Bernard Ouandji : « L’assistance du FMI ne va pas combler le déficit budgétaire »
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L’économiste décrypte la lettre d’intention du gouvernement camerounais adressée le 16 juin dernier au Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre d’un programme économique triennal (2017-2019) entré en vigueur le 27 juin 2017.

Quelle analyse faites-vous de la lettre d’intention du gouvernement camerounais au FMI dans le cadre du programme triennal que le Cameroun vient de signer ?  
C’est une procédure qu’on avait initiée à partir des années 1980 ou le début des années 1990.  Parce que toutes les années 70-80, on accusait le FMI d’imposer ses programmes aux pays bénéficiaires de son assistance. On disait même que ce sont les mêmes programmes qu’on impose en Albanie, en Yougoslavie, au Congo-Kinshasa, et on change seulement le nom du pays. Donc, on les a tellement accusés qu’ils ont demandé aux Etats d’élaborer eux-mêmes leur programme. C’est pourquoi, on demande au gouvernement camerounais de dire ce qu’il veut faire. La lettre d’intention signifie qu’il y a appropriation nationale des réformes économiques à mettre en oeuvre.  

Le Cameroun s’apprête-t-il à vivre des jours douloureux comme lors de la période de l’ajustement structurel à la fin des années 1980, début des années 1990 ?
Les jours sont douloureux mais, ce n’est pas la faute aux partenaires. Le président français l’a rappelé il y a quelques jours à Bamako. « Cessez d’accuser le France, ou le FMI, ou le FCFA qui proviennent de vos propres erreurs, qui proviennent des défauts de prévision et d’analyses ». Et actuellement, le Rdpc a trop d’ ngagements politico-financiers. Et je vais même être plus précis : le président de la République a trop d’engagements politico-financiers. Et pour ces engagements, en vue de sa réélection peut-être. Il faut dépenser beaucoup d’argent, malheureusement, les caisses sont vides. Et malheureusement aussi, ce n’est pas l’assistance de 666 millions de dollars du FMI qui vont combler le déficit budgétaire. Car, ce déficit est déjà de 1300 milliards de FCFA et c’est comme ça depuis 4 ans. Et cela est dû par l’accumulation de la dette intérieure. Parce qu’avec les bailleurs extérieurs, on fait tout pour les payer, mais les PME, les fonctionnaires qui sont détenteurs des bons bleus, les retraités, ce sont eux qu’on ne paie pas. Et je suis désolé de dire que dans la lettre d’intention du Premier ministre, je ne vois pas ce qu’ils ont prévu pour apurer ou désintéresser les 1300 milliards de dette intérieure. Car, c’est ça qui peut relancer l’économie.

Pourquoi le Cameroun est retourné au FMI malgré 20 ans d’ajustement structurel ?
C’est le manque de capacité nationale pour suivre et comprendre les marchés internationaux sur lesquels nous envoyons nos matières premières ou les matières semi-transformées. Semitransformées parce que vous avez l’aluminium. C’est un marché spéculatif. Actuellement, le prix de l’aluminium produit par Allucam, est de 40% inférieur à ce qu’il était il y a cinq ans. Donc, la baisse des prix des matières premières et du pétrole que nous citons comme principale cause des difficultés nous obligeant à retourner au FMI, est comme la baisse du prix des matières premières. Donc, nous manquons de capacité au niveau de notre gouvernement pour suivre les marchés et prévoir, sur l’évolution de ces prix. Et, nos planificateurs au niveau du gouvernement, quand le prix a atteint 1000, ils se disent que ça va monter à 2000, et quand c’est à 2000 ça va monter à 4000. Depuis des années, notre budget est déficitaire. Le budget du Cameroun ne fait que galoper, sans tenir compte de la conjoncture fluctuante.

Est-ce le pilotage à vue au Cameroun dans ce cas ?
Nos dirigeants n’ont pas les capacités parce qu’ils n’ont peutêtre pas des études pour prévoir. Beaucoup de gens qui décident en économie au niveau du gouvernement sont des universitaires. Ils ont des doctorats en économie, ils sont des agrégés en économie, d’autres ont fait l’Enam [Ecole nationale d’administration et de magistrature], mais ils n’ont pas étudié le business cycle. Ils n’ont pas étudié les marchés spéculatifs. Ils ne connaissent pas les marchés à terme. Le marché de cacao, celui du pétrole, sont des marchés à terme, les marchés spéculatifs. Il y a déjà beaucoup d’outils aujourd’hui qui permettent de se prémunir contre les risques de faillite, contre les risques de baisse de cours. Mais ceux-là, on les apprend quand on fait l’Ecole supérieure de commerce ou bien quand on fait le MBA. Pas en cycle de doctorat ou cycle d’agrégation en économie. Bref, les capacités de ceux qui pilotent l’économie du Cameroun, sont insuffisantes. Ils ne maîtrisent pas les marchés internationaux ou les marchés spéculatifs.

Est-ce que vous pensez qu’en réduisant le train de vie de l’Etat, on pourra sortir de cette crise qui a obligé le Cameroun à recourir au FMI ?
Je vais vous prendre l’exemple de Vladimir Poutine. La Russie est aussi un pays largement exportateur de matières premières comme le Cameroun. Dès novembre 2014 quand les services de renseignement ont compris que la baisse du cours du pétrole était amorcée et durable, Vladimir a immédiatement dévalué sa monnaie de 31 Roubles pour 1 dollar, à 60 Roubles pour un dollar. Ce qui lui a permis de renforcer les recettes en roubles. Puisqu’il paie ses fonctionnaires en rouble. Il paie les dépenses courantes de l’Etat en Rouble. Donc, ça lui a permis de gonfler ses recettes en Rouble et le paiement des salaires, la consommation locale en monnaie locale. Certes, il leur donne maintenant une monnaie qui a perdu 50% de sa valeur vis-à-vis de l’extérieur, mais toujours estil qu’à l’intérieur, il a pu maintenir ses engagements et maintenir l’équilibre de l’enveloppe du budget des recettes et les dépenses.

Ça signifie que vous militez pour la monnaie binaire ?
La monnaie binaire existe déjà.  Ça s’appelle la dollarisation. Dans tous les pays du monde, on appelle ça la dollarisation. C’est-à- dire qu’il y a une monnaie locale qui est inconvertible, qu’on ne peut pas envoyer librement à l’extérieur, et puis, il y a l’utilisation du dollar ou de l’euro, pour les achats courants par les citoyens nationaux. C’est impossible d’avoir une monnaie binaire au Cameroun qui n’exporte pas. Car, dès que l’Etat va donner deux millions de FCFA à un fonctionnaire à Douala, il va donner ça à un commerçant, qui va prendre la pirogue pour payer le carburant à Bakassi ou au Nigeria. Et le commerçant nigérian va prendre cette monnaie binaire-là, etc., c’est impossible d’avoir une monnaie qu’on n’utilise que dans l’espace géographique du Cameroun. Cette monnaie va s’exporter d’une manière ou d’une autre.

Devrait-on s’attendre à la baisse des salaires ou l’austérité en générale ?
J’ai peur que le président ne soit pas capable de mener le programme avec le FMI au bout, parce qu’il doit contenter son personnel. Les gouverneurs ont eu leurs véhicules, les sous–préfets attendent aussi. Il faut organiser la Coupe d’Afrique des nations de football en 2019, il y a l’élection présidentielle, etc.

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