Cameroun, Obsèques de Mgr Jean-Marie Benoit Bala: La lettre testamentaire du Pr Vincent-Sosthène FOUDA au peuple camerounais
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Cameroun, Obsèques de Mgr Jean-Marie Benoit Bala: La lettre testamentaire du Pr Vincent-Sosthène FOUDA au peuple camerounais :: CAMEROON

Alors que les obsèques de Monseigneur Jean-Marie Benoît BALA se dérouleront du 2 au 3 août prochain à Yaoundé et à Bafia, le professeur Vincent-Sosthène FOUDA adresse une lettre testamentaire au peuple camerounais et invite à une prise de conscience collective « si nous ne voulons pas que demain ressemble à aujourd’hui. »

« Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » le langage outre-tombe de Jean-Marie Benoît BALA par le prof. Vincent-Sosthène FOUDA – Vincent-Sosthène FOUDA au secours des évêques du Cameroun aux trousses du prof Michael Tsokos ou de Merlin l’enchanteur

Chers compatriotes, c'est le 29 mai dernier que Monseigneur BALA a été soustrait à notre affection. Nous sommes aujourd’hui à plus de 60 jours après l’enlèvement et l’assassinat de Mgr BALA. Oui 60 jours comme le recommande saint Paul en parlant des veuves que nous regardons le ciel à lui demander une réponse à nos nombreuses interrogations.

Je ne m'adresse pas à vous pour attirer votre compassion sur ce pauvre serviteur de l'amour entre les hommes, car le serviteur n'est pas plus grand que son maître.

J'ai choisi de m'adresser à vous depuis cette tragique disparition, m'appuyant uniquement sur la recherche ce qui occupe 40 % de mon emploi universitaire comme enseignant et chercheur. Ce que je vous livre comme information est donc modestement le fruit de longues heures de travail dans la solitude. Ceux qui refusent le dialogue sont ceux qui ont peur de l'éclosion de la vérité. Voilà pourquoi à plusieurs reprises, ils ont porté des accusations graves sur ma personne afin de faire fermer définitivement mes deux comptes sur ce réseau social. Je l'ai appris de ma grand-mère, il vaut mieux faire envie que pitié.

J'ai une pensée préférentielle pour les faibles, les laissés pour compte, ceux desquels les riches de notre société détournent leur regard dans la rue et dans la vie de tous les jours. Mais je ne suis pas un théologien du misérabilisme, mais celui de la prise de conscience d'abord individuelle et ensuite collective et citoyenne.

CONTRE UNE THÉOLOGIE DE LA GLOIRE

Mes chers compatriotes, je ne peux vous donner que ce que j'ai de meilleur en moi, ce que j'ai appris, pendant mes cours de théologie à l'université catholique de Paris et à la faculté protestante de la même ville; je me souviens alors avoir expérimenté avec mes enseignants et deux autres camarades, les écrits du Nouveau Testament, sur le refus d’une théologie de la gloire. Elle est présente aussi bien dans l’épître aux Philippiens qui chante un Christ Jésus qui n’a pas cherché à se prévaloir de sa condition divine pour surpasser son monde (ch. 2). Il a pris une forme de serviteur, devenant semblable aux hommes, jusqu’à la mort. Ce thème de la mort et plus précisément de la mort sur une croix est présente chez Paul qui affirme qu’il a prêché le Christ crucifié (1 Co 1/23) et un peu plus loin qu’il n’a « pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (1 Co 2/2). Cela s’accorde, évidemment, avec l’attitude de Jésus rapportée par les évangélistes, qui ne s’est pas révolté d’être mis au nombre des malfaiteurs (Luc 22/37). Jésus n’a donc tiré aucune gloire personnelle, ce qui est la marque du messie, serviteur souffrant dans la veine de ce qu’en dit le prophète Esaïe : « Il n'avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards, et son aspect n'avait rien pour nous plaire. (Es 53/2) ». Et nous pourrions remonter à la figure de Joseph, dans le livre de la Genèse, pour constater que celui par lequel le salut arrive est la figure de l’humble, de celui qui n’a aucune superbe, à l’image de David dont personne ne soupçonne qu’il est l’élu de l’Éternel. Celui qui fait la volonté de Dieu n’est pas reconnaissable à son apparence glorieuse.

C'est le cas de Jean-Marie Benoît BALA aujourd'hui, les circonstances des rencontres de la vie l'ont mis sur mon chemin, faible et pauvre parmi les faibles et les pauvres, je l'ai déjà souligné dans mes interventions précédentes. J'ai vu beaucoup de pauvres dans ma vie et j'ai vu Jean-Marie Benoît BALA pauvre dans la joie, donnant la main au plus faible et fidèle dans l'engagement et l'amitié, ce qui manque beaucoup à notre monde d'aujourd'hui. Alors je ne suis point surpris de ce déploiement au sein de l'appareil d'État de notre pays pour écraser le plus faible et l'humilier, l'humilier et lui donner la mort, lui donner la mort et l'humilier.

Le Cameroun lui-même est capable de produire de faux experts d’Interpol pour une fausse autopsie sur la dépouille du « serviteur de la pauvreté ». Car oui il faut enfin reconnaître que l’expertise d’Interpol est la plus grande duperie politique de ces 30 dernières années dans notre pays où un romancier allemand auteur de « L’inciseur » aux éditions de l’Archipel bien que médecin légiste n’est pas et n’a jamais été le Directeur de l’Institut Médico-Légal de Berlin comme on veut nous le présenter.

La gloriole n’est pas dans la tradition chrétienne. Jean-Marie Benoît BALA le savait, lui qui a été élevé par les religieuses du Saint Cœur de Marie de Mbalmayo, ces femmes parties de leur Québec natal avec certainement de bonnes intentions. Je ne dis pas qu'il n'y ait jamais eu de quête de gloriole dans l'Église. Cependant, quand ce fut malencontreusement le cas, cela a provoqué des réformes, avec les risques d’austérité que cela suppose. On a peut-être compris 2 Co. 12 à l’excès au XVIème siècle, Martin Luther s’astreignant à une discipline de fer pour plaire à Dieu.

La gloire est à Dieu, pas à ses lieutenants. Nous le vivons avec Jean-Marie Benoît BALA. C’est la raison pour laquelle Paul va disqualifier les « super apôtres » auxquels il fait face. Paul récuse le spectaculaire, l’ostensible comme attestation d’une proximité avec Dieu. A vrai dire, nous pourrions tous nous vanter de quelque chose, nous pourrions tous participer au grand concours de celui qui a bénéficié d’une grâce divine. Chacun a son expérience du paradis, chacun a sa part d’ineffable. Dieu accorde ses dons à tous, mais tous n’en font pas étalage. Dieu aime chacun, mais tous n’en font pas un motif de fierté personnelle ni leur fonds de commerce. Je crains au fond de moi que ceux et celles qui font commerce de l'assassinat de Monseigneur Jean-Marie Benoît BALA vous vendent du « chintock » comme disent mes filles, une brillance éphémère, une brillance de quelques heures ou tout au plus de quelques jours.

OPTION PRÉFÉRENTIELLE POUR LES FAIBLES

Paul refuse clairement la gloire et la vantardise au profit d’une théologie qui s’exprime à travers la faiblesse, ce que le texte grec nomme l’asthénie. La faiblesse est, selon Paul, le lieu où le divin s’exprime par excellence. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort », car la « puissance [de Dieu] s’accomplit dans la faiblesse » : Dieu vient à nous sous les traits d’un nouveau-né qui n’a même pas de place pour naître convenablement. Dieu vient à nous sous les traits de prophètes qui, comme Jean Le Baptiste, devaient faire peur. Dieu vient à nous par Moïse le bègue, par Jacob le fourbe, par Jonas le trouillard, par ces traîtres de disciples de Jésus. Alors rien ne devrait nous surprendre face à l'attitude des plus forts d'entre nous. Le salut entre par ce voleur de Zachée, par Jean-Marie Benoît BALA, par vous qui aujourd'hui regardez le ciel et vous vous dites : ce n'est pas possible parce que la conscience en vous vous le dicte. Le paradis est promis au brigand condamné à mort avec Jésus. Faiblesse, faiblesse, faiblesse. Ce ne sont pas des surhommes qui manifestent le divin, mais ce que notre monde compte de moins glorieux. Les textes bibliques développent une option préférentielle pour les faibles. Jésus dira, selon les évangélistes : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler à la repentance des justes, mais des pécheurs (Lc 5/31-32). »

Le christ Jésus n’est pas venu pour les bien portants, mais pour les malades, les nuls, les exclus, les faibles. Il y a dans la perspective biblique une option préférentielle pour les faibles, pour ce qui a le moins de poids dans la société, ce qui s’affirmait déjà avec Abel, « buée », qui aura une postérité malgré sa fragilité constitutive et la violence qu’il subira. Cela se confirmera par la suite : l’Éternel prend soin de ceux qui sont menacés de famine, de stérilité, d’extinction. Dieu ramène à la vie ce qui est menacé, ce qui est desséché, fut-ce un peuple qui ne valait pas plus que des ossements secs. L’Éternel fait advenir ce qui n’a que peu d’intérêt pour le regard superficiel des hommes.

A vrai dire, l’option préférentielle pour les faibles, c’est une manière de dire l’option préférentielle pour l’humanité. Y a-t-il une terre qui ait plus besoin d'humanité aujourd'hui que la terre camerounaise? Que notre patrie? Que ce soit Qohelet qui dit que buée des buées, tout est buée, tout est fragilité, que ce soit le Psaume 103 qui, s’intéressant à la nature humaine en vient à dire : « L'homme? Ses jours sont comme l'herbe, Il fleurit comme la fleur des champs. Lorsqu'un vent passe sur elle, elle n'est plus, et le lieu qu'elle occupait ne la reconnaît plus (Ps 103/15-16). » Prétendre posséder une

force naturelle relève purement et simplement du déni. La condition de l’homme est fragilité, vulnérabilité, ce que les réformateurs du XVIème siècle n’hésitaient pas à nommer le péché et qu'ils ont eux-mêmes repris chez les Pères de l'Eglise comme Irénée de Lyon. L’option préférentielle pour les faibles, c’est John Bost qui disait : « Ceux que tous repoussent, je les accueillerai au nom de mon maître ». C'est ce que nous avons appris de Baba Simon et de son disciple Jean-Marc ELA.

L’option préférentielle pour les faibles, c’est l’attention portée à l’homme, à l’homme véritable et non l’homme qui se prétend invulnérable, au-dessus de tout, pensant bénéficier d’une impunité absolue comme le sont et le pensent ceux qui commanditent des assassinats dans notre pays depuis plusieurs années. L’option préférentielle pour les faibles, c’est le soin pour tous, c’est la grâce pour tous, tous partageant cette même condition. « Va avec la force que tu as (Jg 6/14) » est-il dit au petit Gédéon, et non « va avec une prétendue puissance » qui ne serait que le fruit d’une mythomanie.

LA GRÂCE, ŒUVRE DE JUSTICE INFINIE

La grâce pour tous n’a pas les mêmes effets pour tous. Nous n’en sommes pas tous au même point de notre cheminement spirituel, de notre humanisation. La grâce est un soin personnalisé, qui correspond à cet oracle d’Esaïe : « je t’appelle par ton nom (Es 43/1; 45/3,4). » La grâce, c’est fournir à quelqu’un ce dont il a profondément besoin et non ce qui nous fait plaisir d’offrir. Voilà pourquoi l'assassinat de Jean-Marie Benoît BALA nous parle.

La grâce est cet amour différencié, qui tient compte des situations individuelles. C’est une dynamique de la justice au sens biblique. Là où nous pensons la justice principalement comme l’action de condamner le coupable, la justice est ce qui permet d’identifier la victime, de la reconnaître comme victime, et de la restaurer autant que possible dans son intégrité. Le premier Testament fourmille de l’expression « Dieu fait droit à la veuve et l’orphelin, il aime l’étranger - les trois figures les plus fragiles de la société - il fait droit à l’opprimé (Dt 10/18; Ps 10/18; 35/23; 82/3; 10/6). » Jean-Marie Benoît BALA était orphelin dès l’âge de 8 ans de père et dès l’âge de 19 ans de mère.

C’est par exemple le sens de l’Exode qui consiste à libérer le peuple opprimé et à lui rendre la possibilité de célébrer le culte, c’est-à-dire à avoir une vie qui peut s’épanouir dans toutes ses dimensions. C’est une démarche infinie, car nous pouvons toujours progresser dans notre humanité, dans notre développement personnel, à la manière du peuple hébreu qui n’en finit pas de se libérer de la maison de servitude, au même titre qu’il n’en finit pas d’entrer en terre promise.

Ajoutons que cela ne doit pas se faire au prix d’un masochisme infini. L’option préférentielle pour la faiblesse ne doit pas conduire à affaiblir ceux que nous rencontrons, ni à chercher pour nous-mêmes toutes sortes d’outrages, de privations, de persécutions et d’angoisse, pour reprendre les termes de l’apôtre Paul. Il ne s’agit pas de pratiquer l’affaiblissement général au prétexte que cela nous permettrait d’être d’autant plus justifiés, d’autant plus au bénéfice de la grâce divine, ni à comprendre de travers le propos de Martin Luther qui disait plus je pèche, plus je suis pardonné.

Se plaire dans les faiblesses (v. 10) ne consiste pas à les chercher à tout prix. Cela consiste à ne pas nier ce que nous sommes - Abel - pour bénéficier de tout ce qui est promis à l’homme : la grâce d’être relevé, la grâce d’être restauré dans sa dignité, la grâce de devenir quelqu’un capable de certains accomplissements.

Contrairement aux super apôtres, Paul ne manifeste aucun orgueil, aucun complexe de supériorité, bien au contraire, il témoigne plutôt d’une sorte d’humilité maladive, se contentant de prier Dieu de changer sa situation : cela signifie qu’il pressent que sa vie pourrait être autre chose, qu’il y a une distance entre ce qu’il pourrait accomplir et ce qu’il accomplit effectivement.

En s’abstenant de considérer Paul, en n’ayant probablement que mépris pour lui, les super apôtres s’enferment dans une posture arrogante, et du même coup ils se privent de la richesse intérieure de Paul; ils se privent de sa force de convictions, de son engagement au service de l'évangile, ils se privent aussi d’une compréhension de l’humanité qui leur fait cruellement défaut. Au lieu de se mettre à l’école de la faiblesse, les super apôtres s’enferment dans leur propre représentation du monde, ils se coupent de l’humanité véritable - que nous savons faible par nature - ils deviennent sectaires. Paul, lui baisse la garde en se présentant face à l’ultime, il ne s’enferme pas dans une superbe. Et c’est par cette humilité véritable qu’il va pouvoir recevoir ce que le théologien Paul Tillich appelle le courage d’être, ce courage qui nous permet d’accepter d’être acceptés en dépit du fait que nous sommes inacceptables.

« Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort ».

Gens de chez moi, peuple du Cameroun dans nos tribus, dans nos villages, dans nos convictions et certitudes, voilà comment j'ai vu Jean-Marie Benoît BALA. N'est-il pas un des nôtres? Ne vaut-il pas notre engagement pour que demain soit meilleur? Oui qui ira en terre le 3 Août prochain? Jean-Marie Benoît Bala ou quelqu’un d’autre? Tous les corps inertes sont pareils me disait ma grand-mère, ce qui est important est qu’on sache que l’assassinat de Jean-Marie Benoît Bala ouvre le Cameroun à une longue période d’incertitude qui appelle à une longue psychanalyse collective pour que demain ne ressemble point à aujourd’hui.

Prof. De Sciences Politiques
Licencié en théologie

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