Joseph-Antoine Bell : « Roger Milla, comme nos dirigeants, compare des patates et des oranges »
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Dans une interview accordée au site d’information sportive en ligne, l’Equipe, l’ancienne gloire du football camerounais, qui se trouve au gabon, intervenant sur les antennes de Rfi en tant que consultant pour la Can 2017, évalue l’évolution du football africain et apprécie l’augmentation du nombre d’équipes en Coupe du monde à 48 à partir de 2026.

« Que pensez-vous de l'augmentation du nombre d'équipes en Coupe du monde à quarante-huit à partir de 2026 ?
C'est une hypocrisie. Comme d'habitude, on ne donne pas les vraies raisons. C'est un peu du Donald Trump. On veut plaire aux gens, on dit que c'est pour donner la chance à tout le monde... Mais ça dénature la compétition, qui est faite pour dégager les meilleurs. On parle de phase finale de la Coupe du monde. La Coupe du monde, elle, a commencé avec les éliminatoires et tout le monde y participe déjà.

En Afrique, les gens sont pour ce changement...
On leur a volé toute leur vie aux Africains, et les mêmes qui leur ont tout pris essaient de se rattraper en leur donnant des facilités qui ne mènent nulle part, qui sont en réalité discriminatoires. Les Africains doivent revendiquer d'être jugés comme tout le monde, pas à part. Ils doivent être dedans par le mérite. Notre continent n'a pas plus de chances de gagner la Coupe du monde car on a augmenté le nombre de participants. Les gens se laissent flatter.

L'impact sur les pays qualifiés est quand même immense, non ?
Oui mais si vous y allez comme des porteurs de sacs... Si les Africains veulent être vus comme des petits... qui viennent faire un tour, ça sert à quoi ? On a commencé à seize, pourquoi s'arrêter à quarante- huit alors, allons plus loin, ça fera plaisir à encore plus de monde. Ça n'a pas de sens. Quand Ali a boxé en Afrique (en 1974, à Kinshasa contre George Foreman), tout le monde s'est levé. Pour Tyson, pour Holyfield aussi, on se levait. Et ce sont des Américains. André Agassi contre Jim Courier, tout le monde regardait... Il faut faire la promotion de la qualité. C'est ce qui pousse les gens à rêver. On ne met pas les footballeurs du dimanche matin en phase finale de Coupe du monde.

Êtes-vous déçu par l’évolution du football africain?
Je suis mille fois déçu, et voilà que nos dirigeants votent pour une Coupe du monde à quarante-huit. On ne peut pas progresser. Quand il y a des gens qui pensent que le football ne commence pas par les footballeurs...

Ne faudrait-il pas redonner le foot aux footballeurs?
Non! Ce genre de phrase est démagogique et ridicule. Aucune grande entreprise ne marcherait sans ses ouvriers, mais ce ont les ingénieurs, les architectes, je m’excuse de le dire, qui réfléchissent, qui donnent le point de départ. Il faut simplement aimer le foot, être footeux.

Comment jugez-vous l’évolution des Coupes d’Afrique des nations?
Malheureusement, tout le monde copie ce que (Sepp) Blatter a fait pour la FIFA. Quand vous arrivez dans une ville, le plus bel édifice est le stade, c’est le plus coûteux… Ça devrait interpeller. On est arrivé à avoir un cahier des charges ridicule avec des stades de 25 000 places dans des villes qui comptent moins de 25000 habitants…On n’a pas de crèches maison mais des stades. Aujourd’hui, je ne veux pas citer de pays, mais il y a des chèvres qui broutent sur une pelouse.  

Que pensez-vous du niveau de jeu?
On peut faire progresser le jeu sans ces stades. On a besoin de quoi? Une aire magnifique avec des vestiaires pour recevoir les joueurs. Pour évoluer, il n’y a pas besoin de passer par des enceintes qui gagnent des prix d’architecture et sont dernières en fonctionnalité. Donc ça fait joli, on croit épater des journalistes blancs mais, durant la Can, on court pour venir voir des joueurs remplaçants en Europe ou des gars de deuxième zone. Et personne ne s’inquiète de ça. Si on a des joueurs de ce niveau, il est normal qu’on ait des matches à faire dormir.  

Il y a tout de même des stars comme Mahrez, Aubameyang, Mane, Salah, Ayew…?
Oui, et avant on disait : on a Eto’o, Drogba, Essien, et ça faisait dire que l’Afrique avançait. Mais on ne savait pas que ces joueurs n’étaient pas du même pays... Le progrès ne se mesure pas à la qualité d’un individu. En Europe, on s’est dit : si on veut des Africains, on va les dénicher avant le voisin et on va faire leur formation. Et pas seulement sportive. On prend des enfants qui ont presque une feuille blanche dans la tête, on peut donc y inscrire ce qu’on veut. C’est le cas d’Umtiti (Samuel). Il est né camerounais à 100% et joue pour la France. À vingt-cinq ans, il a les yeux ouverts et il comprend qu’il vient d’une famille sportive désorganisée. Il a la force de caractère du Camerounais pour dire : j’ai vu la lumière, je ne veux pas rentrer dans l’obscurité. Au Cameroun, on a essayé de ramener ça au temps de la colonisation. On a dit qu’il avait renié ses origines. Ce n’est pas vrai. Nos dirigeants ne sont pas capables de capter les vrais messages.  

Roger Milla a parlé de trahison en évoquant les joueurs(*) qui avaient refusé de répondre à l’appel du Cameroun…
Roger Milla, comme nos dirigeants, compare des patates et des oranges. Sous prétexte qu’ils sont noirs ou de parents camerounais, ils décident que ces enfants sont forcément camerounais. Roger oublie que lui est camerounais car il a grandi au pays avant de partir, à vingt-six ans. Il n’est pas capable de comprendre la différence entre lui et son propre fils, né en France. Ce qu’il a de camerounais, c’est son père! Mon fils, je lui reconnais le droit d’être français à 100%. Il est allé à l’école française, connaît l’histoire de France. Donc, pourquoi le confiner à son héritage camerounais? Il voit des jeunes Français qui ont réussi dans le foot ou le judo et il les admire.  

Les histoires de primes, ça vous choque encore?
Qu’il y ait des histoires de primes, c’est… (Il souffle.) Un jour, je suis allé voir Eto’o avec le Cameroun et je lui ai dit: ''Mon fils, j’ai l’impression de voir un type qui a abandonné sa maison sans entretien et qui revient vingt-cinq ans plus tard.” C’est pire qu’avant, les mauvaises herbes sont encore plus hautes. On voit des choses désespérantes avec des dirigeants incapables de réfléchir. Regardez notre Can, vous pensez que Barcelone lâcherait Messi pour la Copa America un mois en janvier? C’est Barcelone qui l’a fait roi. Et nous on répond : « Ils doivent venir, c’est la patrie… »

Faudrait-il changer la date de la compétition?
Je le dis depuis 1988. Issa ( Hayatou, président de la Caf) m’est tombé dessus en disant que l’Afrique n’avait pas à se conformer aux Championnats européens. Vous ne pouvez pas demander à un garçon de venir s’asseoir sur le banc alors qu’il va peut-être perdre sa place en club. On me dit que juin est impossible pour des raisons climatiques, alors pourquoi les Africains veulent-ils organiser une Coupe du monde à cette période avec Hayatou en fer de lance? Et il y a bien des éliminatoires en juin, non?

Ça éviterait aux joueurs d’être en porte-à-faux pour vous?
Voilà. C’est une réaction à la colonisation qui n’est pas bonne. On dit qu’on ne peut pas déplacer notre compétition car les Blancs le demandent. C’est oublier que ce sont eux qui nous font rois, eux qui font roi M. Hayatou. Il n’y a que des sponsors de Blancs autour des terrains, il n’y a que des clubs de Blancs qui hébergent nos joueurs, les forment, en font des hommes, leur donnent une ascension sociale et de la qualité.  

Hayatou va se représenter pour un nouveau mandat. Qu’en pensezvous?
Je ne vais rien lui reprocher car où sont les autres candidats? On a réussi à émasculer tout le monde car personne ne lui dit rien. La faiblesse du foot africain vient aussi de là. Il faut évidemment passer à autre chose. À la Fifa, en 2002, son programme était de limiter les mandats. Il ne les a pas limités à la Caf… (Sourire.) On dit qu’en Afrique on meurt chef camer.be, etc. Ce sont des tas de conneries! Je vois le foot africain s’écrouler. Regardez la Ligue des champions africaine. On aime le drame en Afrique, pas ces matches de groupes où on ne sait pas où on en est. Comme ça faisait plus d’argent en raison des sponsors, des têtes pensantes européennes ont vendu l’idée de cette C1. Et j’ai vu un match de Ligue des champions sur un stade annexe en terre battue devant personne. Je dis ça simplement pour attirer leur attention et pour leur dire : n’oubliez pas le jeu.

La L1 n’est plus le Championnat de référence en Afrique, comme à une certaine époque. Est-ce une réalité?
Oui, aujourd’hui les gens supportent le Real, Barcelone, l’Angleterre. La France était première dans un domaine, via ses liens coloniaux aussi. Elle ne s’est pas rendu compte de la chance qu’elle avait et elle s’est fait doubler. Quand je jouais, l’endroit où un joueur allait, c’était la France et il s’y trouvait bien. Mais le pays n’a jamais considéré ça comme une vraie politique. Ce qui se passait sur le plan social et politique a rattrapé le foot. On avait ces Africains mais on les rejetait un peu, on les confinait à quelque chose de petit. Mais comme les autres pays sont devenus plus attractifs financièrement, les clubs ont été débordés.

Vous auriez voulu entraîner?
Oui, le seul qui m’ait appelé, c’est Gervais Martel à Lens. Qui peut imaginer que, de tous les footballeurs en France, j’étais le plus bête? J’ai passé mes stages avec Fernandez, Giresse, Tigana. Mais Martel voulait que je renonce à la Coupe du monde 1994, je lui ai dit que ce n’était pas possible… Si j’avais été en Angleterre, personne ne m’aurait laissé repartir. On donne leur place à ceux qui le méritent mais, en France, il y a cette retenue…  

Vous avez été victime de racisme sur les terrains…
…J’ai encore chez moi la couverture de France Football lorsque je jouais à Saint-Étienne. Je faisais la une et la question était: “Le foot est-il raciste?” Quand des journalistes posent la question, c’est déjà une manière d’y répondre… (Rire.) Et il y avait des joueurs et des dirigeants qui trouvaient qu’il n’y avait pas de racisme, Michel Platini notamment. Quand le Parc des Princes s’attaquait à moi, aucun de mes coéquipiers ni de mes adversaires ne se sentait concerné par des cris de singe. Je me souviens d’une discussion avec Jean Fournet-Fayard (ancien président de la Fédération,1985-1993) en présence de son épouse. Je lui ai dit que ça ne pouvait pas continuer comme ça et sa femme a appuyé ma requête. Et on a mis des filets derrière les buts. Le seul problème, c’est que les mailles n’étaient pas  assez serrées et laissaient passer les oranges ou les bananes…»

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