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© Via Cameroon Tribune : Désiré Avom & Luc Désiré Omgba
- 21 Jan 2017 11:09:36
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Afrique :: De La Baisse Des Cours Du Pétrole À La Récession Économique Dans La Cemac : Comment Sortir Du Piège De La «Malédiction » Du Pétrole :: Africa
L’ histoire des faits économiques montre qu’à la suite d’une découverte de pétrole ou d'une hausse de son cours, les pays concernés enregistrent de manière quasi-mécanique une augmentation de la croissance économique qui est consécutive à une accumulation extensive de capital liée à l'exploitation de cette ressource.
La question essentielle n'est donc pas de savoir si l'économie va croître ou décroitre selon que les cours seront hauts ou bas, mais plutôt celle de la pérennisation de cette croissance et surtout, de la transformation structurelle des économies concernées de manière à améliorer significativement le bien-être de l'ensemble des citoyens. Aussi profonde et durable que pourrait être le retournement conjoncturel observée ; le pétrole, qui représente 90 % des exportations de la Guinée Équatoriale, 85 % au Congo, 84 % au Gabon, 82 % au Tchad et 42 % au Cameroun, demeurera encore, toutes choses égales par ailleurs, un facteur d’accélération de développement dans la CEMAC et non de déclenchement ou d’amplification de récession. Par la mise en œuvre de mesures de politique économique appropriées qui gouvernent la gestion macroéconomique de la richesse en pétrole, ces pays pourraient éviter, ou tout moins limiter les risques d’occurrence d'une « malédiction » du pétrole. Ce paradoxe qui voudrait que les pays à forte dotation en ressources naturelles pré- sentent, en moyenne, une croissance de long terme plus faible que les pays qui n’en disposent. Pour cela, convient-il préalablement de poser clairement le problème, afin de pro- poser les mesures tenant compte de la situation actuelle de ces pays.
Quel est le problème ?
Les économies de la CEMAC qui dépendent de l'exploitation des ressources naturelles épuisables sont exposées à deux principaux risques macroéconomiques : le syndrome hollandais d’une part et l'instabilité (la volatilité) des cours associés à ces ressources, d’autre part. Le syndrome hollandais, décrit la relation entre la dépendance en ressources naturelles, l'appréciation réelle de la monnaie nationale et la faible croissance économique. Il peut, en fonction de la structure de chaque économie, être plus ou moins bien jugulé. En revanche, l'instabilité des cours, fait référence à la forte variation des prix du pétrole tel qu’observée au cours de la période récente. A titre d’illustration, le cours du pétrole est passé de 115 US dollars (à prix constants) en 2012 à 52 US dollars (à prix constants), en 2015 en moyenne annuelle.
L’occurrence de ces risques ajoutée aux chocs sécuritaires aux- quels sont confrontés un certain nombre des pays de la sous-région, les exposent de manière certes inégale à une récession. Ce constat réel pourrait laisser penser qu'il y aurait donc une sorte de fatalité face aux impacts induits des chocs négatifs des cours de pétrole. Mais, c’est oublier que cette phase de baisse des cours a été précédée de plus d’une décennie (2003-2014) de hausse de cours. Une meilleure gestion des revenus pétroliers aurait pu atténuer dans le temps les effets négatifs de la volatilité des cours. Celle- ci dépend de la double question de l'arbitrage épargne/investissement et celle de la gouvernance insuffisamment adressée par certains pays de la CEMAC. Ainsi, après avoir discuté de ces questions et les mesures y afférentes, nous adressons une troisième, celle relative à la diversification qui, de notre point de vue, semble souffrir d'une erreur de diagnostic et donc forcément de traitement .
Épargner ou investir
Les économies qui dépendent des ressources naturelles épuisables sont soumises à une instabilité des cours qui induit celle des recettes budgétaires et des dépenses, notamment dans les pays de la CEMAC qui, du fait de l’appartenance à la zone Franc, sont privés de l’utilisation autonome de l’instrument de politique monétaire réduisant la politique économique au seul budget. Dans ce contexte, l’in- stabilité des dépenses est d’autant plus dommageable que les ajustements sont asymétriques. Les dé- penses peuvent facilement être augmentées pendant les périodes de hausse de cours, mais au cours de celles de baisse comme actuellement, leur malléabilité est rendue très difficile et particulièrement douloureuse pour certaines catégories d’agents économiques. A cette question d'in- stabilité des cours déjà difficile à gérer, s’ajoute celle du caractère épuisable des réserves de pétrole, car li- mitées dans le temps.
En conséquence, les pays se doivent d'effectuer un arbitrage entre épargne et investissement pour faire face à ces défis. A cet effet, deux solutions extrêmes opposées peuvent être envisagées dans la gestion de cet arbitrage : le tout-épargne ou le tout-investisse- ment. La première, garantie la répartition équitable des revenus pétroliers entre plusieurs générations. Elle per- met en outre une meilleure résilience aux chocs externes. Cependant, elle pourrait se faire au détriment de la consommation et du bien-être des générations actuelles, tout en agissant comme une contrainte forte si les décideurs publics ambitionnent d’investir afin de réduire le déficit en infrastructures.
A l'inverse, une stratégie tout-investissement pourrait éliminer les obstacles en termes d'infrastructures, surtout si le pays souffre d'un manque de capitaux. Une troisième voie est possible, celle que nous suggérons aux pays de la CEMAC. Elle combine les objectifs de développement tout en limitant leur vulnérabilité aux chocs négatifs relatifs aux cours du pétrole en utilisant le lissage budgétaire. Ainsi, en période de hausse de cours, une partie de la richesse en pétrole serait détenue (épargnée) en actifs étrangers sous la forme d’un fonds souverains ou autres. Ce qui limiterait la vulnérabilité du fait que ces actifs seraient revendus en période de baisse des cours pour renflouer les caisses de l’État et permettre ainsi d’éviter l’effet ciseaux de dépenses publiques sur les populations vulnérables. L'autre partie de la richesse serait injectée dans l'économie nationale, notamment dans l’amélioration du climat des affaires à travers l’élimination progressive des obstacles qui obèrent la rentabilité des investissements du fait de la capacité d'absorption limitée de ces pays. En effet, le manque de main d'œuvre qualifiée, notamment en termes d'ingénieurs et de techniciens, rend le plus souvent inefficace le sur- plus d'investissement.
Une parfaite illustration de ce fait, pour les pays de la CEMAC, pourrait être appréhendée à travers un indicateur utilisé dans les comparaisons internationales à savoir l’ «épargne nette véritable» ou «épargne nette ajustée». Elle s’exprime comme la somme de l’épargne nationale brute et de l’investissement en capital productif (l'éducation par exemple) diminuée de la consommation du capital et de la réduction des stocks d’hydrocarbures et de minerais. Les statistiques disponibles durant la période de hausse du cours de pétrole (2003- 2014) en moyenne annuelle et en pourcentage du revenu national brut montrent que le Cameroun avec 3% est le seul pays de la sous-région qui exhibe un taux positif bien qu’encore faible en comparaison au 14% de la Malaisie sur la même période. Cet indicateur est de -71 % au Congo, -4 % au Gabon. Ces statistiques montrent que l'augmentation observée des investissements dans la sous-région CEMAC, sur la sous-période considérée, ne s'est pas traduite en dehors du Cameroun par une formation équivalente en actifs reproductibles. En résumé, plusieurs investissements entrepris n'ont pas engendrés les gains escomptés, à cause des obstacles à la capacité d'absorption.
Gouvernance et Institutions
Pour un pays pétrolier, le déficit de gouvernance peut affecter la gestion macroéconomique par deux principaux canaux. Le premier canal qui constitue l'explication la plus répandue est qu'une mauvaise gouvernance, notamment à travers le développement de la corruption, conduit à un détournement des revenus pétroliers de l’usage public destiné au bien-être des populations à des usages privatifs. Ce premier canal, empiriquement vérifiable, tend à occulter le deuxième, plus important, par lequel la mauvaise gouvernance affecte l'économie dans son entièreté en modifiant les incitations des individus dans le choix de formation ou de production. C’est pourquoi elle doit être rigoureusement adressée.
En effet, les individus ne se lancent pas dans des activités économiques parce que c'est moralement bien ou mal. Ils prennent, en moyenne, la décision parce qu'ils en escomptent une certaine rentabilité. Le problème que pose la mauvaise gouvernance est qu'elle oriente l'investissement vers les activités favorisant l'accès à la rente publique. Ainsi, les individus vont s’orienter vers les activités de recherche et de capture de rente au détriment des activités plus productives. Ce qui conduit à une baisse de la productivité dans l'économie et par conséquent à celle de la croissance économique. Pour illustrer un peu plus simplement ce point, considérons un parent producteur de cacao ou éleveur de bêtes bovines.
Ce parent fait face à un choix d’orientation concernant son enfant qui vient d’obtenir un baccalauréat scientifique. Le choix se fait entre une entrée dans une école d'ingénieurs agronomes, ou bien une inscription dans une Faculté de sciences sociales (droit, sciences politiques, sciences économiques, etc.) qui pré- dispose à un emploi public. Lorsque le pays présente une bonne gouvernance, il y a de fortes chances que ce parent fasse le premier choix pour son enfant parce que plus rentable, toutes choses égales par ailleurs. A la connaissance du parent dans le domaine, s'ajouterait ainsi des techniques modernes de production acquises par l'enfant durant sa formation d'ingénieur. Ce qui permettrait d'augmenter la productivité dans ce secteur, non pétrolier, et par voie de conséquence d'augmenter la production nationale hors pétrole.
A l'inverse, si la gouvernance est mauvaise, il y a de fortes chances que le deuxième choix soit privilégié. Pour revenir sur le cas précédent de la Malaisie, ce pays pétrolier qui pré- sente des performances remarquables avec 4 % de taux de pauvreté a aussi un meilleur profil de gouvernance comparé à l'ensemble des pays de la sous-région CEMAC. En effet, 66 % des pays dans le monde ont une pré- valence de la corruption plus élevée que celle de la Malaisie. Pas étonnant dès lors, que les étudiants malaisiens s'orientent différemment par rapport à ceux de la CEMAC. En moyenne annuelle, 40 % des étudiants en Malaisie poursuivent des études d'ingénieurs, contre seulement 30 % en sciences sociales. En comparaison des données disponibles, l'inverse s'observe pour les étudiants de la sous-région. Seulement 22 % des étudiants camerounais sont enregistrés dans des études d'ingénieurs, contre 61 % en sciences sociales. Au Congo, 11 % des étudiants se retrouvent dans les études d'ingénieurs, contre une moyenne de 51 % pour les sciences sociales.
Il convient de relever, pour le Cameroun que ses statistiques vont certainement s’améliorer dans les prochaines années avec la politique du Gouvernement « un étudiant un emploi » et surtout, des opportunités qu’offre l’économie numérique avec le succès très médiatisé du Cardiopad du jeune ingénieur camerounais Arthur Zang qui a reçu la médaille d’or de l'Africa prize for engeneering in- novation. Ainsi, en présence de la corruption, les métiers et les formations donnant accès à la rente publique deviennent plus attractifs. Les individus sont alors incités à s'investir dans de tels métiers et formations afin d'avoir la possibilité de capter une partie de cette rente publique. Il s'en suit alors une représentation des métiers, des formations et des talents qui n'est pas socialement désirable pour le pays, puisqu'elle ne favorise pas la productivité, encore moins l'in- novation et la croissance économique.
Diversification et erreur de diagnostic
Une réponse adéquate aux deux précédents points est d’autant plus importante qu’elle pourrait constituer un pas prometteur vers un succès des politiques de diversification. Les- quelles sont des objectifs depuis les années 1960-1970, mais n'ont toujours pas produit les résultats es- comptés. En effet, la réussite de l'arbitrage épargne/investissement per- met de stabiliser le cadre macroéconomique tout en fournissant les infrastructures en lien avec les capacités de l'économie. Ce qui limite l'incertitude chez les investisseurs et par voie de conséquence encourage leurs investissements. Le fait est qu’un environnement instable peut agir comme une taxe implicite sur les investissements, notamment sur le capital fixe. Puisque les investissements nécessitent des décisions irréversibles, il devient de fait difficile d’entreprendre dans un environnement incertain.
Une réduction du déficit de gouvernance contribue également à cet objectif de diminution de l'incertitude auprès des investisseurs, et de manière plus importante, permet une répartition des métiers et des qualifications économiquement optimale. Bien évidemment, cela suppose que le pays augmente l’offre de formations nécessaires pour l’acquisition de ces qualifications. Comme les individus les plus talentueux seraient affectés aux tâches pour lesquelles ils seraient les plus qualifiés. On devrait assister à une augmentation de l'offre de pro- duits nationaux.
A titre d'illustration les exportations en produits manu- facturés représentent 70 % du total des exportations de la Malaisie. Il ap- parait de manière suffisamment claire qu'une bonne gestion des revenus pétroliers participe à la diversification des pays considérés. Dès lors, toute politique qui identifie le pétrole comme l'obstacle à la diversification repose en général sur un mauvais diagnostic.
Un élément supplémentaire qui sous- tend ce point peut être observé au niveau des nouveaux entrants de la CEMAC dans la production du pétrole. Il peut être remarqué que les pays concernés ne présentaient guère une large gamme de produits d'exportation ni une base industrielle plus large, avant le début de l'ère pétrolière. Le pétrole ne peut en conséquence pas être tenu pour responsable de l’absence de diversification ou du faible niveau d’industrialisation de ces pays. Au total, il advient qu’une stratégie de diversification qui pourrait s’avérer adéquate pour les pays pétroliers de la CEMAC devrait intégrer les mesures précédemment exposées sur la bonne gestion macroéconomique des revenus pétroliers, procéder à l'identification ainsi qu’à une bonne compréhension des facteurs derrière la structure des économies hors pétrole.
Dans ce sens, une question pertinente pourrait être pourquoi, avant l'ère pétrolière, l’économie n'était-elle pas diversifiée ? Une réponse à cette question ou à d’autres peut évidemment déboucher sur une variété d’éléments qui ne sont pas nécessairement communs à l'ensemble des pays pétroliers de la CEMAC. Mais une telle approche aboutirait à des résultats plus significatifs des politiques de diversification et d’industrialisation dans les pays concernés.
*Désiré Avom, Professeur, Université de Dschang, Cameroun
*Luc Désiré Omgba, Maître de Conférences-HDR, Université de Paris Ouest Nanterre, France
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