L'Existence Misérabiliste du Journaliste Camerounais
CAMEROUN :: POINT DE VUE

L'Existence Misérabiliste Du Journaliste Camerounais :: Cameroon

Quand un quidam vous est présenté comme «journaliste» au Cameroun, méfiance, méfiance, parce qu’il y a journaliste et…journaliste. Car, en effet, la faune journalistique est très variée. Et, bien qu’une seule catégorie fasse l’objet de notre préoccupation, permettez de fixer le décor de la typologie de cette profession, qui peut être divisée en trois :

Le journaliste sur titre : il est surtout le produit de la prestigieuse Esijy, devenue Esstic. Au sortir de là, parchemin en main, il était dirigé entre les média d’Etat (Camtribune, Crtv-radio et Télé), les ministères, les sociétés parapubliques. Aujourd’hui, on le trouve un peu partout dans toutes sortes d’organismes, où les besoins de communication tendent à devenir pléthoriques. Il a le statut de fonctionnaire, ou celui de personnel détaché, qui fait de lui un coq en pâte. Ce thuriféraire, qui n’est bien sûr pas à plaindre, snobe les autres prétendus journalistes, et ne les respecte pas du tout, au motif qu’il ne faut pas mélanger les torchons avec des serviettes…

Les Nouvelles écoles : la libéralisation de la communication sociale, et l’avènement des Ntic ont contribué à la création des écoles, instituts et facultés des métiers de la communication, où sont formés les journalistes et tous ceux qui s’en prévalent. Ils trouvent leur bonheur, façon de dire, dans des officines de presse, radio, télé, des régies de publicité, et cabinets conseil en communication privés qui sont créés à la petite semaine, les trois quart du temps en dehors des règlementations en vigueur. L’offre est tellement inférieure à la demande, au point que ces nouveaux chevaliers de la communication ne sont pas logés à la même enseigne de noblesse que les lauréats de l’Esstic. Mais, en règle générale, on peut parier sans se tromper de beaucoup, qu’ils possèdent plus que des rudiments du métier.

La formation sur le tas : ici, c’est le tout-venant, chaque individu ayant une trajectoire aussi particulière que complètement différente des autres membres de cette catégorie. Cependant, une seule ambition les caractérise : ils sont habités, soit par le démon de l’écriture, soit fascinés par l’audio-visuel, leurs talents et métiers individuels se dévoilant au jour le jour.

Cette dernière catégorie est la plus ancienne et existe depuis les temps héroïques du montage manuel, avec ciseaux et papier quadrillé, à la suite de la machine à écrire mécanique tout aussi célèbre dans les commissariats de police. Elle a vu ses effectifs se gonfler, de façon à représenter aujourd’hui des hordes, les vieux autodidactes d’hier se voyant submergés par les diplômés du supérieur, que le marché de l’emploi formel n’a pas réussi à caser. Évidemment, ces personnes dans le besoin, se retrouvent entre les mains des promoteurs cupides dont les officines ne sont pas souvent déclarées, et donc qui fonctionnent dans l’informel le plus total.

Dans ce milieu, où il est rare de voir un semblant de contrat de travail, la parole de leur employeur, son bon vouloir…ou son indélicatesse, régulent le mode de paiement, souvent à la tête du client. Pas de primes, pas d’avantages non plus. Résultat des courses, le journaliste est dans la débrouille, y compris dans les organes qui ont pignon sur rue avec un titre à succès. Il est réduit à courir à la vie comme à la mort derrière un perdiem lors des conférences, des conseils d’administrations, des conseils municipaux, des comices, des promotions de lancement : bien renseigné par d’autres collègues, il maitrise toutes les rencontres dans son périmètre d’action. A Yaoundé, par exemple, il a pour nom «journalistes du Hilton». Il y a sa base et ses habitudes, dans cet hôtel qui abrite la majorité des manifestations de la capitale politique. Son rêve ? Débusquer un dossier brulant qu’il pourrait négocier et en tirer le gros lot ; à moins que de le traiter ne lui procure considération au sein de la profession, en mettant sa plume au service d’une personne physique ou morale, quitte à travestir les faits à tout moment, à les faire passer en second lieu après ses propres analyses et commentaires, et donc l’amener à faire fi de la déontologie, afin de voir le jour.

Quand on parle de «journaliste» au Cameroun, c’est du journaliste-ci qu’il s’agit. Ce spécimen, qui prolifère, ne risque pas de disparaitre des salles de rédaction avant longtemps. A moins que l’assainissement de la profession se fasse à travers l’application sans délai et sans faille de la convention collective des journalistes ; que les promoteurs de média, ne bénéficiant plus de la tolérance administrative, se mettent en règle ; que les organes de régulation nettoient les écuries, non plus pour la paix des princes et du Roi, mais afin que compétence, morale et dignité règnent dans les rangs. Bref, le métier, quoi !

Car, voyez-vous, de fait, quand on émarge à cette dernière catégorie, comme c’est le cas de votre humble serviteur Manu Djemba, et qu’on croit avoir mérité le respect des pairs, on reste néanmoins confondu à ces misérables qui brassent la boue et le sang. Et, Dieu, ils sont légions ! Et ils étouffent, polluent, à l’instar de la jacinthe d’eau.

Toutefois, permettez-moi ici de rendre hommage à trois de ces confrères, qui ont chacun à sa façon, démontré que le journalisme, c’est avant tout une question de talent ou de feeling :

- Moore Maurice. Ce nom ne vous dira rien, vous avez beau chercher. Mais, figurez-vous, «envoyé spécial de La Détente», c’est l’un de ceux qui étaient à Bamenda lors de la marche du lancement du Sdf en Mai 1990, et qui a témoigné le premier que les manifestants avaient été bel et bien «tués...par balles», au contraire des Zacharie Gniman, Antoine-Marie Ngono, Albert Mbida, Alain Bélibi, Charles Ndongo et d’autres encore issus de l’Esstic, qui avaient prétendu qu’ils avaient été «piétinés». D’où cette expression ironique, et très bien venue, «piétinés…par des balles». Moore Maurice n’est plus. Paix à son âme…

Benjamin Lissom Lissom aussi a quitté ce monde. Mais, en matière d’investigation et de chronique judiciaire, il était calé je vous fiche mon billet, et faisait l’unanimité auprès des magistrats et des avocats. Son chemin avait commencé dans Le Combattant, l’avait amené à Dikalo, et s’est achevé par une consécration à Cameroon Tribune, en passant par Le Messager. Chapeau, Benjo !

Le dernier, c’est encore un ami. Il est en vie, lui. C’est ce sacré Roger Ziem à Fiom : le Roger, il a commencé à Crtv Douala, comme collecteur d’info, et s’est spécialisé dans les faits divers, pour concurrencer les média privés. Il a excellé dans le registre, à telle enseigne que cela lui vaille d’être appelé au siège à Yaoundé…Même après un tour à l’Esstic, il est resté fidèle aux…chiens écrasés. Et, les diplômés et les autres peuvent toujours s’aligner, il y est…imbattable.

Le journaliste ? C’est un artiste. Sauf qu’au 21ème siècle, il faut que le métier nourrisse son homme. Afin qu’il ne «déraille» pas, au motif qu’il tire le diable par la queue.

Mais, au fait, savez-vous d'où est sorti le mot "Gombo"? Je vous épargne de languir plus longtemps : de Crtv, station régionale à Douala. Comme quoi, ça court derrière le cachet là où vous ne pensiez pas. Et pourtant...

Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE

Les + récents

partenaire

canal de vie

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo