Dominik Fopoussi « C’est le rêve qui rend l’intrigue de “Châtiments névrotiques” recevable »
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Dominik Fopoussi vient de commettre un ouvrage : « Châtiments névrotiques ». L’auteur nous montre un reflet de notre hideur désertée. Un nouveau-né qui déjà captive toutes les attentions et suscite moult curiosités. Quintessence.

Comment rêvez-vous ?
Eveillé. J’essaie de ne pas être la proie expiatoire du cauchemar qui nous guette tous, citoyens des pays sous-développés à qui il ne manque rien ou si peu pour rêver grand. Le fameux “I have a dream” de Martin Luther King tire son fondement d’un affreux cauchemar que nous connaissons tous. Le présent des Noirs Américains (Africains Américains comme on les appelle aujourd’hui) privés d’humanité, était si insoutenable que pour tenir et contribuer à tenir, le Pasteur, homme d’espérance de profession, s’est projeté et a déporté son auditoire vers un futur à la promesse bienheureuse. Un réarmement moral tonique indispensable. Tout rêve est une tentative d’échapper au cauchemar qui est graduel, pouvant aller de la simple gêne à l’invivable.

Comment évolue le curseur ? Par quels ressorts le rêve de toute une société vire-t-il de la simple gêne au cauchemar permanent ?
Un particularisme camerounais dit à propos du sommeil : “Si tu dors, ta vie ronfle”. La menace du cauchemar est sans équivoque à travers cet énoncé. Il est plein de bon sens, mais ses limites y sont contenues, puisque passé le constat, le sort du dormeur ou de l’éveillé ne dépend pas forcément de lui. Le cauchemar procède du fait que tous les feux sont au rouge ou presque. Un tel scenario n’est possible dans aucun pays développé. Les pays développésaffrontent d’autres problèmes, pas ceux de l’impunité, de l’insouciance collective et de la déliquescence morale de leurs dirigeants. Le poisson pourrit par la tête, dit-on. Un tel poisson est infect. Quand une société manque d’impulsion par le haut, il ne faut pas s’étonner qu’elle s’enlise. Quand celle-ci encense le vol, le viol, la délinquance sénile ; quand elle s’accommode de tous les dérapages moraux, elle s’ouvre un boulevard vers le cauchemar. Un cauchemar réel, bien au-delà de l’imagination la plus fertile.

Sachant que l'écriture est déjà le lieu de la liberté par excellence, le choix du procédé onirique prolonge et renforce votre licence, vous plaçant à la lisière de l'irresponsabilité : ce n'est qu'un rêve ! Que fait-on pour que Dégé, à son réveil, passé trois secondes d'agacement, ne retourne pas à ses frasques ?
En effet, le rêve tout comme le cauchemar n’a pas de limites. Pour autant, ce n’est nullement pour échapper à une quelconque responsabilité que ce choix a été fait. Bien au contraire. Alors que dans le rêve et surtout le cauchemar, toutes les logiques et codes connus et respectés dans la vie sont allègrement transgressés, la narration de ce roman essaie de freiner, avec prudence pour éviter une sortie de route : le recours à la caricature et à l’hyperbole comme poétique narrative par exemple en est l’un des leviers. Mais le pari reste difficile dans la mesure où nos sociétés africaines qui ont inspiré l’intrigue de ce roman ne se formalisent pas du tout du raisonnable/rationnel quand il s’agit de transgresser tous les codes sociétaux. De sorte que dans la vie réelle, il devient difficile de faire le distinguo entre le rêve et la réalité face à certaines situations. Alors, si à tous les coups, on doit se pincer pour être sûr qu’on n’est pas en train de rêver, avouez que recourir à l’onirisme pour parler d’une société réelle, mais improbable, est plus crédible. C’est le rêve qui rend l’intrigue de “Châtiments névrotiques” acceptable et recevable. Autrement, ce ne serait qu’une simple histoire de fou.

Dans son cauchemar, Dégé a une issue de secours, et pas des moindres : son humanité retrouvée au fond de sa prison. C’est un héros déceptif, créé par la société dans laquelle il vit. La prison, lieu de punition et de réinsertion, lui sert de renaissance. Il subit donc une transformation, miraculeuse, il faut le dire. Parce que tout y est réuni pour que sa perte soit complètement accomplie. Cette transformation participe de l’absence de limites dans ce monde de tous les possibles qu’est le rêve.

Le réveil en catastrophe et en sueurs de Dégé, ses “trois secondes d’agacement” comme vous dites et que moi j’appelle “un instant interminable de peur” est un avertissement sans frais. Il ne faut pas minimiser l’effet de leurs peurs sur les individus. Que le tout-puissant Dégé soit déchu, humilié, incarcéré puis finalement exécuté, relève du possible. Comment éviter que cela se produise ? Cette question devient inévitablement un véritable centre d’intérêt pour lui. Rousseau disait : “L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt”. Il ne faut donc pas désespérer de l’être humain. Là, se fonde l’espoir d’un nouveau départ.

Dégé sort donc de son cauchemar au réveil, ce qui est tout naturel pour un individu. Et pour une société ? Se réveille-t-elle ? La réveille-t-on ? Comment ? Bien d'auteurs confrontés à ces questions convoquent, et vous venez d’y faire allusion, la folie (Hamidou Kane, Léonora Miano…). Partagez-vous ce radicalisme ?
Je ne dirai pas radicalisme mais plutôt réalisme. La folie, mais surtout le fou est notre conscience collective insouciante, libéré de la peur. Intermédiaire entre le visible et l’invisible, il voit et dit, tout haut, ce que nous n’osons pas exprimer. Il est cet espace moyen que Wole Soyinka appelle “transitionalabyss” (abîme transitionnel). Si la création littéraire romanesque permet de projeter un monde idéal, le tracé du chemin pour y accéder n’est pas une sinécure. Le romancier n’est après tout qu’un demiurge. Il examine les champs et les soumet au public, à la critique.
S’il est plus ou moins aisé pour un individu de sortir de son sommeil ou de sa torpeur, juste en se secouant par exemple, il en va autrement d’une société qui est la somme des contradictions, une masse diffuse, la rencontre d’individus différents qui souvent ont du mal à regarder dans la même direction. Le fou apparaît comme notre voix intérieure qui nous parle et nous éclaire sur nous, sur notre passé, sur notre devenir et sur notre mission…

Le radicalisme pour moi serait de recourir au Léviathan. Cela peut paraître anachronique et non conformiste vis-à-vis de la société bien-pensante actuelle. Mais que ceux qui imposent la démocratie aux Africains qui croulent sous le poids de mille misères sachent que l’Afrique souffre d’abord et avant tout dunon-respect du bien public, du non- respect du vivre-ensemble et simplement du non-respect des lois qui régissent leur société : la démocratie ne développe pas, elle régule.

Comment réguler une société déglinguée et moribonde ?
Tout le problème des Africains vient de là et non de l’absence de démocratie. Quand le dialogue, la sensibilisation, l’information et la formation se cassent la figure sur la bonne marche de la société, il faut trouver autre chose contre les délinquants et tous ceux qui rament à contre-courant. D’autant plus que le combat pour la démocratie échoue généralement par la faute de ceux qui ont pour mission de l’implémenter. Ils ont la force de l’Etat qu’ils utilisent contre la société. Face à eux, le fou est un nain. Le Léviathan non.

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