Union Africaine : du postulat d’une communauté proactive au primat d’une intergouvernementalité rétive
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Le 29ème Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine (UA) s’est tenu du 3 au 4 juillet 2017 dernier à son Siège à Addis-Abeba en Ethiopie. Les travaux dudit sommet se sont structurés autour de plusieurs pôles de préoccupations, dont notamment la réforme de l’Union en vue de son autofinancement, le renforcement de ses moyens de lutte contre le terrorisme et l’insécurité (G5 Sahel), l’implémentation des résolutions de la Cop 21 sur la protection optimale de l’environnement et, dans une moindre mesure, les questions migratoires et la situation du Sahara Occidental portées par le représentant du Royaume du Maroc, le prince Moulay Rachid, frère du Roi Mohammed VI.

Il se trouve pourtant, à l’analyse distancée, que le sort du continent dépend bien moins de l’action de l’Union que des projections internationales des intérêts nationaux des Etats Membres, voire de paradigmes extra africains. L’on pourrait, sans prétention d’exhaustivité, loin s’en faut, mettre en lumière quelques réalités illustrant cette prégnance de l’intergouvernementalité sur la communauté au sein de l’UA.

1- Autofinancement de l’Union dépendant des politiques fiscales ou douanières de chaque Etat Membre

Le fonctionnement de l’UA dépend jusqu’à présent des contributions financières extérieures provenant essentiellement (plus de 80% de son budget de fonctionnement) de l’Union Européenne, des Etats-Unis d’Amérique et du Japon. Cette situation ne faciliterait pas assez l’autonomie et l’efficacité de l’Union. Au bout de plusieurs années de réflexions, de concertations et de négociations, elle était pourtant finalement parvenue, au sortir de son 27ème Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement (tenu en juillet 2016 à Kigali au Rwanda), à l’adoption d’une résolution tendant à son autofinancement.

Cette mesure repose sur le prélèvement d’une taxe de 0,2% sur les importations de produits non africains, dite « taxe Kaberuka », du nom l’ancien président de la Banque africaine de développement (BAD). Sans attendre de prélever ladite taxe le Chef de l’Etat du Zimbabwe, Robert Mugabe, a d’ailleurs prêché par l’exemple en octroyant volontiers à l’UA une contribution d’un million de dollars US, issus de la vente aux enchères de trois cents bovins.

Il se trouve néanmoins, à l’issue de son 29ème Sommet qui s’est achevé le 4 juillet 2017, que la mise en œuvre de cette taxe prévue, certes glorieuse dans sa finalité, bute encore sur deux obstacles majeurs.

Elle violerait tout d’abord les principes de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), auxquels ont également adhéré les Etats Membres de l’Union. Pour contourner cet obstacle juridique, d’aucun suggère qu’il reviendrait à chaque Etat Membre d’instituer, dans le cadre de sa politique fiscale ou douanière interne, ladite taxe autrement désignée, puis la reverser dans les caisses de l’Union : une taxe communautaire dépendant donc du bon vouloir et des pirouettes de chaque Etat Membre.

Elle compromettrait ensuite les intérêts nationaux de certains Etats Membres, notamment ceux ayant un niveau relativement élevé d’importation de produits externes au continent africain, à l’exemple de l’Afrique du Sud, de l’Egypte ou du Nigeria. Ils s’y sont fermement opposés fermement au cours du récent Sommet, tandis que bon nombres d’autres Etats Membres tels la Côte d’Ivoire (taxe instituée et entrée en vigueur depuis le 1er juillet 2017), le Cameroun ou la Guinée Conakry sont favorables à la mesure.

2- Adhésion concomitante des Etats Membres à plusieurs CER

L'Union Africaine comprend huit organes sous-régionaux — les Communautés économiques régionales (CER) — piliers de la Communauté économique africaine créée en 1991 par le Traité d'Abuja dans le but de fournir au continent un cadre général pour son intégration économique.

Ces CER sont : l’Union du Maghreb arabe (UMA), la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), le Marché commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe (COMESA), la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD).

Quatre CER parmi huit sont encore dans la phase pré-zone de libre échange (IGAD, CEN-SAD, CEEAC, UMA), tandis que l’on observe des problèmes de chevauchement des Etats inhérents à leur appartenance à plusieurs CER, le tout sur fond de projection des intérêts nationaux, au détriment de la coordination et de l’harmonisation des actions de l’UA. L’on observe ainsi des Etats Membres de l’UA appartenant à la fois à la CEDEAO et à la CEN-SAD (tels le Niger, le Burkina-Faso et le Nigeria), à la CEEAC et à la CEN-SAD (tel le Tchad), à l’UMA et à la CEEAO (tel le Maroc voire la Tunisie admise en qualité d’Observateur).

3- Obstructions étatiques aux interventions de l’Union

Adopté à Lomé au Togo le 11 juillet 2000, l’Acte constitutif de l’Union Africaine, dont tous les 55 Etats du continent africain sont désormais Membres, y compris l’Etat du Burundi, pose le principe de l’intervention militaire par l’Union dans les Etats membres le cas échéant : L’Union peut intervenir dans un Etat Membre sans son accord, sur décision de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement prise à la majorité qualifiée des deux tiers des votants.

Il ressort ainsi dudit Acte constitutif que « Le droit de l’Union d’intervenir dans un Etat membre sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité » (Art. 4, h).

En application de ces dispositions et dopé par la fermeté dont fit montre la Présidente de la Commission, Nkosazana-Dlamini-Zuma, voire d’autres dirigeants africains dont Idriss Deby du Tchad, Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA autorisa en 2015 l’envoi d’une mission de 5.000 Hommes au Burundi en vue stopper les violences dans ce pays. Réuni le vendredi 18 décembre 2015 à Addis-Abeba, le CPS avait à cet effet, tel qu’il ressort de son communiqué publié le même jour, décidé « d’autoriser le déploiement d’une mission africaine de prévention et de protection au Burundi (Maprobu), pour une période initiale de six mois, renouvelable », et avait demandé « au gouvernement du Burundi de confirmer dans les 96 heures suivant l’adoption de ce communiqué qu’il accepte le déploiement de la Maprobu et de coopérer avec elle. » (Cf. « Burundi : l’Union africaine autorise le déploiement d’une mission de 5 000 hommes », compte rendu in Le monde.fr avec AFP, 19/12/2015).

Cette mission devait comprendre des soldats et policiers ainsi qu’une composante civile, et intégrer les observateurs des droits de l’Homme et experts militaires déjà déployés au Burundi. Son intervention devait s’opérer suivant quatre axes principaux : éviter « la détérioration de la situation sécuritaire », contribuer « à la protection des populations civiles en danger immédiat », aider à créer les « conditions nécessaires » à la réussite d’un dialogue inter-burundais, et faciliter « la mise en œuvre de tout accord » auquel parviendraient les différentes parties.

Le CPS menaçait en outre de prendre des « mesures supplémentaires » en cas d’opposition des dirigeants burundais à ce déploiement militaire, lesquels ne cessaient de dénoncer l’immixtion de la communauté internationale dans leur gestion de cette crise politique dans laquelle sombrait cet Etat depuis huit mois. Plus explicitement, le CPS insistait sur sa « détermination à prendre toutes les mesures appropriées contre toutes parties ou acteurs, quel qu’ils soient, qui empêcheraient la mise en œuvre de cette présente décision. »

Les dirigeants burundais s’opposèrent fermement à cette intervention et elle n’eut jamais lieu. Et des violences pétries d’atrocités innommables s’y déroulent jusqu’à présent. Et le Tanganyika est toujours rempli d’eaux et de sang, sous les doux regards de l’Union Africaine.

4- Poids jupitérien de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement

Dans l’encadrement juridique comme dans le fonctionnement de l’UA, tout part de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement et vient à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, laquelle « prend ses décisions par consensus ou, à défaut, à la majorité des deux tiers des Etats membres de l’Union […] Le quorum est constitué des deux tiers des Etats membres de l’Union pour toute session de la Conférence. » (Art. 7, al. 1er et 2ème du Traité constitutif de l’UA).

Le Traité constitutif de l’UA consacre encore plus explicitement la prééminence voire le plomb momifiant de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, laquelle est seule compétente pour [Art 9 al.1(b)] « recevoir, examiner et prendre des décisions sur les rapports et les recommandations des autres organes de l’Union et prendre des décisions à ce sujet », mais également pour [Art 9 al.1(e)] « assurer le contrôle de la mise en œuvre des politiques et décisions de l’Union, et veiller à leur application par tous les Etats membres. »

Ce pouvoir jupitérien rejaillit naturellement sur le fonctionnement de toutes les institutions de l’Union, y comprises celles à caractère juridictionnel. A titre d’illustration, le Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples (Cour ADHP) s’inscrit logiquement dans ce canevas en disposant d’une part que (Art. 30) « les Etats parties au présent Protocole s'engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige où ils sont en cause et à en assurer l'exécution dans le délai fixé par la Cour », et d’autre part que (Art. 31) « la Cour soumet à chaque session ordinaire de la Conférence un rapport annuel sur ses activités. Ce rapport fait état en particulier des cas où un Etat n'aura pas exécuté les décisions de la Cour. » Mieux encore, (Art. 29 al. 2ème) « Les arrêts de la Cour sont aussi notifiés au Conseil des Ministres qui veille à leur exécution au nom de la Conférence. »

Par conséquent, le devenir des Arrêts de ladite Cour, faute de sanctions objectives à l’encontre des Etats en cas d’inexécution, demeure tributaire des orientations de la Conférence dont le fonctionnement, en l’absence de moyens de contraintes directes entre homologues, suivrait davantage des logiques de concertation et de consensus que celles des injonctions juridictionnelles.

Ainsi, l’Arrêt rendu le 5 décembre 2014 par ladite Cour dans l’Affaire Lohé Issa Konaté contre Etat du Burkina-Faso ordonnait, entre autres, l’abrogation par cet Etat des peines privatives de liberté en répression du délit de diffamation, ce dans un délai maximum de deux ans : le 5 décembre 2016 ces peines n’étaient toujours pas abrogées, pourtant le soleil se lève et se couche aux mêmes endroits dans le ciel burkinabé.

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