Cameroun: ME VOICI DONC A BAMENDA… Par Albert MOUTOUDOU*
CAMEROUN :: POINT DE VUE

Cameroun: ME VOICI DONC A BAMENDA… Par Albert MOUTOUDOU* :: CAMEROON

Le pouvoir RDPC a donné le ton au début des événements en déclarant que le statut de l’Etat lui-même était en danger par les revendications des manifestants en zone dite anglophone. C’est ce qu’a entériné l’Arrêté d’interdiction d’organisations qui sont à la tête du mouvement de mécontentement.

Si donc l’affaire était si grave, pourquoi après le premier ministre, après le ministre de la justice, après le ministre de la communication, après le ministre des Enseignements secondaires, après le Professeur Ghogomu Paul Mingo nommé à la tête de la commission ad hoc qui s’essouffle semble-t-il, le Président, lui, en est-il seulement à sa commission sur le bilinguisme et le multiculturalisme dont nous attendons encore d’en connaître les membres ? Pour une autre affaire d’Etat récente, les menées terroristes dans le Grand Nord, n’avons-nous pas entendu le chef de l’Etat rappeler ses attributions de chef de guerre en déclarant celle-ci, même si ce fût curieusement depuis l’étranger ? Faudrait-il croire que le fédéralisme ou la sécession dont nous serions menacés par nos compatriotes dits anglophones, est moins à craindre que le terrorisme de Boko Haram ?

Pour une affaire aussi importante que les événements en zone dite anglophone, on n’en finit pas d’attendre que le Président de la République s’implique en lançant la discussion, ou la table ronde, ou les Etats-généraux, ou tout autre nom que vous voudriez donner à ce grand débat national qui aura une triple vertu : calmer les tensions actuelles, impliquer les vrais acteurs dans la résolution des problèmes soulevés par nos compatriotes dits anglophones, harmoniser dans les deux parties du pays les applications de nos textes et la conduite de nos institutions. C’est en assurant de sa présence à l’ouverture d’une telle session, et si besoin est à la clôture aussi, avec un discours apaisant et engageant, en présence de tous ceux qui représentent véritablement quelque chose dans les deux parties du pays, que Paul Biya fera avancer ce dossier.

Pour l’heure, après la répression, le pouvoir parie sur le pourrissement de la situation en zone dite anglophone. C’est l’une de ses options systématiques dans la gestion des conflits, les deux autres options étant la répression et la corruption. Au lieu d’organiser cette grande réunion à la hauteur des enjeux, en se réjouissant de ce que les manifestants dits anglophones refusent avec raison de recourir aux armes et aux méthodes des Boko Haram et Cie, le pouvoir semble attendre maintenant que les choses pourrissent d’elles-mêmes après avoir incarcéré ceux qu’il considère comme les meneurs du mouvement.

Le pourrissement d’une situation comme en ce moment celle de la zone dite anglophone est toujours possible. Mais c’est aussi oublier qu’en ce cas les choses nous reviendront à la figure comme un boomerang. En évitant de traiter les problèmes qui ont suscité le mécontentement, ceux-ci se réveilleront à nouveau tôt ou tard ; à ce moment-là il faudra payer au prix fort, avec les intérêts comme on dit à la banque, ce qui aurait coûté moins cher si l’on avait traité les problèmes à temps. D’autant plus que le pourrissement radicalise certains éléments qui joueront alors leur va-tout à la moindre occasion.

Nous avons vu la technique du pourrissement à l’œuvre autour des années 1990, particulièrement à Douala où le pouvoir RDPC en vint à pousser au pourrissement y compris au sens propre du terme, en laissant les rues de la ville sans nettoyage dégouliner de pourriture sous des montagnes d’ordures. Comme pour punir les manifestants. Tout cela n’est pas si loin. Quand les manifestants eurent quitté les rues de Douala, alors avec la complicité de quelques prétendues élites de la ville séduites par l’autre technique qui est celle de la corruption, M. Biya vint dire : « Me voici donc à Douala… » Les habitants n’en reviennent pas que le Président leur ait adressé ces propos narquois.

A l’inverse, si l’on choisit le dialogue franc avec les populations, la question des interlocuteurs se pose : il faut trouver avec qui parler. M. René Emmanuel Sadi du MINATD, par l’arrêté du 17 janvier 2017, interdit les forces qui revendiquent et qui animent le mouvement de mécontentement actuel dans la partie dite anglophone, à savoir le South Cameroonian National Council (SCNC) et le Consortium de la société civile. Le pouvoir RDPC reproduit tous les schémas coloniaux sans en oublier un seul : il commence par dissoudre ceux qui veulent lui faire entendre quelque chose et qui plus est s’arrangent à le faire pacifiquement. Cela aussi rappelle certains faits du passé dans notre pays ! Alors, avec qui discuter ? Je ne dis pas qu’il n’y a que les seules organisations interdites qu’il faille amener à la table de discussion, il y en a d’autres. Ce que je dis c’est que le pouvoir doit lutter contre cette faiblesse qui est la sienne à n’entrevoir la discussion qu’avec des gens qui pensent comme lui.

L’article 1er de l’Arrêté du ministre Sadi dit : « Sont nuls et de nul effet pour objet et activité contraire à la Constitution et de nature à porter atteinte à la sécurité de l'État, l'intégrité du territoire, à l'unité nationale et à l'intégration nationale, les groupements dénommés Southern Cameroons National Council (SCNC) et Cameroon Anglophone Civil Society Consortium (CACSC)».

Par cet attelage de mots percutants, sécurité, intégrité, unité, intégration, etc., M. Sadi fait probablement référence aux professions de foi entendues parmi les manifestants, pour le fédéralisme ou pour la sécession, et en vertu de quoi, peut-être, les organisations susnommées sont frappées d’interdiction. Mais examinons un peu le procédé.

Les membres de ces organisations ne se sont pas levés un matin en criant comme s’ils étaient devenus fous : « Fédération ! » ou « Sécession ! » Il serait bien plus exact de dire qu’ils auront plutôt noté, année après année, que certaines pratiques dans l’Etat dit unitaire (non pas les textes qui sont bons dans l’ensemble, mais la pratique, la réalité vécue de tous les jours) semblent discriminer les anglophones vis-à-vis des francophones. Nos compatriotes dits anglophones font une liste des situations où il leur semble, à tort ou raison, que leurs compatriotes francophones sont mieux lotis. Comme par exemple l’usage déséquilibré du Français et de l’Anglais, les postes dans l’administration, les ministères, les répartitions des budgets de développement, etc., etc. Ils en parlent tous les jours, dans les quartiers sans se cacher, les lieux de travail, les établissements scolaires, dans la rue. Et le régime de M. Biya qui a sa police politique et ses mouchards est au courant depuis longtemps de l’amertume de nos compatriotes dit anglophones, amertume aujourd’hui transformée en mécontentement de grande ampleur.

Et c’est en vertu des observations faites dans divers domaines de la vie de tous les jours que nos compatriotes dits anglophones en viennent à la conclusion que l’on pourrait énoncer de la façon suivante : « Puisque c’est COMME ÇA qu’on nous traite dans la République, alors nous sommes à présent pour la fédération ou pour la sécession. » Si le ministre retient seulement la conclusion et ignore les cas de figures énoncés et qui ont conduit à cette conclusion, c’est son affaire mais il n’a pas des enfants en face de lui, à qui il peut imposer ce qu’il a décidé d’entendre et faire oublier ce qu’il a refusé d’entendre. Avant de condamner les gens parce qu’ils parlent de fédération ou de sécession, la méthode impose qu’on examine le « COMME ÇA » qu’ils énoncent et qu’on discerne ce qui y est pertinent. Aussi, le gouvernement devrait-il dire : « Asseyons-nous et ensemble nous allons examiner l’un après l’autre les cas identifiés qui, selon vous, semblent installer des discriminations entre anglophones et francophones, puis, ensemble encore, nous tâcherons de résoudre au moins les cas les plus urgents. »

A l’occasion d’un tel examen, iI se pourrait d’ailleurs qu’on ait aussi à relever des cas de discriminations contre les populations dites francophones. C’est la raison pour laquelle il n’y a qu’une grande réunion entre tous les Camerounais qui s’impose et non pas les promenades des ministres dans le Sud-ouest et dans le Nord-ouest, avec gaspillage de carburant, indemnités de missions inutiles.

Si la seule réplique de l’Etat camerounais à tous ceux qui osent utiliser les mots « fédéralisme » et « sécession » est de les frapper d’interdiction, ça pourrait marcher un certain temps, mais pas tout le temps1. J’ai dit dans un précédent article qu’entre des Camerounais de bonne volonté il n’y a pas de sujet tabou, et qu’il y en a d’autant moins, sur la question de l’Etat, que c’est le pouvoir en place qui a changé d’avis par deux fois, en 1972 et en 1984, et qu’il n’y a pas à pousser des cris effarouchés quand certains Camerounais commencent à leur tour à en changer2. Ce n’est que l’avis de ces Camerounais-là. Discutons-en. C’est dans le dialogue que nous verrons ce qui est à retenir de leurs récriminations et ce que l’on doit écarter. Mais dans le dialogue. Ce bon sang de dialogue sans lequel il n’y a plus que des aveugles qui ne voient pas que nous reculons. Il n’y a pas d’un côté un Etat qui aurait la science infuse et de l’autre des populations d’abrutis et d’excités !

Alors devant une situation qui met en péril l’unité de la nation, au lieu d’organiser des assises du dialogue au niveau requis par les enjeux, avec la présence solennelle du Président de la république au moins à l’ouverture, un coup il envoie tel ministre, un coup tel autre… L’option du pourrissement ? Voire ! En ce cas gageons que le Président silencieux en ce moment serait en train d’envisager une virée devant le Bamenda Congress Hall, juste pour pouvoir s’écrier : « Me voici donc à Bamenda… ».

1 On vient encore d’interdire une manifestation pacifique déclarée pour le 4 mars, par M. Jean-Michel Nintcheu, député SDF du Littoral. Comme pour rire… 
2 Nous sommes tous des anglophones dans le journal Le Messager N°4767 du 22 février 2017.

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