Cameroun, Nouveaux champions d’Afrique de football 2017: Ce que révèlent et cachent nos félicitations
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Cameroun, Nouveaux champions d’Afrique de football 2017: Ce que révèlent et cachent nos félicitations :: CAMEROON

La victoire-surprise des Lions Indomptables en finale de la Coupe d’Afrique des Nations de football face aux Pharaons d’Egypte en février dernier à Libreville au Gabon a suscité beaucoup de commentaires au Cameroun et au-delà. Si de nombreux Camerounais se sont félicités des performances des Lions Indomptables, d’autres, encore plus lucides, n’ont pas hésité à tirer des leçons de cette victoire que personne n’a vu venir. Voici une réflexion de Jean-Emmanuel Pondi, supporter naturel et inconditionnel des Lions Indomptables, sur l’attitude, le comportement de ses compatriotes qui est, depuis quelques temps, la conséquence directe des résultats parfois catastrophiques de ces derniers dans différents domaines.

La soirée du dimanche 05 février 2017 marquera probablement à tout jamais, pour les Lions Indomptables du Cameroun et pour leur encadrement technique, un instant glorieux de ré – inscription dans la lignée légendaire des champions d’Afrique de football. Elle fut surtout un moment fort de rétablissement de leur honneur passablement bafoué.

La présente réflexion vise au moins trois objectifs :

* Explorer la profondeur et les contours du désamour qui s’étaient durablement installés entre l’équipe Fanion masculine de football et ses anciens supporters ;

* Constater le degré de revirement opéré au sein du grand public dès l’atteinte des excellents résultats de la 31è coupe d’Afrique des Nations Gabon 2017. Et enfin,

* Réfléchir sur un certain nombre de fléaux qui, à l’instar du refus de l’écoute de l’autre, ou de l’habitude contractée d’une certaine violence verbale, nuisent dangereusement à la cohésion de notre société, jadis plus tolérante.

Mon propos se conclura par une réflexion sur l’importance qu’il pourrait y avoir aujourd’hui à revaloriser les vertus culturelles africaines de la palabre, la nécessité de respecter l’opinion des autres par l’adoption d’un comportement qui soit en phase avec nos valeurs de civilisation.

Malaise chez les Lions Indomptables depuis 17 ans

Le torchon brûle depuis plus d’une quinzaine d’années déjà entre les Lions Indomptables du Cameroun et leurs supporters. Ces derniers reprochent aux structures footballistiques camerounaises (à la Fédération Camerounaise de Football (FECAFOOT) et à l’Equipe fanion senior) de nombreux manquements, à plusieurs niveaux entre 2002, date de la dernière CAN remportée au Mali, et 2017. A tort ou à raison, la FECAFOOT a été accusée en 2005 par exemple, de mauvaise gestion des fonds alloués par la FIFA (Fédération Internationale de Football Association) et par l’équipementier « Puma ». Une enquête a été ouverte à ce sujet. Sans suite palpables.

La même Fédération a été rappelée à l’ordre un an plus tôt, lors de la CAN Tunisie 2004, pour « port d’équipements démembrés non conformes ». La FIFA affichera encore son courroux

vis-à-vis de la FECAFOOT quand, après moult accusations et contre-accusations de fraudes électorales venues de Yaoundé, elle validera la mise sur pied d’un Comité de normalisation qui aura pour mandat de procéder à la relecture des textes de la FECAFOOT et d’organiser les élections à la présidence de son bureau.

Après deux reports (le 29 novembre 2014 et le 25 février 2015) lesdites élections ont finalement lieu le 28 septembre 2015. Un nouveau Président est élu en la personne de M. Tombi à Roko Sidiki.

Les performances des Lions Indomptables ont logiquement épousé les contours moroses, peu aguichants, du contexte décrit plus haut. A la CAN d’Angola 2010, notre équipe fanion masculine senior de football affiche le palmarès suivant : un match gagné contre la Zambie (3-2) ; un match nul avec la Tunisie (2-2) et une défaite face au Gabon (0-1). Le verdict, ici, coule de source : exit au premier tour.

La coupe du monde organisée quelques mois plus tard en Afrique du Sud en juin 2010, se déroule de manière désastreuse pour les Lions Indomptables du Cameroun, inscrits en poule E : 3 matchs joués, 3 défaites enregistrées (0-1 contre le Japon ; 1-2 contre le Danemark et 1-2 contre les Pays Bas). Ils furent classés avant derniers de leur poule au premier tournoi mondial de football organisé en terre africaine.

Alors que l’on croyait avoir atteint le fond de l’abîme footballistique, d’autres désagréments suivront à l’occasion de la Coupe du Monde de Football du Brésil en Juin 2014 pour laquelle, malgré les déboires connus, le Cameroun est encore qualifié. Une fois de plus, notre équipe livre 3 matches pour 3 défaites : 0-1 contre le Mexique ; 0-4 contre la Croatie et 1-4 contre le Brésil. En guise de cerise sur ce gâteau bien amère, une rixe qui oppose deux co-équipiers de l’équipe camerounaise en mondovision ! Cette fois-ci la formation du Cameroun, jadis classée 5è meilleure équipe du monde à l’issue de la Coupe du monde d’Italie de 1990, est contrainte d’occuper la toute dernière place parmi les équipes du tournoi mondial organisé dans le pays le plus titré de cette compétition.

Ce sont tous ces problèmes récurrents de corruption présumée des officiels, de malaise avéré et prolongé au sein des Lions Indomptables et de performances déclinantes sur les stades d’Afrique et du monde, qui ont amplifié la distance entre les supporters des Lions et leur équipe phare.

Il était plus que temps d’introduire davantage d’éthique, d’esprit patriotique, de rigueur dans la sélection des joueurs avec comme seul critère la performance du moment, de réclamer que les résultats soient proportionnels aux sacrifices consentis par les contribuables camerounais dont l’argent finance ces coûteuses primes et subventions.

Juste avant la CAN 2017, une attitude de désamour profond et croissant entre les supporters et leur équipe.

Quelques mois avant l’entame de la 31è coupe d’Afrique des Nations de football Messieurs Gabon 2017, au regard d’un passé peu glorieux, que n’a- t- on pas dit sur la « nullité » supposée pour les uns, avérée pour les autres, des Lions Indomptables et de leurs encadreurs ?

Que n’a- t- on pas écrit sur leur inaptitude « très certaine » - parce que déduite à partir d’analyses « fiables » – à franchir le deuxième tour de la compétition ?

Un quotidien camerounais très respecté ira jusqu’à choisir un titre pour son édition de la première semaine de janvier 2017, qui en dit long sur la désillusion générale vis-à – vis des fauves du Cameroun : « le Roi de la forêt a perdu sa crinière ». Même Le Monde Afrique, journal prestigieux français, connu pour ses analyses très mesurées, n’a pas résisté à la tentation d’adopter comme titre phare de son article du 14 janvier 2017, la manchette suivante : « les Lions indomptables ne font plus rêver ». C’est donc peu dire que d’affirmer qu’en cette veille de CAN 2017, les Lions étaient au creux de la vague , et que comme des « pestiférés », personne ne souhaitait plus s’associer à leur image. D’où la défection d’une dizaine de joueurs professionnels sollicités par l’entraineur-sélectionneur national encore en poste malgré tous les vents qui lui étaient contraires, le belge Hugo Broos.

Se présentant comme des experts «éminemment patriotes» de la chose footballistique auprès du grand public, de nombreux commentateurs optèrent pour un registre bien précis pour exister sur l’espace médiatique national et international : celui de l’injure personnelle et personnalisée envers les Lions Indomptables et leurs entraîneurs, ainsi qu’en direction de tous les téméraires qui ne partagent pas leurs idées.

D’une manière générale, comme indiqué plus haut, le comportement parfois choquant de certains prédécesseurs des Lions Indomptables actuels a profondément indigné les camerounais. Et à juste titre. Entre les demandes intempestives de primes toujours revues à la hausse, non suivies de résultats sur le terrain depuis 17 ans, et la fameuse dispute en mondovision entre deux co-équipiers camerounais sur le terrain à la coupe du monde du Brésil en 2014, il y avait de quoi être exaspéré.

Après la CAN, la manifestation d’un enthousiasme débordant

Vingt deux jours et six matchs après le début du tournoi au Gabon, nous sommes rendus au tout dernier jour de la compétition, avec un scenario que la très grande majorité des « analystes », décrits plus hauts, n’avaient certainement pas imaginé. Après avoir croisé le fer (ou les crampons) avec les formations les plus redoutables et les plus redoutées de la Coupe d’Afrique des Nations 2017, l’équipe nationale de football du Cameroun, accusée quelques semaines auparavant d’être composée de « sans grades » voire de « supplétifs » totalement inconnus au panthéon du football africain, à deux ou trois exceptions près ,se retrouve sacrée 31è champion d’Afrique de football ! Pour parvenir à ce résultat, elle a dû faire jeu égal ou terrasser : « les Panthères du Gabon », formation du pays organisateur de la 31è CAN ; les « Black Stars » du Ghana, quadruple champion d’Afrique et plusieurs fois finalistes ou demi- finalistes de la compétition ; « les Pharaons » d’Egypte, sept fois vainqueurs du trophée et reconnue comme formation la plus titrée de la CAN.

La 31è CAN a donc été remportée de la plus belle des manières, c'est-à-dire avec la manière. A un moment ou personne ne s’y attendait, dans un environnement au sein duquel très peu y croyaient.

Le triomphe de 2017 : Quelles leçons pour la nation ?

Bien que l’on ne puisse plus revenir sur les faits, les gestes et les incartades passées, l’ampleur atteinte par les différents comportements d’intolérance verbale constatés ne peut qu’appeler de notre part, une série de réflexions autour de la véritable nature du malaise que traverse aujourd’hui la société camerounaise.

Pourquoi en effet tant de haine, tant de calomnies, tant d’injures, tant de refus systématique de l’écoute de l’autre au Cameroun? A quoi tient ce mal-être qui, de toute évidence, étreint aujourd’hui une grande partie de la société camerounaise, et qui induit ces attitudes d’hostilité, de violence verbale, situées aux antipodes des prescriptions de la culture africaine ? Un arbre peut-il grandir en dehors de ses propres racines ? Quel pays au monde a connu la paix en tournant le dos à sa propre culture, ou à ses faisceaux de cultures ?

De la nécessité de revisiter et d’adopter les meilleurs préceptes des cultures comportementales africaines en matière de discours public

Que nous le voulions ou pas, que nous en soyons fiers ou non, nous sommes d’abord et avant tout des Africains qui vivent au Cameroun. A ce titre, il importe grandement, à l’heure où les postures publiques des uns et des autres sont sujets à caution (tel que démontré par l’épisode de la CAN 2017), de revisiter nos fondamentaux culturels dans le but de nous réapproprier nos racines, c'est-à-dire de recouvrer l’essence civilisationnelle qui structure notre être.

La culture africaine traditionnelle a bel et bien prévu un cadre à partir duquel s’opère la prise de parole, un contexte à l’intérieur duquel se conduisent les joutes oratoires : c’est celui de la palabre africaine. Dans un ouvrage de référence rédigé sur ce thème, paru aux Editions Michalon à Paris en 1997 et intitulé La Palabre. Une juridiction de la parole, le philosophe et écrivain camerounais Jean Godefroy Bidima décrit avec précision, la manière dont s’exerce cette pratique au sein de la société africaine traditionnelle. Elle implique une obligation (se taire ou prendre la parole à un moment précis), une règle (parler après l’autre), une hiérarchie (certains prennent la parole tandis que d’autres la reçoivent) et des contraintes (il faut observer les règles de bienséance).

En outre, il importe de souligner que dans l’Afrique traditionnelle, la parole contradictoire était parfaitement acceptée. L’on pouvait s’opposer à ce qui était dit ou fait, mais selon des règles de courtoisie bien élaborées qu’il fallait respecter.

Revenons à notre sujet. Les polémiques souvent d’un goût douteux observées tout au long de la durée de la CAN 2017, ont- elles obéi « aux quatre règles » sacrées de la palabre africaine qui sont : l’obligation d’écoute ; la nécessité de suivre un ordonnancement dans la prise de parole ; le respect du droit d’ainesse ; la contrainte pour tous de se comporter respectueusement vis-à-vis de tous les interlocuteurs présents, quelque soit leur statut social ?

L’on peut répondre sans risque de se tromper, par la négative. Il est crucial de comprendre, pour citer à nouveau le Pr Bidima, qu’en Afrique, « la palabre est bien le lieu de la parole, pas n’importe laquelle, mais la parole qui induit un changement de comportement » (P. 22) et qui construit un univers de positivité, de solidarité et de réconciliation pour ceux qui s’engagent dans cet échange.

Puisse « l’expédition » finalement victorieuse des Lions Indomptables à Libreville et à Franceville, nous pousser, en tant que camerounais, à questionner avec profondeur les raisons fondamentales de nos démarches individuelles et égoïstes, faites de violence verbale vis-à-vis d’autres compatriotes. Puisse t- elle nous ouvrir les yeux sur les conséquences désastreuses de notre refus d’écoute de l’autre et nous faire comprendre l’erreur qu’il y a, à parler d’atteinte d’émergence en 2035, sans l’adoption de comportements nouveaux et positifs qui conduisent vers un épanouissement personnel et sociétal.

Parce que la palabre africaine a pour but principal de renforcer le lien social et communautaire après des échanges parfois francs et houleux, et non de le détruire, nous nous devons de bien maitriser impérativement les contours de son utilisation. Les Lions Indomptables sont, sauf cas d’erreur, « les Lions Indomptables du Cameroun ». Ils sont devenus, par leur témérité, leur esprit de solidarité sans faille et leur courage, les nouveaux Rois de la forêt et de l’Afrique du football masculin. Avec toute leur crinière. Ayons l’humilité pour certains, de reconnaître nos erreurs et de les féliciter chaleureusement. Ayons surtout la détermination de faire en sorte que, par notre comportement personnel réajusté, s’agissant de notre attitude vis-à-vis de cette équipe, demain ne soit plus comme hier. Ayons enfin l’humilité de reconnaître qu’il y a beaucoup de camerounais qui, quotidiennement posent des actes héroïques dans le silence de leur détermination à changer les choses. Donnons-nous comme objectif de les encourager plutôt que de les fustiger. De fait, les actes sont toujours plus parlants que les discours.

Pendant les dix sept dernières années, une trop forte focalisation sur le vedettariat a grandement desservi la performance collective de notre onze national. A la CAN du Gabon 2017, la vedette invitée par les joueurs eux-mêmes a été « l’unité sans faille au service de toute l’équipe ». Avec les résultats extraordinaires que l’on sait.

Puisse cet esprit être adopté par les camerounais de toutes les parties du triangle national.

Pour conclure, des félicitations sont certes dues aux nouveaux champions, mais accompagnées d’une profonde et réelle transformation de nos comportements d’abord.

L’intérêt général au dessus des intérêts particuliers. L’humilité et l’écoute plutôt que l’arrogance. La patrie avant les égoïsmes sans lendemains. Ce sont les meilleurs remerciements et le meilleur cadeau que nous puissions offrir, en retour, à nos héros de la CAN Gabon 2017.

*Pr Jean-Emmanuel PONDI est un internationaliste. L’actuel secrétaire général de l’Université de Yaoundé est l’auteur de plusieurs essais et réflexions sur l’Afrique et le Cameroun.

Article publié originellement sur ce lien

http://afrikactuelle.com/afrique/21-afrique-centrale/793-cameroun-nouveaux-champions-d-afrique-de-football-2017-ce-que-revelent-et-cachent-nos-felicitations.html

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