Hommage à trois Marthe : bonne fête des mères même outre-tombe
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La place des femmes dans l'histoire de notre pays et de notre peuple a trop longtemps été réduite à la portion congrue. Depuis quelques années nous assistons à un autre phénomène qui est celui de la manipulation de l’histoire et de l’intervertissement des visages dans le lit conjugal, peut-être est-ce le fait de la polygamie qui a la peau dure et surtout encore de longs jours devant elle ? A l’occasion de la fête des mères, j’ai choisi de présenter, surtout à ceux et celles qui lisent encore, trois visages de femmes de notre pays, peut-être pas de notre génération, d’un autre monde certainement puisqu’elles ne sont plus du nôtre.

Des centaines de femmes certainement, venues de tout le pays ont répondu à l’appel de la lutte pour l’indépendance. Très peu sont connues, dans les années 90, je me souviens avoir rencontré le commandant Kissamba avec son épouse dans les rues de Yaoundé. Elle avait de la prestance, élégante et belle, on lui prêtait une puissance surnaturelle. Peut-être d’autres parmi mes lecteurs ont aussi rencontré cette dame ? Elle n’était pas la seule tout comme celle que je voudrais présenter aujourd’hui, Marthe Moumié, Marthe Um Nyobè et Marthe Ouandié. Ces trois femmes au passé, au présent et dans notre futur, ont porté, porte et porteront, chacune à sa façon, un puissant témoignage pour notre humanité.

Marthe Ekemeyong est née le 4 septembre 1931 à Ebom Essawo en pays Bulu. Ses parents lui donnent un nom prémonitoire : Ekemeyong qui signifie : « celui ou celle qui quittera le terroir pour vivre là-bas, chez les autres ». Elle a fait le cours élémentaire première année à Bibia à l’école de ma mission protestante fondée par le Pasteur Joseph Merrick en 1840 avec le général Pierre Semengue dont le nom devrait s’écrire Pierre SEh Mengue. C’est l’intellectuel de la bande. Elle adhère à l’UPC en son nom propre le même jour que celui qui deviendra son mari le médecin Félix Moumié fraichement diplomé de l’Ecole de Médecine William Ponty de Dakar et affecté à Lolodorf. Ils se marient le 22 juillet 1950. De leur union naîtront deux filles. Son engagement militant va la porter rapidement à la tête de l’Union Démocratique des Femmes Camerounaises (UDEFEC). Elle suit son époux en exil à Conakry dès 1955. Marthe Moumié est de la trempe de la jeune Winnie Mandela. Elle parcourt l’Afrique, l’Asie pour rallier les dirigeants du monde à la cause du Cameroun et de son époux. Elle rallie à sa cause, les président Nasser d’Egypte, Kwame Nkrumah, Ahmed Ben Bella d’Algérie, Sékou Touré de Guinée, Ho-Chi-Minh du Vietnam et Mao Zedong de Chine. « C’est la porte qui ouvre les serrures de toutes les portes » me confiera un nationaliste camerounais à Genève en 1997. Genève justement c’est dans la capitale helvétique que son époux Félix Roland trouve la mort le 3 novembre 1960 soit 11 mois seulement après l’indépendance du Cameroun. La tête de l’UPC est décapitée, Moumié est empoisonné dans un verre de ricard, Moumié n’avait que 35 ans ! Marthe Moumié est mère d’une fille, elle n’a que 29 ans, rapatriera la dépouille de son époux et l’inhumera à Conakry dans un cimétière longtemps tenu secret. Grace à son entregent des obsèques officielles sont organisés à la mémoire de Mounié au Stade de Conakry en présence du président Sékou Touré.

5 ans après le décès de son époux, nous sommes en 1965, Marthe Ekemeyong Moumié tente de refaire sa vie sentimentale et épouse un nationaliste équato-guinéen, Athanasio Ndong Miyone qui luttait alors contre les colons espagnols dans son pays. Athanasio est à son tour assassiné en 1969 après une tentative de coup d’Etat contre Francisco Macias Messe Nguéma. Marthe Ekemeyong Moumié a ouvert de nombreuses portes à nouveau à son époux Ndong Miyone, dans le monde francophone, c’est avec lui, qu’elle rentre d’exil d’Algérie en 1966 soit un an après leur mariage, c’est à ses côtés qu’elle bat campagne pour la présidentielle qu’ils perdront et son époux occupera alors le poste de vice-président. Après le décès de son époux, Marthe est arrêtée, battue et torturée. Elle demande d'être exilée en Guinée Conakry où repose le corps de Moumié, les autorités équato-guinéennes décidèrent de la renvoyer au Cameroun où elle sera à nouveau emprisonnée et maltraitée.

Marthe Moumié sera libérée le 14 juillet 1974 après cinq ans en prison. Elle reprendra aussitôt le combat pour faire justice à Moumié. C’est ainsi que Paul Bechtel est arrêté la même année mais le procès débouchera en 1980 sur un nom lieu. Marthe Moumié a vécu pour le Cameroun et pour son époux, c’est peut-être pourquoi après s’être battu pour rapatrier la dépouille de son époux au Cameroun, elle est retrouvée étranglée, violée, les parties génitales profanées, c’était le 9 janvier 2009, elle avait 77 ans. Celle qui est née pour quitter ses terres, pour vivre labas chez les autres est assassinée et humiliée sur sa terre ! Son vœu d’être inhumée à Foumban ne fut pas exaucé. Oui, une femme est morte qui n'avait pour défense que ses bras ouverts à la vie, une femme est mort qui n'avait d'autre route que celle où l'on hait les fusils, une femme est morte qui continue la lutte contre la mort et l'oubli.

Marthe Ouandié, est la seconde épouse d’Ouandié qu’elle rencontre et épouse le 5 décembre 1945 à Douala. Marthe ? C’est d’abord Marthe Eding une bakoko née en 1921 à Edéa ou dans les environs. Elle fut la vice-présidente de Marthe Moumié au sein de l’Union Démocratique des Femmes Camerounaises (UDEFEC). A ce titre-là, en l’absence des hommes, elle prendra la parole respectivement en février et

mars 1959 au cours des débats sur l’indépendance du Kamerun à l’Assemblé Générale Spéciale des Nations Unies. Marthe, fut également arrêtée pour ses activités de renseignement dans la Résistance. Emblématique mère de famille de cinq enfants, Philippe, Mireille, Irène, Monique et Ruben Um Nyobè, elle a mené jusqu’au 15 avril 2006 à l’âge de 87 ans un combat sans relâche contre l’oubli et pour la mémoire dans notre pays. J’ai eu la chance de l’embrasser deux fois. Elle a été inhumée dans l’indifférence totale, ignorée par le peuple pour lequel elle s’est tant battue, vomie par les autorités administratives, snobée par les intellectuels et la société civile. Que dire des politiques dont les chaises restèrent vides au quartier Kouogouo à Bafoussam le 14 mai 2016.

Marthe Um Nyobè, est l’une des trois Marthe encore en vie. Dans sa jeunesse, c’était une femme d’un mètre 80. C’est dire si elle a un physique inhabituel pour les femmes de cette contrée. C’est un diamant noir. Elle a vu le jour en pays bassa’a en 1926, elle a donc 18 ans quand elle lie sa vie à jamais à celle de celui qu’elle appelle affectueusement « Ruben ». C’est un mariage moderne civil et religieux qui survient après une dot auprès de ses parents. A dire vrai, elle avait entendu parler de « Mpodol » mais quand elle le vit, il était différent de la légende qui l’avait précédée. « C’était un homme d’une trentaine d’années selon mon estimation quand je le vis pour la première fois. Il dégageait une autorité naturelle et une assurance tranquille qui lui permettaient de s’imposer, mais ça je ne le savais pas encore. » Après un temps d’arrêt qui la plonge certainement dans d’autres souvenirs qu’elle n’a pas partagés avec quelqu’un d’autre depuis longtemps, elle ajoute : « son comportement avec moi, alors qu’il ne m’avait encore rien proposé, prouvait son respect pour l’être humain, oui alors mon cœur s’est mis à cogner très fort en moi ». Marthe est ainsi quand on veut parler d’elle, elle introduit l’homme de sa vie, celui qui avait des épaules carrées, fiable et responsable. Pourtant, elle fut également une grande animatrice des comités villageois du Nka Nkundé en langue bassa’a. Pendant 4 ans, elle a connu le maquis et la clandestinité. Marthe Um Nyobè est une maitresse femme, une pionnière même si elle dit n’avoir rien fait d’autre que de soutenir Ruben Um Nyobè dans son combat pour la « liberté de ses frères ». En échangeant avec elle, cet après-midi à Boumnyebel, je découvre que Marthe n’est pas une femme à montrer ses faiblesses, elle est la gardienne de cette tombe aménagée depuis 10 ans par des jeunes patriotes. A chacune de leur visite, elle leur parle de fierté, de liberté, d’indépendance, de responsabilité. Ce sont des conférences d’un autre genre en bassa’a, en ewondo et en bidgin english. Resté à deux dans sa cuisine elle m’avoue, oui j’ai connu quelquefois le doute, et même le découragement. Le chemin est long mais je sais que vous y arriverez.

Marthe Moumié, Marthe Ouandié et Marthe Um Nyobè ont mené bataille commune face à la barbarie qu’était le colonialisme, elles ont connu la faim, la soif, l’humiliation, elles ont su garder les valeurs profondes de notre peuple, elles ont maintenu vivante la flamme du nationalisme, elles ont participé à sa mutation vers le patriotisme sans concession. Toutes trois, avec leurs personnalités et la diversité de leurs convictions se sont retrouvées à des moments essentiels de leurs vies. Elles méritent maintenant de vivre dans le cœur de la Nation, dans le souvenir collectif, le souvenir qui est fait de courage et l’humanité dont sont capables les femmes et les hommes de notre pays, en parlant la langue de l’unité nationale. La lutte pour l’indépendance et la République que nous avons aujourd’hui en héritage ne sauraient s'écrire sans elles.

Résistantes, c'est pourquoi nous proposons avec solennité au Président de la République de les élever toutes trois, ensemble, avec leurs destins croisés au rang d’héroïnes de la lutte pour l’indépendance de notre pays. Notre Nation est jeunes, 55 ans d’indépendance, ces combattantes sont vieilles, elles disparaissent avec la force de leur témoignage, c’est ce geste qui saura parler au cœur de notre peuple en remettant sur le devant de la scène l’esprit de sacrifice, de lutte pour le bien commun. C’est en regardant ces visages installés au Musée national que nous comprendrons ce qu’est un peuple, ce qui fonde la République et construit la Paix.

Aux grands combattants la patrie et le peuple non reconnaissants. Vous jeunes gens de mon pays qui avez toujours eu besoin d’exemple à suivre, voici vos grands-mères, elles se sont assises aux pieds de Ruben, de Ernest et de Félix, à vous d’être dignes d’elles aujourd’hui. Bonne fête maman, toi aussi tu es une combattante, toi princesse Sabine Sindono Mengue.

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