a fait de son propre pays, un des rares à traiter avec l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Vice-président du RDA, UM NYOBE est mort en désaccord avec ce reniement et ce marchandage sur les principes.

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