LE SILENCE DE LA CONFERENCE EPISCOPALE DU CAMEROUN FACE A LA CRISE ANGLOPHONE
CAMEROUN :: POINT DE VUE

LE SILENCE DE LA CONFERENCE EPISCOPALE DU CAMEROUN FACE A LA CRISE ANGLOPHONE :: CAMEROON

Mon église s’est tue ! Nous, chrétiens catholiques du Cameroun, allons bientôt liturgiquement célébrer la Passion, la mort et la résurrection du Christ qui a donné sa vie pour nous montrer le chemin de la liberté qui n’est rien d’autre que celui de la vérité. Mais je crains que ce ne soit du folklore parce que nous avons fermé les yeux sur la passion des deux régions anglophones, beaucoup trop occupés par les chemins de croix rituels. Un chrétien qui témoigne de la vérité dans sa vie au quotidien n’a pas besoin d’aller au chemin de croix chaque vendredi parce que sa vie elle-même est un chemin de croix.

J’attends toujours la parole prophétique de la Conférence épiscopale du Cameroun au sujet de la crise anglophone qui a soumis l’état unitaire, si c’en était un, à une rude épreuve. En son temps, la Conférence épiscopale régionale qui couvre les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest avait courageusement interpellé les dirigeants du Cameroun sur la nécessité de privilégier le dialogue à la répression, y compris sur la question du fédéralisme. Entretemps, les négociations ont échoué, et la traque systématique de l’élite militante anglophone a commencé. Aussi, aujourd’hui, nous sommes à plus de deux mois de privation des régions du Nord-Ouest et de Sud-Ouest d’internet. Le chef de l’Etat aurait ces jours-ci instruit le ministre de la justice de faire créer la section Common Law à l’ENAM et dans le Universités publiques camerounaises, pour résoudre donc quel problème, si ce n’est le problème anglophone dont on avait d’abord nié l’existence. Pourquoi maintenir en prison des leaders dont les revendications étaient légitimes?

Pour ma part, je n’ai jamais caché mon soutien à la révolte anglophone contre l’injustice relative à la spécificité de leurs systèmes éducatifs et judiciaires. C’est d’ailleurs tout le Cameroun qui devait se révolter si les jérémiades des régions francophones sur la gestion chaotique du Cameroun étaient sincères. Le gouvernement camerounais, peu habitué au dialogue, a d’abord nié l’existence d’un problème anglophone au profit d’une répression sauvage ; mais s’est vu ensuite contraint par la force de la résistance d’ouvrir les négociations sur un agenda qui avait entretemps évolué vers la demande du fédéralisme comme solution durable aux revendications. Les négociations ayant échoué, les leaders de la contestation ont été arrêtés et placés en détention sur fond d’amalgames entre fédéralisme et sécession. Ces leaders, parmi lesquels des avocats respectés, sont aujourd’hui jugés pour terrorisme et atteinte à la sûreté de l’Etat, c’est-à-dire simplement assimilés aux militants de Boko-Haram. Ils sont désormais à la merci d’un système judiciaire que les honnêtes citoyens camerounais savent à la solde du politique. Sans pressions extérieures, ils n’ont aucune chance d’avoir droit à un procès équitable. Je n’ai pas manqué, moi aussi, de faire l’apologie du fédéralisme à défaut d’une décentralisation effective. Et puisqu’il semble qu’on arrête et accuse d’atteinte à la sûreté de l’Etat et de terrorisme tous ceux qui appellent à un débat de fond et ouvert sur la forme de l’Etat au Cameroun, j’attends mon tour. En attendant, je peux encore jouir de ma liberté d’expression.

Oui, ce que je ne comprends pas c’est le silence de mon église face à cette crise qui, depuis pratiquement six mois, menace d’ébranler l’état unitaire au Cameroun. Pour l’instant elle se tait ! On me reprochera de me mêler de ce qui ne me concerne pas ou des choses que j’ignore. Peut-être y a-t-il eu une diplomatie discrète, et si c’était le cas, nous attendons encore les fruits. Car seule une diplomatie discrète mais fructueuse peut expliquer un tel silence. En effet, un tel silence qui ne laisse entendre que le cri des évêques anglophones tend à reproduire la polarisation, surtout que le problème qu’il s’agit de résoudre ici n’est pas régional mais bien national. C’est l’unité nationale qui est en jeu et une parole prophétique de l’épiscopat camerounais appelant au dialogue, à l’unité et à la paix aurait probablement freiné les ardeurs d’un gouvernement porté plutôt à la répression ou celles des manifestants tentés par la violence. Mais comment oublier que nos églises sont souvent affaiblies par les mêmes maux qui minent la société !

Et quid de la vague d’arrestation des leaders anglophones de la contestation, y compris un avocat de la cour suprême, qui a d’ailleurs poussé certains à l’exil. Mon église s’est tue. Et quid de la privation des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest de l’accès à internet pendant près de deux mois, mon église s’est tue. Quand je sais que je fais partie de son clergé, je me demande si c’est moi qui me suis pas trompé de vocation ou d’église ! Sommes-nous vraiment au service de Jésus Christ dont l’amour de la vérité et de la justice l’a fait tuer à trente-trois ans ? Le connaissons-nous vraiment ? Le suivons-nous vraiment ! J’avoue que j’en doute ! Oui, Pâques est proche, mais qu’allons-nous célébrer au juste? Un rituel ? Alors que nous n’avons pas pris parti pour l’opprimé ? Notre vendredi saint ne sera-t-il que du folklore ? Je wanda vraiment sur ce qu’est être chrétien, disciple du Christ, au Cameroun aujourd’hui. C’est plus facile de porter la croix au cou comme gris-gris que de la porter dans la vie ! Bonne fête de Pâques, tout de même !

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