Cameroun, Enterrement de Mgr Jean-Marie Benoit BALA: Voici l'oraison de Vincent-Sosthène Fouda-Essomba
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Cameroun, Enterrement De Mgr Jean-Marie Benoit Bala: Voici L'Oraison De Vincent-Sosthène Fouda-Essomba :: Cameroon

Monseigneur Jean-Marie Benoit BALA a été enterré hier 3 août 2017, après L'homélie de monseigneur Joseph Akonga Essomba avant hier à la cathédrale de Yaoundé, nous vous livrons l'oraison de Vincent-Sosthène Fouda-Essomba qui pendant 69 jours s'est adressé aux camerounais pour leur faire prendre conscience qu'il "se passait quelque chose de pas normal au Cameroun" et que le décès de monseigneur BALA n'était pas un banal fait de société. 

A fara Jean-Marie Benoît Bala, A Fara Jean-Marie, A mvamba, A Ntut dip zëne, tu as été un ami fidèle, un don de Dieu par le Prof Vincent-Sosthène FOUDA

Aujourd’hui, alors qu'une lourde dalle se referme sur la dépouille de Mgr Jean-Marie Benoît BALA, nous ne pouvons qu'avaler honte et chagrin. Ce n’est pas un jour pour la politique. C'est un jour pour une autre arme, celle de l'amour et de la repentance pour les vivants. Mon devoir est de m'adresser aux vivants, de tirer le signal d'alarme face à la montée de la violence dans notre pays, cette violence qui est un fait construit institutionnellement dans le triangle national. Ne pas le dire ici c'est l'approuver!

Ce n’est pas une question d'ethnie, de religion, de genre ou encore de conditions sociales. Les victimes de la violence sont des hommes et des femmes, des enfants, des vieillards de toutes les régions de notre pays. Les victimes des violences dans notre pays sont des riches comme des pauvres, elles s'appellent Engelberg Mveng, Narcisse Ndjomo Pokam assassiné le 21 août 2006 à l'Hôtel Hilton à Yaoundé, la jeune Nicaise Bessala assassinée le 3 avril 2016. Nous ne comptons pas les milliers de victimes brûlées par des mains d'hommes et de femmes de notre communauté au nom de la justice dite populaire dans le silence et l'indifférence…

Oui, les victimes de la violence se recrutent partout et leur disparition rencontre toujours, trop souvent un écho sourd, le silence, pire l’indifférence. Aujourd'hui, c'est Jean-Marie Benoît BALA, humble et au service des autres. Ce qui est commun à toutes ces victimes, c'est qu'elles sont, avant tout, des êtres humains que d’autres êtres humains aiment et dont ils ont besoin. Personne – peu importe où il vit ou ce qu’il fait – ne peut savoir avec assurance qui souffrira de ces carnages irréfléchis et programmés. Et pourtant cela ne cesse pas dans ce pays qui est le nôtre.

Pourquoi ? La violence, qu’a-t-elle accompli ? Qu’a-t-elle créé ? Aucune cause n’a jamais été immobilisée par la balle d’un assassin. Aucun méfait n’a jamais été réglé par une émeute et le désordre civil. Ceux et celles qui assassinent, qui commanditent des assassinats, ceux qui prennent un malin plaisir à donner la mort, sont des lâches, ils ne sont pas des héros et certainement pas des serviteurs de la Nation ; et une foule non-contrôlée et incontrôlable n’est que la voix de la folie, pas celle de la raison. Même les services intelligents de notre pays n'ont pas le droit de donner la mort de manière barbare et extra-judiciaire. Faire partie des services intelligents c'est mener des enquêtes, c'est poser des questions et non assassiner à tout vent.

A chaque fois que la vie d’un Camerounais est prise par un autre Camerounais, dans la rue, dans les hauteurs de la ville de Yaoundé, dans un bosquet, dans une maison close, de manière volontaire ou pour réaliser un contrat – que cela soit accompli au

nom de la loi ou en défiant la loi, par un homme ou par un gang, de sang froid ou sous le coup de la passion, dans une violente attaque ou en réponse à la violence – à chaque fois que nous déchirons ce tissu qu’est la vie qu’un autre homme a difficilement, et du mieux qu’il peut, cousu pour lui et ses enfants, c’est la nation toute entière qui est abîmée. Nous le subissons déjà depuis trop longtemps et il nous revient ici devant tous, devant les autorités morales, devant la classe politique, devant les hommes et les femmes de notre pays de dire : trop c’est trop!

Jean Marc ELA oui l'Abbé Jean-Marc ELA dit dans Le cri de l'homme africain « que l'Église d'aujourd'hui est totalement absente de ce qui fait la vie des hommes d'aujourd'hui. Uniquement préoccupée de ses « problèmes de clercs » et toujours prête à multiplier les déclarations officielles sur «la polygamie et la dot » ou dès qu'il s'agit des questions sexuelles tandis qu'elle fait à peine écho de la pratique de la torture et des emprisonnements sans jugement, des brimades aveugles. In Le cri de l'homme africain, Paris, L'harmattan, p. 121. Jean-Marc Ela est mort le 26 décembre 2008 à Vancouver contraint à l'exil et désirant un pays qu'il a tant aimé et servi.

Alors oui, notre Église a besoin d'un aggiornamento pour jouer pleinement le rôle qui est le sien dans ce pays, celui d'élargir l’horizon de la raison et non la combattre. Il ne s'agit pas seulement de l'Église catholique qui pleure un de ses princes aujourd'hui mais de toutes les religions, les traditionnelles, héritage de nos pères qui sont là pour nous représenter toutes et tous sans exclusion et non servir les intérêts politiques d'un groupe d'oppression. Les chefs traditionnels doivent sortir du champ politique pour faire l'unité de leur communauté. Ceci est aussi vrai pour les Imams.

Le copinage des dignitaires religieux avec les forces politiques dans notre pays pousse à un désengagement culturel, à l'effritement et à la diminution du rôle social des religions dans notre pays. Les religions doivent demeurer les références morales, témoins de la présence de nos ancêtres pour certains, témoins de la résurrection pour d'autres, témoins de la grandeur d'Allah pour d’autres encore, elles ne sont pas là pour inventer un nouveau régime de présence politique dans notre pays.

La confusion des missions qui sont dévolues aux uns et aux autres déstructure le tissu social et fait perdre des repères à la société toute entière. « Notre pays est aujourd’hui une terre de suicide et de folie. Les jeunes Camerounais sombrent dans la violence des armes, d’autres s’offrent aux requins des mers dans leur tentative d’exil vers les pays du nord voire dans les pays voisins comme le Gabon et la Guinée Equatoriale. Très peu survivent et ont le courage de demander justice » écrivais-je au Saint Père François le 26 juillet 2013.

Trop souvent nous honorons les parades, les éclats et les exercices de force ; trop souvent nous excusons ceux qui ont la volonté de construire leurs vies sur les rêves anéantis des autres. Certains Camerounais prêchent la non-violence à l’étranger, mais oublient de la pratiquer ici, chez eux. Ils ne sont pas différents de ces Camerounais connectés toute la journée à parler de paix en Côte d'Ivoire, au Gabon, aux USA, au Canada et se perdent dans des discours relativistes quand il s'agit du Cameroun. De manière institutionnelle et répétitive, nous présentons des lettres

condoléances, engageons la compassion nationale au loin dans des territoires que 70% des Camerounais ne connaissent pas alors que nous gardons le silence ici à quelques kilomètres de nous quand nos soldats disparaissent en mer, quand un train fait disparaître des familles entières.

Nous parlons en permanence de paix et de stabilité, mais c'est nous qui incitons à la haine de l'autre par notre propre conduite. Certains d'entre nous cherchent en permanence des boucs-émissaires, d’autres cherchent des conspirateurs, mais tout ceci est clair : la violence engendre la violence, la répression amène les représailles, et seule la purification de toute notre société peut ôter cette maladie de notre âme.

Parce qu’il y a un autre genre de violence, plus lente mais tout aussi destructrice qu’une torture dans la nuit dans l'un des centres de torture dont Amnesty International a dénoncé l'existence dans notre pays il y a encore seulement une semaine. C’est la violence des institutions, l’indifférence, la passivité, le déclin. C’est la violence qui est infligée aux pauvres, qui empoisonne les relations entre les hommes parce que nous n’en voulons pas comme voisin, parce que c'est une femme, parce qu'il a une terre ou une femme que nous convoitons. C’est la lente destruction d’un enfant par la faim, ce sont des écoles sans livres et des maisons sans eau, sans lumière, sans père ou sans mère.

C’est briser l’esprit d’un homme en lui niant la chance d’être un père et un homme parmi d’autres hommes. Et ceci aussi nous touche tous. Oui, c'est le travail des réseaux Aujoulat dans notre pays, ces réseaux qui déstructurent la famille, base et fondement de notre vivre ensemble. Je vous ai adressé une lettre dans ce sens le 15 décembre 2015 intitulée « Remplacez la prudence par l’audace », monseigneur Samuel Kléda, vous étiez déjà président de la Conférence des Évêques du Cameroun.

Je ne suis pas là pour proposer un ensemble de remèdes spécifiques et il n’y a pas de programme clés en mains. Comme plan adéquat, nous savons ce qui doit être fait. La pédagogie se soucie de la transmission qui rend possible l'apprentissage. La sociologie apprend à faire confiance à ceux qu'elle interroge, comme aux premiers experts de leurs pratiques. L'anthropologie ne délaisse pas l'étrangeté des religions au profit des tropiques. L'histoire purifie les mémoires et les oublis qui suscitent et orientent sa quête de sens.

Pour la joie de certains, au scandale des autres, l'art contemporain dont la parfaite image dans ma mémoire est cette belle fresque du Père Engelberg Mveng qui orne l'autel de la Cathédrale Notre Dame des Victoires de Yaoundé, n'a peut-être jamais été comme aujourd'hui un vis-à-vis pour la théologie. L'art et les artistes semblent loin des dogmes catholiques voire de toutes les religions présentes dans notre pays, et la provocation n'est pas toujours ici de la plus grande profondeur. Mais l'expression de la gloire et de la cruauté du monde par les artistes interroge l'humain à la manière de la foi en son intimité.

La foi héritée de nos pères, la foi que nous avons accueillie de l'Islam et du Christianisme ne se présente plus chez nous comme étrangère, mais comme une raison élargie. Voilà pourquoi, pour le peuple des croyants que nous sommes, il ne nous reste plus qu'à en prendre conscience. Nous, peuple de croyants, il ne nous reste plus aujourd'hui qu'à sortir de

notre dépression pour inventer une nouvelle communicabilité de la foi qui la rendre perceptible dans notre monde.

Derrière certaines polémiques récurrentes, se trouve le reproche ou le regret que nos religions campent sur des frontières qu'elles ne peuvent ni abolir ni fortifier. J'en nomme trois seulement: les religions et le pouvoir, le rôle des hommes et des femmes, le dialogue des croyants et des humanismes. Ces débats ont une valeur prophétique pour la société camerounaise…

Lorsque vous enseignez à un homme à haïr son prochain et à avoir peur de lui, lorsque vous lui apprenez qu’il est un sous-homme parce que pauvre ou d'une ethnie différente de la vôtre, parce qu'il est d'une confession religieuse différente de la vôtre, lorsque vous isolez un homme parce qu'il n'est pas de la même obédience politique que la vôtre, lorsque vous lui apprenez que ceux qui sont différents de vous menacent votre liberté ou votre travail ou votre maison ou votre famille, alors vous lui enseignez aussi à considérer les autres non comme des concitoyens mais comme des ennemis, avec lesquels il ne s’agit pas de coopérer mais qu’il faut dominer afin de les réduire à l'état de sous-hommes.

Nous apprenons, finalement, à regarder nos frères comme des étrangers, des hommes avec lesquels nous partageons une ville, mais pas une communauté, des hommes liés à nous par une résidence commune, mais pas par une volonté commune. Nous apprenons uniquement à partager une peur commune, un commun désir de se replier sur soi loin l’un de l’autre, uniquement une pulsion commune de faire face aux désaccords en employant la raison du plus fort.

Pour tout ça, il n’y a pas de réponses finales. Mais nous savons ce que nous devons faire. Il faut parvenir à une vraie justice entre nos concitoyens. La question n’est pas quels programmes nous devons chercher à appliquer. La question est : pouvons-nous trouver en nous-mêmes, en notre propre cœur, cet engagement humaniste qui reconnaîtra les terribles vérités de notre existence ? Notre pays en a besoin plus que tout en ce moment. On ne construit pas une société égalitaire une société de justice sur les châteaux d'injustice et de mépris de l'autre. Jean-Marie Benoît BALA en a pris conscience, il a vécu avec cette conscience, voilà pourquoi nous l'avons supprimé.

Nous devons admettre la vanité de nos fausses distinctions entre les hommes et apprendre à avancer nous-mêmes dans la quête de l’avancement des autres. Nous devons admettre dans notre fort intérieur que le futur de nos propres enfants ne peut être bâti sur le malheur des autres. Nous devons reconnaître que cette courte vie ne peut être ni anoblie ni enrichie par la haine ou par la vengeance. Oui comme acteur politique ayant une emprise sur le peuple et le destin de la nation, nous ne pouvons-nous ériger en donneur de mort, en assassin légal et légalisé par la justice de notre pays.

Nos vies sur cette terre sont trop courtes et le travail à accomplir trop grand pour laisser cet esprit se propager encore sur notre terre, dans notre pays, oui nous sommes fatigués de voir la terre camerounaise rouge du sang des fils et filles de ce pays. Bien sûr nous ne pouvons

pas le vaincre avec un programme, ni avec une résolution. Mais nous pouvons peut-être nous souvenir, même si ce n’est que pour un instant, que ceux qui vivent avec nous sont nos frères, qu’ils partagent avec nous ces mêmes courts instants de vie, qu’ils ne cherchent, tout comme nous, rien d’autre que l’opportunité de vivre leurs vies avec résolution et bonheur, en obtenant ce qu’ils peuvent de satisfaction et d’accomplissement.

Assurément, ce lien résultant de notre foi commune, ce lien résultant de notre but commun, peut commencer à nous apprendre quelque chose. Assurément, nous pouvons apprendre, au moins, à regarder ceux qui nous entourent comme des compagnons humains, et assurément nous pouvons commencer à travailler un peu plus dur à panser les plaies parmi nous et à redevenir dans nos propres cœurs des frères et des concitoyens.

Que la mort de Jean Marie Benoit nous serve à quelque chose, qu'elle fasse pousser sur la terre camerounaise un désir de justice et de partage.

A toi, Jean-Marie Benoît BALA, A fara Jean Marie, A Mvamba, A Ntut tip zëne,

Ami fidèle que le temps n'emporte pas. Minutes, heures, jours, mois, années qui passent sont vaines. Incapable de vider l'amour en nos veines Et d'effacer ce que l'amitié nous donna. Oui, ici dans ta cathédrale, troisième évêque et premier à y être enterré, L’amitié doit être, entre autre, un moteur pour nos actions : « un ami vous permet de dépasser les limites que vous vous imposez souvent ». C’est ce que tu as fait pour moi et pour beaucoup ici.

John, tu as été un modèle d’amitié et de consanguinité, avuman, nous permettant de regarder tous les matins dans un miroir. Tu nous as montré que la plus grande des fidélités est celle où l’on est fidèle à soi-même, c’est-à-dire fidèle à ses convictions. Tu as été fidèle jusqu’à la croix.

Vincent Sosthene FOUDA Socio-politologue College of Liberal Arts and social Sciences
Houston University - Houston Texas USA

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