le désarroi de l'Extrême-Nord, paupérisé par les exactions de Boko Haram
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Les joues couvertes d'une barbe blanche et le visage traversé par l'émotion, Ali Ramat, maire de la commune de Darak, livre un récit poignant du martyre vécu par cette île du lac Tchad, une zone où se déroule l'une des crises sécuritaires les plus critiques en ce moment dans le monde, commise selon l'ONU par un groupe terroriste parmi les plus barbares : Boko Haram.

Le climat de terreur entretenu par la secte islamiste nigériane a poussé à l'exode forcé vers des territoires mieux sécurisés de l'intérieur de la région de l'Extrême-Nord une partie des 90.000 habitants de l'île, témoigne l'élu local dans un entretien accordé à Xinhua.

"Depuis que l'insécurité s'est installée, les populations sont dans le désarroi. Elles ne savent à quel saint se vouer. Elles n'ont plus la possibilité de cultiver leurs champs. La situation s'améliore peu à peu, mais les conditions de vie restent précaires", précise-t-il.

Dans sa croisade contre le groupe terroriste, l'armée camerounaise déploie dans la zone quelques-unes de ses unités d'élite. Ces troupes ont elles-mêmes parfois payé de leurs vies pour y accomplir leur mission de défense de l'intégrité territoriale. Le cas le plus frappant est celui de l'attaque survenue en novembre, où le commandant de la brigade gendarmerie de Darak lui-même avait été tué avec cinq de ses collaborateurs.

"Dernièrement il y a eu une autre attaque, dans la nuit du 21 au 22 décembre. Nous avons des enfants qui sont allés tomber dans l'eau et certains sont morts. A peu près une dizaine", rapporte aussi le maire. Uniquement accessible par la pirogue, Darak s'identifie principalement par ses cours d'eau réputés riches en poissons et où se déploie une importante activité de pêche artisanale, faisant intervenir à la fois des Camerounais originaires de plusieurs localités de l'Extrême-Nord et des ressortissants tchadiens.

DEGRADATION DE L'ECONOMIE LOCALE

Les attaques de Boko Haram, cause d'un afflux d'environ 90.000 réfugiés nigérians dans l'Extrême-Nord, ont aussi fait de nombreuses victimes parmi ces pêcheurs. Elles ont aggravé la paupérisation de la population et entraîné dans une dégradation presque totale de l'économie locale, privant alors de collecte de taxes et d'impôts l'exécutif communal. "En 2016, nous avons reçu un appui du gouvernement de l'ordre de 6 millions de francs (FCFA, environ 10.000 dollars). Du FEICOM (Fonds spécial d'équipement et d'intervention intercommunale), nous avons reçu à peu près 18 millions par trimestre. Toutes ces ressources sont insuffisantes par rapport à nos besoins", renseigne le maire.

Une partie de ces fonds permet de payer les salaires des enseignants vacataires recrutés par la municipalité pour suppléer les désertions constatées de la part des enseignants permanents affectés par les pouvoirs publics dans la cinquantaine d'établissements scolaires fonctionnels dans la localité. C'est une solution partielle, car "la quasi-totalité de ces écoles sont fermées. Les enfants sont abandonnés à eux-mêmes. Les enseignants venant d'ailleurs, notamment du Grand Sud, sont rentrés chez eux".

Cette situation est générale aux localités frontalières de l'Extrême-Nord affectées par les violences commises par Boko Haram sur le sol camerounais. Mozogo, une autre commune de la région, déclare une quinzaine d'écoles fermées et leurs élèves transférés vers d'autres établissements, après le départ des enseignants inscrits à la solde de la fonction publique.

Ici en revanche, l'armée a réussi à circonscrire l'influence du groupe terroriste, selon le maire, Viche Yatahad, pour qui le principal souci réside aujourd'hui dans la prise en charge des déplacés internes, estimés à 36.000 sur un total d'environ 200.000 dans l'ensemble de la région de l'Extrême-Nord.

"Nous regrettons beaucoup la disparition tragique de mon frère le général Kodji Jacob (le commandant de la 4e région militaire interarmées tué dans un crash d'hélicoptère lors d'une mission de supervision le 22 janvier, NDLR) qui nous a beaucoup appuyés pour lutter contre ces gens. C'est grâce à lui que nous arrivons à dormir, qu'il y a déjà l'accalmie", a déclaré l'élu municipal.

Selon les estimations, au moins 3.000 jeunes pour la plupart sans emploi de l'Extrême-Nord ont rejoint depuis 2014 les rangs de Boko Haram, appâtés par des promesses de rémunération financière. De nombreux cas sont signalés à Mozogo, au rang desquels un jeune élu membre de l'exécutif communal dirigé par Viche Yatahad, apprend-on.

"Il n'est plus jamais revenu. Même s'il revient, on l'aura exclu. Il n'a plus sa place parmi nous", informe l'édile. "Comme ces gens-là sont affaiblis, beaucoup de ces jeunes reviennent. Nous les capturons chaque jour et nous les mettons à la disposition de l'administration", ajoute-t-il.
La commune tente de tirer profit de la baisse de l'insécurité pour relancer l'économie locale "mise en lambeaux par Boko Haram". Mais, "ça fait plus d'un an que le courant monophasé est tombé en panne et n'a pas réparé. Alors que nous avons le CETIC [collège d'enseignement technique industriel et commercial] qui est en train d'être transformé en lycée technique", précise l'élu.

"Nous avons des SAR-SM [sections artisanat et menuiserie - section ménagère], des sections qui demandent beaucoup d'électricité et ne sont pas fonctionnelles. Pour la création des PME et PMI [petites et moyennes entreprises et petites et moyennes industries], il faut que nous ayons le courant triphasé", indique-t-il encore.

Au cours des deux exercices précédents, le budget communal est passé de 663 à 463 millions de francs CFA, à cause de la collecte d'impôts et taxes devenue difficile. Un montant de 212 millions a été alloué par le FEICOM, pour le compte des centimes additionnels communaux.
Dans le cadre de la décentralisation, un appui de 25 millions a aussi été octroyé par les pouvoirs publics, des fonds affectés à la prise en charge des besoins de nutrition, d'éducation et de santé des déplacés internes, selon le maire.

AMPLEUR DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Dans l'Extrême-Nord, les effets de la crise de Boko Haram se conjuguent avec d'autres situations d'urgence. L'ampleur du changement climatique y est préoccupante. La saison sèche en cours en ce moment y est particulièrement longue, elle occupe dix sur les douze mois de l'année et entretient une malnutrition et une insécurité alimentaire quasi-chronique, à cause de la sécheresse qu'elle induit.

"Il y a la famine actuellement. Les gens n'ont pas assez à manger, Les animaux [de l'élevage] sont en train de mourir par manque de pâturages. Pendant la saison des pluies, il y a les inondations qui entraînent des maladies, comme le choléra", résume André Difsa, maire de la commune de Guemé, à l'abri des exactions de Boko Haram.
Avec un budget chiffré à 1,093 milliard de francs (1,8 million de dollars) composé pour près de 800 millions de subventions du FEICOM et du Programme national de développement participatif (PNDP), cette commune déclare souffrir aussi de la difficulté de mobiliser des ressources propres, du fait d'un tissu économique peu étoffé.

Restaurer l'économie avec autres objectifs spécifiques la reprise de l'activité touristique en berne et relancer les activités de développement freinées par l'insécurité, c'est le grand défi débattu lors d'un atelier d'échange et de mobilisation pour la résilience des collectivités locales de l'Extrême-Nord organisé par le ministère de l'Administration et de Décentralisation, en collaboration avec l'ambassade de France les 26 et 27 janvier à Yaoundé.

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