MANOEUVRES : La Bicec lutte contre un redressement fiscal
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La banque fait pression sur les autorités camerounaises pour échapper au paiement des impôts, évalués à plusieurs milliards de francs CFA, nés de la vaste fraude décelée en son sein en 2016.

La Commission bancaire d’Afrique centrale (Cobac) qui a mené, en mars 2016, une enquête à la Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit (Bicec) avait prévenu: les conséquences immédiates et avenirs pour la banque, de la fraude et des détournements découverts en son sein quelques mois plutôt, seraient nombreuses. Outre la chute de son résultat net (voir page 11) et un risque de révision de sa note, le régulateur du secteur y voyait aussi un possible «redressement fiscal» du fait de «la sous-évaluation des bénéfices réalisées sur les périodes antérieures».

Doléances

Anticipant sur ce redressement qui devrait concerner la période 2003-2015, la filiale camerounaise du groupe français Banque populaire – Caisse d’épargne (BPCE) adresse le 07 novembre 2016 une demande de rescrit au ministère des Finances (Minfi). En d’autres termes, elle sollicite un arrangement avec le fisc au sujet de l’impact fiscal de la fraude. Concrètement, l’institution financière souhaite notamment une régularisation (reversement) de la TVA (taxes sur la valeur ajoutée) initialement déduite sur les immobilisations volées et un rabattement aussi bien de l'impôt sur les sociétés (IS) que de l'impôt sur les revenus des capitaux mobiliers (IRCM) engendrés par la magouille.

Pour justifier cette demande, les responsables de la Bicec évoquent la contribution de l’établissement à l’économie du pays et le fait que les employés qui ont commis le forfait ne seraient pas «représentatifs» du top management. Jusqu’ici, officiellement, une dizaine de personnes ont été limogées à cause de ce scandale. Parmi elles, le directeur général adjoint, Innocent Ondoa Nkou et le directeur de la comptabilité et de la trésorerie, Samuel Ngando Mbongue, actuellement en détention. Mais d’autres responsables au sommet de l’organigramme de BPCE International, la branche chargée de gérer les filiales du groupe français à l’étranger, pourraient bien être concernés par l’affaire.

Le site d’informations français Mediapart fait en effet un lien entre ce détournement et les mutations intervenues à BPCE International en fin d'année 2016. A cette période, Philippe Garsuault a quitté son poste de directeur général de BPCE International, occupé depuis 2011, pour celui de conseiller du directeur du pôle banque commerciale et assurance du groupe BPCE. Son adjoint, Alain Merlot, lui a été reversé à la tête de la filiale malgache du groupe. Il a occupé la position clé de secrétaire général de la Bicec de 1999 à 2006. Pierre Mahé qui dirigeait BPCE Madagascar a été relevé de ses fonctions et une procédure de licenciement déclenchée contre lui. Il a été directeur général de la Bicec de 2012 à 2015.

Menaces

Le 17 mars 2017, lorsque le conseil d’administration de l’établissement de crédits se réuni à Paris, le Minfi n’a toujours pas donné suite au courrier à lui adressé par l’institution financière. Ce qui provoque l’ire de la direction générale de la branche internationale de BPCE qui détient 68,5% des parts de la Bicec. Séance tenante, le groupe monte le ton: «monsieur Levayer, directeur général de BPCE International, rappelle que l’impact de la fraude est conséquent et que BPCE International soutient la proposition faite sur le rescrit.

Par ailleurs, le groupe souhaite continuer à investir dans sa filiale camerounaise, mais si aucun accord n’était trouvé, cela pourrait avoir pour conséquence une remise en cause de la présence du groupe BPCE au Cameroun. Il est donc essentiel de trouver un accord équilibré pour permettre à la Bicec de continuer d’investir», peut-on lire dans le procès-verbal (PV) de cette réunion. Alain Ripert, nommé DG de la Bicec en début d’année 2016, ajoute même «qu’il est impératif d’avoir une réponse sur ce sujet avant l’assemblée générale ordinaire qui aura lieu le 31 mai à Yaoundé».

En réponse, les administrateurs camerounais essayent de rassurer. Jean-Baptiste Bokam, le secrétaire d’Etat à la Défense, qui préside le conseil d’administration de Bicec, «confirme la volonté de l’Etat camerounais d’arriver à un accord en matière de rescrit». «Le ministre des Finances a déjà affirmé qu’il n’était pas dans son rôle de laisser tomber des entreprises comme la Bicec», assure pour sa part le représentant de l’Etat du Cameroun. Constant Metou’ou Amvela, pour qui «le sujet est aujourd’hui sur un terrain diplomatique», promet alors que «la déductibilité devrait être complète ».

Bras de fer

Sauf que quand la réponse de la direction générale des impôts (DGI) tombe, il n’en est rien. En effet, dans l’accord transactionnel signifié à la banque par lettre N°3757/ Minfi/DGI/DGE/CGS du 19 mai 2017, l’administration fiscale réaffirme «le principe de non régularisation de la TVA sur les vols des immobilisations ». Pour justifier sa décision, le fisc s’appuie sur l’article 145 du code général des impôts. Cet article dispose que «le reversement de la taxe sur la valeur ajoutée, initialement déduite, est intégralement exigé en ce qui concerne les services et biens ne constituant pas des immobilisations (…)». Les impôts demandent aussi à la  Bicec de renoncer au «droit à l’imputation ultérieure du déficit fiscal accusé au terme de l’exercice 2016» du fait des détournements et de la fraude intervenus dans l’établissement.

Par contre, les services que dirigent Modeste Mopa astreignent la Bicec à payer 2,5 milliards de francs CFA en régularisation de l’IS et de l’IRCM minorés du fait de cette filouterie. Selon nos informations, cette somme ne représente pas la totalité du montant que la banque devrait payer. Le fisc s’est donc tout de même montré généreux en réduisant l’addition. Cette amabilité, prévue par la loi, tient-on à préciser à la DGI, est justifiée par le fait que l’Etat est le deuxième actionnaire de cette banque avec 17,5% de parts. Mais cette décision n’est pas du goût de la Bicec.

L’établissement bancaire n’a pas l’intention de s’acquitter de la somme arrêtée par l’administration fiscale. La non comptabilisation de cette dépense dans les comptes arrêtés en date du 31 décembre 2016 figure parmi les réserves formulées par les commissaires aux comptes dans leur rapport général. D’ailleurs le groupe BPCE, estime que l’accord transactionnel ne marque pas la fin des négociations (voir interview). Pour comprendre cette témérité, il faut savoir que les pertes liées à cette fraude sont supportées par les actionnaires au prorata de leurs participations.

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