Cameroun, Livre:  Pour une Afrique émergente Une culture tournée vers l'avenir : Introduction du Pr. Gabriel Mba
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Cameroun, Livre: Pour Une Afrique Émergente Une Culture Tournée Vers L'Avenir : Introduction Du Pr. Gabriel Mba :: Cameroon

Des langues et des cultures au service du développement de l’Afrique. L’université de Douala au Cameroun a, du 1er au 3 Octobre 2014, été le siège de réflexions croisées sur la culture africaine comme facteur de développement durable,à travers la mise en œuvre des industries culturelles viables. Intitulées« Les deuxièmes journées des sciences du langage », ces réflexions prolongeaient et renforçaient les premières organisées du 7 au 9 novembre 2008. Cette fois-ci, les organisateurs ont choisi de rendre hommage au Professeur Maurice Tadadjeu, un panafricaniste convaincu, un scientifique de haute facture aujourd’hui disparu. Il a laissé à la postérité un modèle panafricain d’éducation multilingue, le trilinguisme extensif, érigé sur la base des langues maternelles, à partir d’une expérimentation heureuse et réussie en contexte camerounais. Ce modèle a été exporté dans d’autres pays d’Afrique (Ethiopie, Gabon…). La théorie présentée par Tadadjeu a largement été revisitée et analysée.On y décèle d’ailleurs, les fondements d’une linguistique socio-économique (Mba, G.).

Le présent ouvrage reprend, dans différents domaines connexes, les lignes directrices de la pensée et des travaux de Maurice Tadadjeu en matière de politique linguistique africaine (1977, 1985, 1996, 1999), d’enseignement multilingue et multivectoriel (1985, 1988 ,1990, 2004), d’intégration des cultures africaines dans le système éducatif et de la construction des identités africaines viables, de linguistique au service de la société et du développement durable (1985), du communautarisme africain comme modèle de pensée et d’expression des formes d’organisation et de vie sociales (1989), de littérature africaine comme projection du vécu social et des aspirations des peuples (2000). Au total, l’ouvrage est bâti autour de vingt-trois (23) chapitres dont sept (7) sont consacrés à la problématique de la « culture et de l’identité », dix (10) aux langues et développement et six (6) à la littérature et société.

Culture et identité

Cette section a comme fil conducteur la culture africaine face à l’adversité que constituent la modernité et l’insécurité linguistique et sociale. Les différentes contributions suggèrent le recours aux coutumes et traditions comme voie de salut (Jiotsa, A., et Che, C.), en cherchant à comprendre l’anthroponymie (Abissi, R. A. et Wogaing, J.), en explorant les croyances et les rites (Bingono Bingono, F. et Edongo, P. F.), en interrogeant les associations culturelles endogènes qui sont à la base du développement durable des communautés africaines (Hotou, G., Mpacké, P. et Mbeng, H.). Des questions pertinentes se posent à la face du monde. Comment comprendre que l’Afrique avec tant de valeurs, de coutumes et de traditions persévère à vouloir se développer à travers des modèles, des langues, des principes et des cultures qui viennent d’ailleurs ? Comment les littératures africaines d’expression étrangère et

dépeignant des cultures étrangères, peuvent-elles participer à la construction du développement de l’Afrique ? A ces questions, les esquisses de réponse se dégagent des contributions proposées par les différents exposés. Les pratiques culturelles impactent le développement endogène. Pour qu’elles le fassent efficacement, elles doivent être comprises afin d’être utilisées à dessein, de sorte qu’elles puissent constituer de véritables industries culturelles dont les biens sont partagés au sein et en dehors de l’Afrique. Les pratiques anthroponymiques africaines par exemple ont été longtemps bousculées en raison d’autres pratiques conseillées par les religions importées (Islam, Christianisme), au point où les patronymes africains tendent peu à peu à disparaître lorsqu’ils sont attribués sans la conscience du rituel qui sied. Le génie culturel africain doit être un bouclier contre l’insécurité et la menace asymétrique qui planent à l’horizon. Ainsi, une nouvelle approche consistant à valoriser les attributs culturels (la symbolisation de la terre, les religions traditionnelles, la nature, le sens de la famille, les divinités africaines, etc.), à favoriser une réappropriation de la civilisation originelle, à féconder et à porter l’humanité, doit être adoptée. Pour ce faire, toutes les composantes de la société doivent être considérées, surtout celles qui, à la base, sont porteuses du génie culturel et linguistique africain.

Langues et développement

Les langues africaines et les langues en Afrique sont au centre des problèmes de développement du continent. Les usages et les politiques de langues en Afrique font et feront encore des dégâts si elles continuent à être mal gérées dans les secteurs clés de la vie des populations et surtout des populations jeunes. Non seulement la violation de la diversité linguistique entraîne et entraînera des privations (Tabe, F. et Sol, M. D.), des frustrations et exclusions de tous genres (Messina, J.), mais elle atrophie aussi la pensée humaine. Mieux gérées, les langues et les politiques de langues en Afrique formeront le fondement d’une intégration certaine (Mba, G., Assoumou, J., Messina, J., Habiba et De Momha II, M., NforKfuvou, B. et Kouesso, J. R.), d’une ouverture non seulement maîtrisée mais aussi créatrice des propositions viables de visibilité et de régénération culturelle et identitaire (Djoum Nkwescheu, A., Majeu Defo, F., Njoya, I., Wung Zeh, J.).

La diversité linguistique constitue un enjeu politique et, de plus en plus, un enjeu économique depuis l’émergence du paradigme des industries culturelles et linguistiques. La langue est un indispensable outil d’identification, de solidarité et de communication inter et intra-groupe. Elle est pouvoir et son usage peut façonner, nourrir ou préserver positivement ou négativement la gouvernance sociale. De manière générale, ce sont les hommes qui incarnent le pouvoir, le déterminent, le contrôlent au grand dam des femmes, surtout dans les espaces publics (assemblées locales, évènements festifs, organisations tribales ou ethniques, etc.). Le manque de parité entre les genres joue contre l’expression et l’usage de la langue par les femmes là où le pouvoir se conjugue avec la mise en mots de la pensée. Cette privation de pouvoir et d’expression est, très souvent, à la base de l’oubli de la force féminine comme levier important de développement. Une politique saine de promotion des langues dans le système éducatif formel et informel peut et doit faire de ces dernières, des actrices de

développement endogène, durable et holistique.

L’enseignement des langues et cultures africaines ne doit pas cependant se vivre comme une option pour plaire aux exigences de la gouvernance mondiale en matière d’éducation, mais comme volonté propre et réfléchie des Etats. Toutes les zones (rurales et urbaines, monolingues et plurilingues), tous les niveaux du système éducatif (maternel, primaire, secondaire et universitaire) doivent être intégrés dans la politique globale et des modèles retenus pour satisfaire les deux dimensions de la communication sociale (verticale et horizontale). Les langues africaines ont certes, pour la plupart, une écriture qui est vestige de notre « mariage culturel colonial » avec les langues étrangères. D’autres ont connu des efforts de production des systèmes d’écriture propres, tributaires de l’alphabet phonétique international (API) et/ou de l’alphabet phonétique africain (IAI). D’autres encore, ont ingénierisé un système d’écriture spécifique qui a servi, en son temps, à la transcription et à la conservation de la langue. C’est le cas de la langue bamun au Cameroun pour laquelle le roi Njoya a inventé une écriture syllabique de 80 signes. Ce système d’écriture mérite encore une revisitation pour une exploitation à la hauteur du génie de son inventeur.

Si l’école reste le lieu par excellence de la promotion des langues et cultures, les radios communautaires, elles aussi, demeurent encore et toujours un créneau majeur d’exposition du dynamisme de chaque langue, surtout en ce moment où la transmission intergénérationnelle est en pleine décroissance et où les familles tournent le dos à l’usage des langues maternelles qui, pourtant, sont le reflet de leur identité propre. La communication de masse dont la publicité à grande échelle et les messages téléphoniques (SMS) sont aujourd’hui les puissants relais, doivent également servir à la vulgarisation des langues africaines. Aussi les signes linguistiques et sémiologiques africains dans la publicité méritent-ils d’être insérés et revitalisés dans la publoicité.

Littératures et sociétés

La littérature est le miroir de la vie sociale, des aspirations et des constructions, des attitudes et des représentations des peuples. La parole humaine, parole pensée et mise à l’écrit trahit les singuliers destins et la symbolisation sociétale qui habitent les personnages des œuvres des différents auteurs africains (Mokwe, E., Fingoué, C.) Les construits en devenir de leurs communautés, de leur environnement ou de leurs nouveaux espaces de vie sont tributaires des différences vécues à travers les chocs culturels (Mamadou Abdou, Ako Nyenty, J.) et les mythes (Tsoualla, B., Fombele, E). L’afrocentrisme, théorie et mouvement de considération des phénomènes africains dans la confection et la promotion des projets culturels a été magnifié. La parole, l’art et l’artisanat doivent être valorisés et promus au quotidien, comme des faits prépondérants de civilisation, des sources de devises et de visibilité identitaire à proposer sur le marché des échanges commerciaux et des accords de partenariats à nouer sur le plan mondial.

Les écritures romanesques, telles celles de Werewere Liking, dépeignent les mythes négatifs et négocient les relations plausibles et nouvelles de genre, de femme à homme et vice-versa en Afrique. Les destins des enfants de rue en République Sud-africaine

post-apartheid face à leurs attitudes et expositions aux crimes de tous genressont prédits et décriés. Le Cameroun, pays multilingue qui expérimente le vivre-ensemble à travers le projet de construction nationale constitue un vaste chantier. Ses écrivains à l’instar de Kuitche Fonkou, par leurs productions, en dessinent les contours. Voilà comment les littératures africaines tout en propulsant les sociétés au-devant de la scène servent de moteurs de développement.

Au total, Traditions, langues et littératures font partie du patrimoine de l’homme et participent à lui ouvrir les portes du développement. Leur gestion intelligente influe sur la qualité de la vie des sociétés quelles qu’elles soient. Ainsi, on peut objectivement dire que le devenir des peuples réside dans la prise en compte de la richesse que constitue leurs langues, leurs traditions et leurs littératures, véritables réceptacles au travers desquels transparaissent des arts d’être, de vivre et de faire, qui contribuent à l’implémentation d’un développement durable et viable. Comment imaginer une Afrique émergente sans sa racine-pivot, la culture, sous-bassement de toute forme d’industrie ? Telle est la problématique centrale qui sous-tend les contributions à ce volume enfanté par les deuxièmes journées des sciences du langage (DJSL), tenues du 1er au 03 octobre 2014 à l’Université de Douala au Cameroun

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