ANTOINE FÉLIX SAMBA : Dans le château, vers l’infini... et au-delà
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L’affaire, les acteurs et les enjeux.

I- Les faits

«Des rostres imités de l’Antiquité, un plafond enrichi de dorures, des voûtes sur un grand fond d’or, peints avec ordre et esprit…» Pour quiconque lit ces fragments de description d’une maison d’habitation sur les réseaux sociaux, il y a lieu de conclure qu’Antoine Félix Samba n’a rien épargné pour donner à sa résidence l’apparence de la grandeur et de la majesté. Nkolondom ne pouvait que retentir d’éloges pour saluer la demeure de l’actuel inspecteur général au ministère des Finances (Minfi). Lui qui a cru ne pouvoir mieux faire éclater sa reconnaissance pour les faveurs extraordinaires qu’il a reçues du ciel. «Tout ce que je fais traduit la joie d’un captif heureux de voir briser naturellement les chaînes de la pauvreté que sa faiblesse n’aurait jamais pu rompre», prêche-t-il régulièrement aux fidèles d’une église de réveil située à Mvog-Ada (Yaoundé).

Et comme si le ciel avait attaché le destin de ce minuscule éden sis dans l’arrondissement de Yaoundé VI au parcours professionnel de l’ancien maire de Minta (département de la Haute- Sanaga, région du Centre), le complexe est tombé dans les rets de la machine médiatique au lendemain de l’éviction de son propriétaire du poste de directeur général du budget au Minfi. En début de matinée du 18 avril 2017, le scoop est passé. La toile, monstre technologique sans pilote, est embrasée à la suite de la publication (par une main certainement très intéressée) de photos et de vidéos du «château d’Antoine Félix Samba». En quelques temps, les choses prennent l’allure de ce que Mauss appelait un «phénomène social total».

II-Les réactions

«Voilà une affaire !», tranche un autre internaute. A la faveur de cette « affaire » donc, tout le monde s’interroge, parle, retourne les hypothèses dans tous les sens. Le débat, au fond, est très camerounais. Du moins par son côté tranché où les extrêmes s’en donnent à coeur joie. Le propre des événements est que chacun tend à y voir la confirmation de ce qu’il pense et se refuse à laisser entrer ses doutes plutôt que ses préjugés. Chacun joue plus ou moins son rôle comme dans un répertoire classique. Les sentiments fluctuent au gré de l’opinion individuelle sur les revenus du «baron de Nkolondom».

Sous les habits du vocabulaire juridique, la grammaire de la vérité commence à devenir différente de part et d’autre. L’intérêt résultant, au-delà des faits, de la pulsion qui fait se repaître de voir un homme tombé de si haut gisant sur le macadam. Suscitant de nombreux commentaires à la suite d’articles de presse, de notes publiées sur des forums, des blogs et des pages de réseaux sociaux, le « château » du fils d’un instituteur dévoile la divergence d’opinions face au statut du fonctionnaire camerounais. Forums ou chats mettent en relation des personnes de milieux et d’opinions différentes, partageant avis et spéculations, en se référant le plus souvent aux éléments qu’ils ont pu lire dans la presse ou l’e-presse, ou encore récolter dans les médias audiovisuels et dans des discussions. Et de ces conversations ont surgi mille bruits de fond venus des entrailles du peuple.

1-Envers familial et enfer tribal

Chez les uns et les autres, la matière vivante des mots plonge dans l’envers et l’enfer tribal. Joseph Angoula Angoula, promoteur culturel lâche un premier morceau. « Bravo Monsieur Antoine Samba, vous êtes un héros, être Betis et être riche en travaillant la terre et non la vendre », écrit-il sur sa page facebook. Le ton est donné pour que s’installe l’état de confusion où plonge cette affaire qui bouleverse toutes les catégories.

« Sortez tous du bois. A tour de rôle. Les masques tombent. Le tort de M.Samba c'est de disposer de la même intelligence dont on nous a dit qu'elle était une marque déposée de certains compatriotes. Qui s'est émerveillé devant les palaces de M. Congelcam, Fokou et consorts ? Personne. C'est leur fortune personnelle, nous crie-t- on. Et les autres? Aucun mérite, ce sont des voleurs. Et vous voulez réduire les Betis à ça : des personnes incapables de gérer leurs affaires et de faire fortune aussi honnêtement que leurs compatriotes de l'Ouest. Des légendes. Le Beti n'est bon que pour vendre des lopins et boire du vin rouge. Sur ce postulat, les uns ont construit des montagnes d'argent en réduisant les autres à la mendicité. Les temps sont révolus ! Souffrez-le ». Dixit Jean-Lambert Nang.

Le post du journaliste est passé à tous les scanners. L’un d’eux, tenu par Benjamin Zebaze, un autre journaliste fort en gueule, a fait vite de détecter des animosités. « Jean-Lambert Nang aurait rendu un grand service à Monsieur Samba s’il avait, arguments et preuves à l’appui, expliqué comment un fonctionnaire s’y était pris pour dégager des fonds pouvant permettre la construction d’un tel château d’Ali Baba. Au lieu de quoi, il a préféré faire appel à tout ce qu’il y a de veule dans la nature humaine pour ameuter ses « frères du village, qui ne deviennent utiles que pour servir de chair à canon. La gestion extrêmement tribale de Paul Biya des ressources humaines ne laisse pas de choix. Lorsque dans un pays, il n’existe aucun (ou presque) ministère où un Beti n’occupe ni la place de ministre, de ministre délégué ou de secrétaire général … où dans aucune entreprise publique, il n’existe (ou presque) aucune sans un Beti directeur général, directeur général adjoint ou directeur administratif et financier…

on est bien obligé de constater qu’il y a bien une tribu qui confisque tous les postes clefs : que c’est donc cette dernière qui est à la base de la corruption endémique qui gangrène tous les pans de notre économie». Sans doute y commence-t-on à y voir une fable trop conforme aux stéréotypes mélodramatiques des Betis contre certains groupes ethniques. Sans doute il y a l’impossibilité de mettre de l’ordre dans la série de réactions à laquelle il manque tant d’éléments (et surtout le principal qui l’origine des fonds de Antoine Félix Samba).

2-La thèse du complot

Un complot médiatique apparaît en parallèle de cet amalgame. Les internautes dénoncent un lynchage médiatique contre Antoine Félix Samba. Les premiers débats sur la présomption d’innocence apparaissent dans les discussions. Si ceux qui croient en une cabale ne sont pas d’accord sur « les sources financières du coupable », ils le sont sur le fait qu’il existe des zones d’ombre dans cette affaire et qu’il subsiste des éléments douteux et illogiques. Ce sont ces éléments qui les mettent sur la piste d’un complot. Ils sont rejoints dans leur réflexion par ceux qui doutent.

« Au Cameroun, l’on fait ou défait des réputations par plaisir de la formule puisque vous avez été comme on dit « impliqué dans…», théorise le politologue Belinga Zambo. Il ajoute avant de s’interroger: « La mort médiatique par injonction narrative… Celui qui est pris dans ce réseau aura de toute façon beaucoup de mal à s’en remettre ; comment un homme puissant à la trajectoire stellaire peut-il être mis en accusation par tout le peuple sans que cela n’ait été pensé dans une officine ? » En clair, ce propos valide la piste du complot.

Là, plusieurs camps s’affrontent. Ceux qui regardent Antoine Félix Samba comme un détourneur de fonds publics utilisent (en écho au litige foncier de Nkozoa) « le stéréotype de l’homme puissant qui pense qu’il a droit à tout et qui n’a pas de limite doit s’attendre à une telle situation». Loin de cette frange, quelquesuns avancent eux aussi l’idée d’un complot mais atténuée. Ils pensent que « les réseaux du Minfi ont eu raison du pasteur-fonctionnaire-homme d’affaires ». Cette thèse montre que l’interprétation dissonante de la réalité est utilisée via des effets de communication et des rumeurs pour tenter de modifier la réalité. «Pour ce cas, soutient un internaute, les acteurs extérieurs mais aussi intérieurs ont tenté, d’une certaine manière, de sculpter la réalité à leur guise et selon l’orientation géopolitique à laquelle ils voulaient faire allégeance».

Dans ce cadre, ce qui est vrai devient faux et ce qui est faux devient vrai Des erreurs peuvent être prises en considération pour constituer des évaluations pertinentes et orienter des stratégies. «La preuve nous est donnée par la chronologie des faits. C’est le choc de deux figures, deux symboles, deux incarnations si extrêmes des inégalités du Cameroun.

Eux ce sont des pauvres. Lui : un des représentants les plus connus du monde très fermé de la haute administration du pays, une incarnation aussi, de la réussite sociale, de l’entre-soi des riches et de la jouissance facile ; la campagne qui est menée  contre lui, se révèle totalement disproportionnée par rapport à ce qui est en cause, dans son ampleur comme dans ses moyens et dans son orchestration», appuie un citoyen de la diaspora. Pourquoi l’affaire est-elle déterrée maintenant ?

« C’est que l’affaire est emblématique d’une multitude d’enjeux à l’intersection des questions de pouvoir, de classe sociale, d’origine culturelle, de générations ; elle interroge la façon d’agir et l’articulation entre eux des différents pouvoirs, politiques, medias, justice… Ses acteurs ou victimes font figure, malgré eux, de véritables stéréotypes. Tout cet ensemble finit par ressembler à un immense triangle reposant sur une tête d’épingle. Au finish, comme en un miroir brisé, les questions convergent les reflets d’une seule : à qui profite le crime ?», analyse le Pr Belinga Zambo.

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