Cameroun, Opinion: REPENSER LA VILLE CAMEROUNAISE
CAMEROUN :: POINT DE VUE

Cameroun, Opinion: REPENSER LA VILLE CAMEROUNAISE :: CAMEROON

Chaque 20 mai depuis 1972, le Cameroun célèbre sa fête nationale, jour de célébration et d’unité nationale. Pendant que certains défilent sous le soleil et/ou la pluie avec des pancartes et des slogans, d'autres vont faire ripaille et réseauter au palais présidentiel le soir venu, aux frais de la princesse et en son nom. Mais pas ou peu de personnes se posent réellement la question de savoir : unité par rapport à quoi ? À qui ?

Célèbrent-ils l'unité entres les villes et les campagnes camerounaises ?? Permettez-moi d'en douter. Parce que dans le principe d'unité, il y a le principe de complémentarité, d'enrichissement mutuel et général.

Les villes camerounaises "modernes" dans leur écrasante majorité est des créations coloniales.

Pourquoi le colon a-t-il créé des villes au Cameroun ?

Le Cameroun, il faut le dire, dans sa forme et son organisation actuelles, est une création coloniale. Le colon y a créé des villes pour qu’elles servent de "relais" politique et économique à la métropole lors de sa « mission civilisatrice ». Le but de ces villes était et est (aujourd’hui encore) de vider les campagnes camerounaise de toute force créatrice, de tous moyens de production de la richesse au profit de villes créées par et pour la métropole coloniale.

Il faut noter ici que nos villages sont nos créations endogènes. Nos villages pendant la colonisation, ont servi aux villes de fournisseurs inépuisables de main d'œuvre quasiment gratuite, et d'intelligentsia aux moyens de l’exode rural. Car celui qui avait réussi, était celui qui s'était le plus éloigné de son village (on fait l'école primaire au village, le collège dans une petite ville, ensuite le lycée à la capitale, puis l'université dans la capitale ou en occident). Ce schéma d’éloignement perpétuel du Camerounais de son creuset originel, lui a fait perdre lentement mais sûrement ce lien ombilical avec son terroir (de trop nombreux Camerounais nés en ville ne parlent pas leurs langues maternelles et pis n’ont jamais ou très peu, mis les pieds dans leurs villages d’origine, même pour les vacances scolaires), parachevant ainsi le déracinement les Camerounais des problèmes des campagnes qu'ils sont censés résoudre. Et avec les indépendances, ce schéma n’a quasiment pas changé mais s’est même empiré à en devenir caricatural.

Les conséquences d’une telle situation après plus de 50 ans d’indépendance

De ce qui a été dit précédemment, les campagnes camerounaises sont en train de mourir, condamnées par des villes qui sans répit, les siphonnent tout: la ressource humaine et financière.

Si seulement, cela s’arrêtait là, mais encore les villes camerounaises ont installé les campagnes camerounaises dans une relation de dépendance toxique et très nuisible pour les campagnes. Les campagnes ne produisant rien et privées de tout, dépendent des villes pour obtenir à prix d’or des biens et services (souvent d’une qualité douteuse) qu’elles auraient pu produire elles-mêmes. Elles obtiennent ses biens et services des villes qui elles-mêmes les obtiennent trop souvent à des prix prohibitifs de l’étranger (très souvent des anciennes métropoles coloniales).

Aussi, les villages camerounais, creuset de notre culture séculaire, de notre identité véritable, agonisent, sucées jusqu'à la moelle par des villes voraces et stériles, sans contrepartie équivalente et encore moins positive.

Tout cela arrive parce que nos villes ont été créées pour tuer nos campagnes, au profit des métropoles coloniales et de ses avatars (la ville camerounaise moderne). Oubliant que la mort des campagnes camerounaises sonnera le glas de la ou des civilisations endogènes en premier et à plus au moins longue échéance, des villes camerounaises qui n’existeront plus que pour consommer ce qui est produit ailleurs.

Mais que peuvent faire les Camerounais pour que leurs villages ne meurent pas, vidés de leur substance et de leur raison d'être ??

Répondre à cette question viendra à repenser le développement du Cameroun tout entier qui pour sa presque totalité a été pensé en dehors du pays, par des non-Camerounais avec parfois quelques nationaux complètement atones des particularités et évolutions de leur terroir.

La réponse à cette question est essentielle pour le développement réel du Cameroun par rapport et grâce à lui-même.

Cette réponse est tout simplement de créer de la richesse dans les villages qui empêcheront les campagnes de se vider, qui attireront les populations hors de villes surpeuplées, mal construites parce que mal pensées (je dirais pensées contre nous) et s'agrandissant de façon exponentielle horizontalement au détriment des campagnes (ce qui n'est que le signe de la pauvreté à la fois financière et mentale d’une très grande partie des habitants de ces villes).

La problématique des villes et des campagnes camerounaises sont interdépendantes. Nos villes sont en crise très grave parce qu’elles ont été créées pour spolier nos campagnes. Nos campagnes étant à l’agonie, nos villes ne s’enrichissent plus financièrement, mais continuent de recevoir quotidiennement, un afflux massif de jeunes et moins jeunes qui quittent les campagnes à cause de l’extrême pauvreté et surtout du manque d’opportunités qui y règnent. Oubliant qu’il n’y a pas plus sinon moins d’opportunités là-bas que dans les campagnes qu’ils ont quittées, aggravant ainsi les problèmes de la ville : manque d’emplois, surpopulation, insalubrité, insécurité, … Car ici, nous avons un très grand nombre de population s’entassant sur un espace réduit et laissant à l’abandon d’immenses espaces campagnards.

Prospectives sur la ville camerounaise

En 2050, l’Afrique aura plus de 2 milliards d’habitants dont près de 50% dans les villes. Selon populationsdumonde.com dans leurs fiches par pays, le Cameroun a un taux d’urbanisation qui est déjà de 54,4% avec une population totale de 24 360 803 habitants (estimation juillet 2016). Dépassant par la même occasion, et ce avec plus de 30 ans d’avance, les prévisions onusiennes sur la part de la population urbaine dans la population totale en Afrique. On imagine donc une croissance de la part de la population urbaine du Cameroun qui sera « très » supérieure par rapport à la part de la population rurale en 2050. Et si rien n’est fait pour résoudre et repenser la ville camerounaise d’ici là, les problèmes que les cités camerounaises rencontrent déjà, seront décuplés avec des campagnes vides et abandonnées presqu’entièrement.

L’exode rural n’a pas seulement des conséquences socioéconomiques, mais aussi sécuritaires, agraires et politico-administratives. Avec de vastes étendues des terres riches et vides d’habitants, les campagnes camerounaises risquent de devenir, si elles ne le sont pas déjà des no man’s land où la puissance étatique est totalement absente, laissant ainsi le terrain fertile à tout genre d’activités illégales qui mettront à terme la sécurité nationale en danger et contribueront à l’affaiblissement structurel de l’État par une insécurité récurrente. Avec de vastes étendues de terre vides d’habitants, les droits coutumiers des habitants des campagnes peuvent facilement être mis sous le boisseau et leurs terres leur être facilement arrachées pour des raisons diverses. Dans des campagnes vides d’habitants, l’État ne verra pas l’opportunité ou même la nécessité d’ouvrir et de maintenir en état de fonctionnement des services publics.

Reconstruire l'unité entre nos villes et nos campagnes et repeupler les campagnes au profit de notre pays, reviendront à repenser tout le système agraire, économique, politico-administratif du Cameroun de manière exclusivement endogène avec nos propres ressources et selon notre vision propre.

Cela débutera déjà lorsque chaque Camerounais ou du moins, 1 Camerounais sur 10 (sûrement vous qui me lisez) se battra pour créer une unité solide de production permanente de la richesse dans les villages (pas forcément dans son village d'origine), ce qui créera de nouvelles villes, nos propres villes qui tourneront pour nos intérêts et ceux de nos enfants.

Chaque Camerounais doit comprendre que le destin de son pays et par là, celui de ses enfants dépendra de sa capacité à mettre sur pied des solutions adaptées à son milieu. Nous devons cesser d’attendre comme des oisillons affamés, la becquée d’institutions en perpétuelle crise existentielle. C’est à chaque Camerounais de reconstruire la campagne et la ville camerounaise. Ces multiples gouttes d’initiatives personnelles avec un objectif commun et une organisation méthodique pourront former des rivières puis des fleuves d’un développement profond et véritable, que l’État ne pourra qu’encadrer et protéger.

* Maagnyeta Kodjo est chercheure sur les questions de paix, sécurité et de développement, Centre de Recherche et d’Études Politiques et Stratégiques (CREPS), Université de Yaoundé II-Soa

Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo