L’Afrique décide de quitter la CPI
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Réunis en sommet à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, les chefs d’État des 54 pays membres de l’Union africaine (UA) ont pris cette semaine l’engagement d’un « retrait collectif » de la Cour pénale internationale (CPI).

L’une des pires craintes de la Cour pénale internationale (CPI) vient de se réaliser : les chefs d’État des 54 pays membres de l’Union africaine (UA) ont pris cette semaine l’engagement d’un « retrait collectif » de la CPI.

Réunis en sommet à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, ils ont fait ce choix dans la matinée du mardi 31 janvier, lors d’une séance à huis clos consacrée à plusieurs autres sujets. Sur les 54 pays de l’UA, seule « une quinzaine a exprimé des réserves » à propos de cette initiative, d’après une source proche d’un des dirigeants impliqués. Actuellement, 34 États africains ont ratifié le statut de Rome, le traité fondateur de la CPI.

La décision des chefs d’État n’a pas fait l’objet de déclaration officielle. C’est, en partie, pour cette raison que la nouvelle a pour l’instant été très peu relayée par les médias. En partie seulement : certains intérêts et acteurs ne souhaitent visiblement pas faire de publicité autour de ce camouflet infligé à la fois à la CPI et à ses soutiens européens, espérant sans doute qu’il ne sera pas suivi d’effets.

Cela faisait presque trois ans que la possibilité d’un retrait groupé des États africains était régulièrement évoquée lors des rencontres de l’UA. En octobre 2013, un sommet sur ce sujet a même été spécialement organisé. À cette occasion, le ministre éthiopien des affaires étrangères, dont le pays présidait alors l’Union africaine, avait fustigé le « traitement injuste » réservé par la CPI à l’Afrique, le jugeant « totalement inacceptable ». Il avait ajouté : « La CPI s’est transformée en instrument politique. » Par la suite, les dirigeants africains ont multiplié les déclarations pour dénoncer le manque d’impartialité de la Cour et son étrange propension à viser uniquement des ressortissants du continent : les 23 affaires qu’elle a ouvertes depuis sa création, en 2002, concernent toutes des Africains, tout comme neuf des dix enquêtes qui sont en cours.

Au début de cette fronde, en 2013, peu d’observateurs pensaient cependant que ses meneurs auraient un jour le courage d’aller au-delà des déclarations d’intention. Pendant longtemps, les événements ont donné raison à tous ceux qui doutaient : les chefs d’État ont, à plusieurs reprises, échoué à prendre une décision. Car tous ne sont pas, évidemment, sur la même longueur d’onde : le président ivoirien Alassane Ouattara, dont le rival politique et prédécesseur Laurent Gbagbo fait partie des six personnes actuellement détenues par la CPI, s’est par exemple toujours opposé à ce projet collectif.

Début 2016, au cours d’un nouveau sommet de l’UA, un accord a fini par être trouvé autour de la nécessité d’élaborer « une feuille de route pour un retrait de la CPI ». Mais lors du rendez-vous suivant, mi-2016 à Kigali, la capitale rwandaise, les représentants de plusieurs pays, dont la Côte d’Ivoire et le Nigeria, ont bloqué toute nouvelle avancée. Quelques États se sont alors lancés seuls : fin 2016, le Burundi, la Gambie et l’Afrique du Sud ont entrepris, chacun à son tour et de son côté, les démarches légales nécessaires pour se retirer de la CPI. D’autres pays, dont le Kenya et la Namibie, ont dans la foulée fait part de leur intention de suivre le même chemin.

Après l’échec de Kigali, les partisans d’un retrait collectif ont changé de stratégie, selon un juriste qui a suivi l’évolution de ce dossier : « Ils ont décidé d’éviter les débats publics sur le sujet. Certains comptaient aussi profiter de l’affaiblissement politique actuel de Ouattara », confronté à des troubles militaires dans son pays, « et de son allié, Buhari », pour faire avancer leurs pions sur l’échiquier. Ils ont donc finalement remporté la partie. Ouattara était d’ailleurs absent au sommet d’Addis-Abeba, s’étant fait représenter par son vice-président, récemment nommé et investi.

Le scénario d’une décision à nouveau reportée a tout de même failli se rejouer lors de ce 28e sommet de l'Union africaine : les ministres des affaires étrangères du continent, réunis quelques jours avant le conclave des chefs d’État, ont eux aussi peiné à trouver une position commune. Celui du Sénégal, en particulier, a fermement rejeté l’idée d’un plan de départ groupé. Il ne pouvait guère faire autrement : un de ses collègues au gouvernement, le ministre sénégalais de la justice Sidiki Kaba, est l’actuel président de « l’assemblée des États parties au statut de Rome de la CPI ». En l’absence de consensus, les chefs de la diplomatie n’ont pas inscrit la question à l’ordre du jour de la réunion de leurs chefs d’État… qui sont manifestement passés outre.

Pour l’instant, les responsables de la CPI, qui ont beaucoup fait ces derniers mois pour tenter de convaincre l’opinion et les dirigeants africains des bienfaits de leur institution, semblent continuer leurs affaires comme si de rien n’était. Sur son compte Twitter, l’équipe de communication de la CPI a posté ce 2 février des photos de son actuelle présidente, l’Argentine Silvia Alejandra Fernández de Gurmendi, en train de recevoir « un prix au Tribunal des Eaux de Valence ».

Mais il n’y a pas de doute : c’est un geste de rébellion sans précédent qu’ont posé les dirigeants africains. Même si leur résolution ne pourra pas avoir de caractère contraignant (les adhésions au statut de Rome se font par État, et non par groupe d’États), elle aura un impact sur les activités de la CPI, mais aussi, bien sûr, sur sa légitimité et sa crédibilité, déjà minées par de nombreux problèmes. Parmi les 34 États africains qui ont ratifié le statut de Rome (sur un total de 124), au moins près d’une vingtaine d’entre eux devraient vraisemblablement appliquer la décision prise à Addis-Abeba.

Une affaire en particulier a pesé dans l’évolution et la position de certains chefs d’État : celle de Laurent Gbagbo, dont le procès a commencé il y a tout juste un an et dont le sort est considéré par plusieurs de ses anciens homologues comme spécialement injuste. Les magistrats chargés de juger l’ancien président ivoirien et son ministre Charles Blé Goudé ont d’ailleurs récemment fait part de leurs propres inquiétudes : dans une décision écrite datée du 23 janvier 2017, le président du tribunal, Cuno Tarfusser, s’est dit très préoccupé par l’extrême lenteur du procès (seul un cinquième des témoins de l’accusation a été entendu en un an, soit 29 sur 140), rappelant que Gbagbo est en détention provisoire depuis déjà plus de quatre ans.

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