Cabral Libii : Libérer ne saurait constituer une fin
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Juriste et analyste politique, il décrypte les positions autour de la libération des manifestants.

Le tribunal militaire s'est saisi du cas de certaines personnes arrêtées dans le cadre des évènements de Buea et Bamenda. Est-il dans son droit ?
Sur le principe et au regard de la législation en la matière, notamment l’article 7 de la loi du 29 décembre 2008 qui organise la justice militaire, le tribunal militaire est compétent pour les infractions commises par les militaires et des infractions commises avec des armes à feu. Si les détenus sont rangés dans l’une de ces catégories, le tribunal militaire est dans son droit. Sinon comment le comprendre ?

Il se passe que depuis 1990 et surtout 1996, le tribunal militaire a été dessaisi de la compétence de juger les infractions portant atteinte à la sureté de l’Etat, encore appelées infractions politiques, au profit des tribunaux de droit commun et des tribunaux d’exception que sont, la Haute cour de justice et la Cour de sureté de l’Etat. L’on peut donc imaginer dans un premier temps que c’est l’absence d’effectivité de ces juridictions qui favorise la situation querellée. Toutefois, il faut savoir que la loi anti-terroriste du 23 décembre 2014 est également en vigueur. Et elle consacre l’exclusivité de compétence du tribunal militaire en ce qui concerne la répression des « actes de terrorisme ». Seules des clarifications sur la qualification des actes imputés aux  détenus, peut permettre de s’en faire une idée fixe.

Même au sein du parti au pouvoir, des voix s'élèvent pour demander la libération de ces personnes. Comment comprenez-vous cela ?
J’inscris ces appels dans le registre de l’apaisement. Car, compte tenu de la relative impasse dans laquelle se trouve la crise anglophone, la rigidité de l’ordre gouvernant peut radicaliser davantage les revendicateurs, tout en suscitant à leur égard une inflation du soutien populaire.

En donnant l’impression d’un « David contre Goliath », le bras de fer larvé, sur la durée, aux yeux de la population, risque de renforcer l’adhésion. Et même temps, en ayant déjà libéré environ 1/3 des détenus, selon les chiffres officiels, le pouvoir central en cédant de nouveau, craint, un affaissement de son autorité. Mais de mon point de vue, il ne saurait s’agir seulement de libérer des personnes ou pas. Il y a eu des exactions. Et les auteurs de ces exactions injustifiées doivent à défaut d’être punis, faire publiquement amende honorable. Mais, au préalable, il faut que l’irréfutabilité des charges retenues contre eux, soit établie. Il y a donc exigence de transparence. De même, les auteurs des exactions figurant dans les rangs des forces de l’ordre doivent eux aussi, faire l’objet de poursuites judiciaires. Si ce n’est pas le cas, l’on aurait alors le sentiment  qu’il ne s’agit véritablement que de la justice du plus fort. Et plus précisément du « plus fort francophone ».

Dans l’hypothèse de leur libération, ne serait-ce pas là un dangereux précédent ?
La dangerosité d’un précédent ne saurait seulement être redoutée dans la perspective de libération. Encore faut-il que les arrestations n’aient pas constitué par leur éventuel caractère cavalier, elles-mêmes, un dangereux précédent. Si les personnes libérées sont convaincues des charges retenues contre elles, alors, le pouvoir en lâchant du lest, donnerait aux yeux de l’opinion des gages de sa volonté de décrispation. Une récupération subséquente d’un tel acte de « mansuétude judiciaire », par ses bénéficiaires aux fins d’exacerbation de la crise, serait alors regrettable et viderait à coup sûr aux yeux de l’opinion cette démarche malveillante de tout crédit.

En revanche, il faut bien préciser que le poids moral de la libération des détenus est mesuré à l’aune de la légitimité et de la légalité de l’arrestation. Car si des gens ont été arrêtés sans fondement, leur libération par voie de conséquence, devient la réparation d’une erreur. Et donc une victoire pour les revendicateurs. Et dans cette hypothèse la  persistance de l’erreur profite également aux détenus. C’est le piège sans fin.

Considérant les enjeux politiques et la nécessité de rendre justice, quelle pourrait être la solution dans ce cas ?
La solution est entre les deux. Si arrêter les gens n’a pas été une solution à la crise, ce n’est pas la libération qui le sera. Libérer des détenus, le cas échéant, ne saurait constituer une fin, mais un moyen à inscrire dans une batterie de mesures sincères et profondes. Une unanimité s’est construite aujourd’hui sur la nécessité d’une décentralisation plus aboutie. C’est une piste sérieuse.

Tout comme la tabouisation du débat sur le fédéralisme (et non pas de la sécession qui est une infraction criminelle punie par l’article 111 du Code pénal) me paraît inopportune et superfétatoire. Le sommet de l’Etat doit intégrer qu’un peu d’humilité face aux citoyens est plutôt salutaire. Car il est à craindre qu’il ait perdu  le monopole de la technique du pourrissement.

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