Cameroun: Sortir de l’enferment ethnique pour entrer dans le multiculturalisme fondateur de la Nation…
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Cameroun: Sortir de l’enferment ethnique pour entrer dans le multiculturalisme fondateur de la Nation… :: CAMEROON

L’extension des mouvements migratoires d’abord à l’intérieur du pays, puis vers les grandes métropoles, ce que nous appelons communément l’exode rural à la faveur de la crise économique qui frappe le pays depuis des décennies, ont eu pour effet d’accroître l’hétérogénéité des sociétés d’accueil et de relancer le problème de l’intégration à une échelle plus vaste. C’est une bonne chose, ce problème est rendu cependant plus complexe par le développement en parallèle, au sein de ces mêmes sociétés, d’un nouvel idéal démocratique faisant de la « diversité » une valeur et du droit de chaque individu à sa culture un principe devant être protégé. C’est de cette question du pluralisme culturel, de ses exigences et de ses limites que le régime de Yaoundé est en train de faire le laborieux apprentissage. Comment le fait de l’hétérogénéité culturelle peut-il et doit-il être traité en anthropologie, comment est-il perçu en sociologie et comment le droit l’encadre-t-il ? Autrement comment passer de la dictature de l’ethnie à l’émergence d’une société multiculturelle ?

Le Cameroun comme Nation moderne est en construction, elle est encore sur le plan culturel une superposition d’ethnies que d’autres qualifient arbitrairement de micro-nations. Ce dernier raisonnement sur le plan philosophique aboutit à la non nécessité d’un multiculturalisme dans notre pays qui n’est pas un pays d’immigration. C’est penser que le Cameroun a une culture, un peuple homogène.

Construire un Cameroun multiculturel c’est alors accepter les cultures ethniques (256 ethnies constituent le Cameroun aujourd’hui), refuser de les vider de leur souveraineté, de leur substrat historique, les rendre intelligibles au plus grand nombre, fonder une nouvelle dynamique sociologique sur le dévoilement de leurs richesses pour une mise en scène des normes sociales qui légitiment leur re-construction et leur intégration dans un espace plus grand qu’est la Nation. Dans cette dynamique, la culture camerounaise sera alors une rencontre des cultures ethniques comprises et ou acceptées par tous sans aucune oppression. Le multiculturalisme camerounais sera alors le carrefour des rencontres des identités singulières liées, diversifiées, accomplissant ainsi un devoir d’intégration. C’est ainsi que va se recomposer l’espace public nation lieu d’accueil qui n’impose point, mais favorise la cohabitation sous le signe inclusif des droits de l’homme inscrit dans notre loi fondamentale. Le devoir impérieux, le nôtre est donc de décoloniser nos ethnies de l’intérieur pour permettre la pleine émergence d’une culture nationale où aucune ethnie ne se sentira étrangère. Ceci exige une nouvelle définition de notre vivre-ensemble. Ce n’est un secret pour personne même si je suis le premier à le

dire, l’Etat-Nation camerounais s’est constitué dans la logique de l’impérialisme et du colonialisme d’abord allemand ensuite franco-britannique, voilà pourquoi le parachèvement de la décolonisation passerait par son démantèlement. L’espace public camerounais est appelé à être un espace d’un nouveau contractualisme diversitaire unifié c’est-à-dire un espace qui présente notre société comme un espace de droit et de rencontre de nos coutumes de nos mœurs érigées en culture commune substantielle.

Comment y arriver ? La question m’a été posée à la CRTV le 25 avril 2017. En premier nous devons sortir de cette « couteuse amnésie des acquis antérieurs » selon l’expression d’Eric Neveu qui consiste chez nous à effacer la mémoire collective. La Nation est une fiction organisée. Non en fonction du fait de ses fondements historiques, mais en raison de « l’adhésion collective à cette fiction » ainsi que l’affirme Anne-Marie Thiesse dans son ouvrage La création des identités nationales, Europe XVIII-XXe siècle (p.14). La Nation n’est donc pas un acquis même si l’évidence s’ancre dans le sentiment qu’elle a toujours existé et qu’elle n’est que le prolongement de l’ethnie ou du clan. La Nation ne remonte pas à la nuit des temps nous devons au quotidien, montrer l’historicité de la Nation camerounaise qui d’ailleurs ne saurait exister sans son lien à l’Etat. La N ation et l’Etat tels que nous les connaissons aujourd’hui datent de 1884 et sont un héritage que nous devons à l’Allemagne. Si les allemands avaient une idée de ce qu’ils voulaient mettre sur pied dans ce territoire nouvellement conquis et dont la première carte est rendue publique en janvier 1901, les peuples conquis et ou soumis ne savent ce que pourrait être leurs différents territoires et encore moins ce que sera l’identité naissante. A cette époque la différence entre un cultivateur ewondo et un cultivateur bassa’a bantou tous les deux étaient aussi grande que celle entre un bantou et un sahélien. Il n’y avait pas véritablement de langue commune bien que l’anglais ait été introduit à Bimbia dès 1840 par le pasteur Joseph Merrick véritable père de l’école moderne au Cameroun. Le travail de construction, de consolidation de l’Etat et de la Nation n’est pourtant pas achevé, il a certainement pris du retard, l’ordre de cette construction a été aussi bouleversé mais c’est une œuvre collective menée par plusieurs peuples, plusieurs Nations pour aboutir à ce que nous connaissons aujourd’hui. Nous sommes passés par le modèle de Nation Etat à celui d’Etat-Nation, de l’anglais à l’allemand, de l’allemand au français et à l’anglais, nous avons connu des héros et l’effacement de leurs mémoires, les cultures et leur perte. Le rôle de l’école de la République est cependant déterminant, c’est un large diffuseur, vecteur, si vous voulez, mobilisateur des populations, c’est elle qui inculque l’identité nationale naissante, les églises jouent aussi le même rôle, les médias de communication de masse, les chansons, les bals patriotiques, les cartes postales, les particularismes régionaux qui sont portés à la connaissance de tous sont alors présentés comme les éléments de la diversité pour enrichir l’identité nationale, c’est le cas avec le Nguon bamoun, le Ngondo douala, le mbali ituri. Nous ne devons pas oublier les diffuseurs de patrimoine que sont les intellectuels, les poètes, les écrivains. Notre pays est passé ces 30 dernières années, maitre dans l’effacement

de la mémoire à la fois individuelle et collective et le responsable n’est pas toujours l’Etat comme institution mais ses serviteurs que nous côtoyons tous les jours. La Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme pourra mettre la main sur cette plaie afin de la soigner définitivement. Martin Paul Samba, le sultan Njoya, Patrice Kayo, Engelbert Mveng, Mongo Beti, Simon Njami, Francis Nyamnyoh, Roger Milla, Samuel Eto’o, Paul Bahoken, Bernard Fonlon, Basile-Juléat Fouda, Marcien Towa, Bernard Nanga la liste est loin d’être exhaustive – elle doit se prolonger sans cette volonté d’exclusion que nous avons signalée plus haut. Aucune main n’est donc de trop dans cette œuvre qui se veut collective. Le tribalisme et l’ethnicisme ne sont rien d’autre que le symptôme de la dissolution ou la non construction de la communauté nationale. C’est lorsque la communauté nationale n’est pas encore construite, que certains hommes et femmes habillés d’une tenue d’élite implantent le tribalisme. Voilà pourquoi il nous faut être vigilants pour que le multiculturalisme ne soit pas une éradication des cultures particulières qui font la richesse de notre pays, pour les assimiler à la culture majoritaire dans notre pays. Le multiculturalisme tel que nous le percevons doit demeurer une critique de la notion libérale d’Etat neutre, conçu comme arbitre entre les intérêts des puissances étrangères, bien au contraire l’Etat doit faire corps avec la Nation, parce qu’ils se sont développés dans notre pays en même temps, les deux s’auto-engendre.

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