Dix réflexions pour la consolidation de la pax republicana ivoriana (I)
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CÔTE D'IVOIRE :: Dix réflexions pour la consolidation de la pax republicana ivoriana (I) :: COTE D'IVOIRE

Le célèbre philosophe grec Aristote soulignait à juste titre l’importance de la science politique, car l’organisation de la cité est la condition de toutes les autres activités humaines. La paix politique est la clé de voûte de la tranquillité du commerce des gens et des peuples. L’expérience montre en effet que la disharmonie politique entraîne les déstabilisations sociales, économiques, culturelles et même spirituelles dans la vie d’une nation, voire même d’une région ou d’un continent. Si des philosophes comme Platon, Hobbes, Rousseau, Marx ou Rawls se sont échinés à théoriser le pacte social, le contrat social, la société sans classes ou la justice comme équité, ce n’était point par pure lubie de penseur. L’aiguillon de l’instabilité, la pression du risque de guerre et d’anarchie sont les catalyseurs par excellence de la pensée politique de toutes les époques.    

Le rôle de l’intellectuel, dans ces situations critiques, n’est surtout pas de dire aux politiques du pouvoir ou de l’opposition, ce qu’ils aimeraient entendre. Il s’agit d’essayer de prendre conscience soi-même et de faire prendre conscience à tous de l’objectivité des problèmes et de la nécessaire objectivité des solutions proposées. Dans le cas de la Côte d’Ivoire contemporaine, dans une Afrique et un monde déstabilisés par de nombreuses contradictions, qui niera que des fragilités structurelles anciennes et nouvelles se manifestent à l’orée de la troisième république née de la constitution promulguée le 5 novembre 2016 par le président Alassane Ouattara ? Mutineries, grèves, revendications sociales exacerbées, voilà le cortège de faits avérés que la pensée proactive et prospective doit décanter. Je voudrais, dès lors, consacrer une série de dix réflexions à poser essentiellement deux gestes  de thérapeute intellectuel de l’ordre politique ivoirien : 

1) Un diagnostic des fragilités structurelles de la nouvelle république ivoirienne ; 

2) Des propositions de solutions pouvant aboutir à une réelle consolidation de la fort précieusepax republicana ivoriana, la paix républicaine ivoirienne, conditions de toutes les émergences espérées. L’esprit de ce diagnostic et de ces propositions est de servir l’intérêt général de mon premier pays adoptif, la Côte d’Ivoire, et de la sous-région africaine, dans une perspective éminemment désintéressée. 

D’emblée, précisons qu’il n’y a pas de mutation sociopolitique décisive sans crise d’adaptation. Les fragilités structurelles anciennes se reformulent toujours dans les systèmes nouveaux, tout comme les systèmes nouveaux génèrent nécessairement des difficultés nouvelles. Si toute vie est résolution de problèmes, il en est davantage le cas dans le domaine politique, dont l’importance prédominante a été soulignée plus haut. Que la Côte d’Ivoire nouvelle ait des fragilités, voilà qui ne devrait surprendre personne. Mais ce qui serait incompréhensible, ce serait la faiblesse de ne pas les identifier, de ne pas les reconnaître, analyser et surmonter. Errare, humanum est, sed perseverare diabolicum.  Des fragilités dans la nouvelle république ? J’en ai identifié dix : le problème de l’adaptation de la nouvelle république aux mutations sociales ; les poches de résistance de l’idéologie de l’ivoirité disséminées dans la société ivoirienne ; les incertitudes liées à l’alternance générationnelle du pouvoir en 2020 ; l’inachèvement du processus de la réconciliation nationale ; la crise persistante des sous-systèmes corrélatifs de l’éducation, de la santé et de l’emploi ; la crise de l’équité dans la construction de l’armée républicaine ; la persistance de réseaux clientélistes dans l’appareil d’Etat ; la crise de l’économie agricole extravertie ; l’absence d’une utopie de gouvernement convaincante.

Réflexion I

L’adaptation lente de la nouvelle république aux mutations sociales

La transition politique entre les deuxième et troisième républiques ivoiriennes est quasiment achevée. La Vice-présidence de la république, l’assemblée nationale, le nouveau Premier ministère, sont quasiment tous fonctionnels. Il ne reste plus que la mise en place du Sénat et l’opérationnalisation de la Chambre des Rois pour que toute l’armature institutionnelle de la Côte d’Ivoire nouvelle soit en place. Or, dans le même temps, les fronts sociaux, économiques, culturels et politiques du pays restent en ébullition. A l'observation, on a le sentiment qu'une course contre la montre s'est engagée entre la société et les nouvelles institutions, celles-ci ayant à chaque fois un certain retard à l'allumage face aux contradictions sociales.  Comment comprendre qu’un changement institutionnel supposé améliorer l’efficacité de l’Etat s’accompagne d’une manifeste complexification, voire radicalisation de certaines revendications populaires ? Comment comprendre que les revendications sociales diverses semblent à chaque fois surprendre le régime, et l’obliger pour ainsi dire, tel un sapeur-pompier permanent, à parer au plus pressé ? Un décalage visible existe entre le temps et l’espace du politique et le temps et l’espace du social en Côte d’Ivoire. Comment l’expliquer ?

Plusieurs hypothèses doivent ici être prises en compte. J’en avance trois, qui me paraissent être les plus décisives, bien qu'elles soient loin d'être exhaustives : 

1) Le déficit de pédagogie qui a marqué le passage de l’ancienne à la nouvelle république se paie ici au prix fort. Certains ont cru que la nouvelle république était la prospérité économique espérée, que tout d’un coup, les milliards couleraient à flot de l’Etat vers la société. Il y a eu une mythologie de l’âge d’or lors de la campagne référendaire. N’est-il pas encore temps de la transformer en pédagogie populaire du travail et du projet concrets? 

2) Les nouvelles institutions, qui plus est, n’ont pu encore activer pleinement tous les outils d’analyse, de diagnostic, d’anticipation et de dialogue social qu’un Etat moderne se doit de mobiliser en permanence. Comment ne pas s’étonner que les instances officielles de médiation aient rarement pris en main la série de remous sociaux que nous observons ? On semble ne même pas savoir qu’il en existe en Côte d’Ivoire. Et si l’on sait qu’elles existent, personne ne semble leur accorder le moindre crédit. Ne faut-il pas résolument leur adresser les problèmes et les mettre en situation d’accueillir les revendications sociales et d’en proposer des remédiations ? 

3) Enfin, une troisième raison de cet état de choses vient bien sûr du refus persistant d’une part importante du corps social, notamment les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo dirigés par le FPI radical d’Aboudrahmane Sangaré, d’adhérer au jeu politique national. N’est-ce pas une raison de plus de renouveler le sens de l’adhésion citoyenne dans le pays, par une plus grande participation des citoyens à la réflexion politique portant sur leurs problèmes ? Je souligne ainsi la nécessité d’une pratique plus affirmée de la démocratie participative, avec l’ouverture de nombreux espaces de discussion directe entre les politiques et les citoyens de toute extraction, en lieu et place d’une politique de méfiance communicationnelle envers les réseaux sociaux.  Pour agir sur la société, il convient à la nouvelle république ivoirienne d’être un havre de vie pour le débat public, sans présupposés coercitifs. L’internaute lambda ne doit pas faire peur à une république moderne. Elle se doit de savoir comment l’entendre et comment lui répondre. 

Je conclus donc ma première réflexion. La réduction de l’écart visible entre la nouvelle république et les populations ivoiriennes passe par trois gestes essentiels. 

Premièrement, il conviendrait de continuer d’expliquer la nature et le fonctionnement des nouvelles institutions républicaines aux populations et notamment d’en faire un axe essentiel des programmes d’éducation civique, de l’école aux universités. La pédagogie de la 3ème république n'a pas cessé avec le référendum positif du 30 octobre 2016. Elle devrait se poursuivre avec plus de détermination.

Deuxièmement, il convient d’éviter la concentration des solutions aux problèmes dans la main du seul exécutif, en faisant jouer concomitamment toutes les institutions susceptibles d’impulser les médiations de conflits : Grand Médiateur, Chambre des Rois, Conseil des Chefs religieux, etc. La situation de saturation actuelle de l'exécutif ivoirien sous le poids concentré des urgences sans cesse renaissantes de la demande sociale, n'est pas propice à favoriser une action durable, détachée de l'urgence, posée. 

Troisièmement, il importerait au plus haut point que le gouvernement ivoirien, dans sa totalité intégrale, ministre par ministre, s’ouvre au dialogue direct et quotidien avec les citoyens, notamment par le truchement des réseaux sociaux, où désormais l’opinion se fait et se défait, tout comme dans les grands médias d’Etat et privés. En d'autres termes, l'heure est sans doute à passer d'une communication sociale essentiellement régalienne, protocolaire et solennelle à une communication immergée dans l'interaction directe avec les Ivoiriens, dans une pratique assurée de la démocratie de proximité. Celle qui assoit l'autorité de l'Etat dans des convictions républicaines partagées par la plupart des citoyens.

Ma 2ème réflexion, paraîtra dans les 48 heures.

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