De la baisse des cours du pétrole à la récession économique dans la CEMAC : Comment sortir du piège de la «malédiction » du pétrole
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L’ histoire  des  faits  économiques montre qu’à la suite d’une découverte de pétrole ou  d'une  hausse  de  son cours, les pays concernés enregistrent de manière quasi-mécanique une augmentation  de  la  croissance  économique qui est consécutive à une accumulation extensive de capital liée à  l'exploitation  de  cette  ressource.

La  question  essentielle  n'est  donc pas de savoir si l'économie va croître ou décroitre selon que les cours seront hauts ou bas, mais plutôt celle de la pérennisation de cette croissance et surtout,  de la transformation structurelle des économies concernées de manière à améliorer significativement le  bien-être  de  l'ensemble  des  citoyens.  Aussi profonde et durable que pourrait être le retournement conjoncturel observée ; le pétrole, qui représente 90 %  des  exportations  de  la  Guinée Équatoriale, 85 % au Congo, 84 % au Gabon,  82  %  au  Tchad et  42 %  au Cameroun, demeurera encore, toutes choses égales par ailleurs, un facteur d’accélération de développement dans la CEMAC et non de déclenchement ou d’amplification de récession. Par la mise en œuvre de mesures de politique  économique  appropriées  qui gouvernent la gestion macroéconomique de la richesse en pétrole, ces pays pourraient éviter, ou tout moins limiter les risques d’occurrence d'une « malédiction » du pétrole. Ce paradoxe qui voudrait que les pays à forte dotation en ressources naturelles pré- sentent, en moyenne, une croissance de  long  terme  plus  faible  que  les pays  qui  n’en  disposent.  Pour  cela, convient-il  préalablement  de  poser clairement le problème, afin de pro- poser les mesures tenant compte de la situation actuelle de ces pays.

Quel est le problème ?

Les économies de la CEMAC qui dépendent  de  l'exploitation  des  ressources  naturelles  épuisables  sont exposées à deux principaux risques macroéconomiques : le syndrome hollandais d’une part et l'instabilité (la volatilité)  des  cours  associés  à  ces ressources, d’autre part. Le syndrome hollandais, décrit la relation entre la dépendance en ressources naturelles, l'appréciation  réelle  de  la  monnaie nationale et la faible croissance économique.  Il  peut, en  fonction  de la structure de chaque économie, être plus  ou  moins  bien  jugulé.  En  revanche, l'instabilité des cours, fait référence à la forte variation des prix du pétrole tel qu’observée au cours de la période récente. A titre d’illustration, le cours du pétrole est passé de 115 US dollars (à prix constants) en  2012  à  52  US  dollars  (à  prix constants), en 2015 en moyenne annuelle.  

L’occurrence  de  ces  risques ajoutée aux chocs sécuritaires aux- quels sont confrontés un certain nombre des pays de la sous-région, les exposent de manière certes inégale à une récession.   Ce constat réel pourrait laisser penser qu'il y aurait donc une sorte de fatalité face aux impacts induits des chocs négatifs des cours de pétrole. Mais, c’est oublier que cette phase de baisse des  cours  a  été  précédée  de  plus d’une  décennie  (2003-2014)  de hausse de cours. Une meilleure gestion des revenus pétroliers aurait pu atténuer dans le temps les effets négatifs de la volatilité des cours. Celle- ci dépend de la double question de l'arbitrage  épargne/investissement et  celle  de  la  gouvernance  insuffisamment adressée par certains pays de la CEMAC. Ainsi, après avoir discuté de  ces  questions  et  les  mesures  y afférentes, nous adressons une troisième, celle relative à la diversification qui,  de  notre  point  de  vue,  semble souffrir d'une erreur de diagnostic et donc forcément de traitement .

Épargner ou investir

Les  économies  qui  dépendent  des ressources naturelles épuisables sont soumises à une instabilité des cours qui induit celle des recettes budgétaires et des dépenses, notamment dans  les  pays  de  la  CEMAC  qui,  du fait de l’appartenance à la zone Franc, sont privés de l’utilisation autonome de l’instrument de politique monétaire réduisant la politique économique au seul budget. Dans ce contexte, l’in- stabilité des dépenses est d’autant plus  dommageable  que  les  ajustements  sont  asymétriques.  Les  dé- penses peuvent facilement être augmentées  pendant  les  périodes  de hausse  de  cours,  mais  au  cours  de celles de baisse comme actuellement, leur malléabilité est rendue très difficile et particulièrement douloureuse pour  certaines  catégories  d’agents économiques. A cette question d'in- stabilité  des  cours  déjà  difficile  à gérer, s’ajoute celle du caractère épuisable des réserves de pétrole, car li- mitées  dans  le   temps.  

En  conséquence, les pays se doivent d'effectuer un arbitrage entre épargne et investissement pour faire face à ces défis. A cet effet, deux solutions extrêmes opposées  peuvent  être  envisagées dans la gestion de cet arbitrage : le tout-épargne  ou  le  tout-investisse- ment. La première, garantie la répartition équitable des revenus pétroliers entre plusieurs générations. Elle per- met en outre une meilleure résilience aux chocs externes. Cependant, elle pourrait se faire au détriment de la consommation  et  du  bien-être  des générations actuelles, tout en agissant comme  une  contrainte  forte  si  les décideurs publics ambitionnent d’investir afin de réduire le déficit en infrastructures.

A l'inverse, une stratégie tout-investissement pourrait éliminer les obstacles en termes d'infrastructures, surtout si le pays souffre d'un manque de capitaux. Une troisième voie est possible, celle que nous suggérons aux pays de la CEMAC. Elle combine les objectifs de développement tout en limitant leur vulnérabilité aux chocs négatifs relatifs aux cours du pétrole en utilisant le lissage budgétaire. Ainsi, en période de hausse de cours, une partie de la richesse  en  pétrole  serait  détenue (épargnée) en actifs étrangers sous la  forme  d’un  fonds  souverains  ou autres. Ce qui limiterait la vulnérabilité du fait que ces actifs seraient revendus en période de baisse des cours pour renflouer les caisses de l’État et permettre ainsi d’éviter l’effet ciseaux de dépenses publiques sur les populations vulnérables. L'autre partie de la richesse serait injectée dans l'économie  nationale,  notamment  dans l’amélioration du climat des affaires à travers l’élimination progressive des obstacles  qui  obèrent la  rentabilité  des investissements du fait de la capacité  d'absorption  limitée  de  ces pays. En effet, le manque de  main d'œuvre  qualifiée,  notamment  en termes d'ingénieurs et de techniciens, rend le plus souvent inefficace le sur- plus d'investissement.

Une  parfaite  illustration  de  ce  fait, pour les pays de la CEMAC, pourrait être appréhendée à travers un indicateur utilisé dans les comparaisons internationales à savoir l’ «épargne nette véritable» ou «épargne nette ajustée».  Elle  s’exprime  comme  la somme de l’épargne nationale brute et de l’investissement en capital productif  (l'éducation  par  exemple)  diminuée de la consommation du capital et  de  la  réduction  des  stocks d’hydrocarbures et de minerais. Les statistiques disponibles durant la période de hausse du cours de pétrole (2003- 2014)  en  moyenne  annuelle  et  en pourcentage du revenu national brut montrent que le Cameroun avec 3% est le seul pays de la sous-région qui exhibe un taux positif bien qu’encore faible en comparaison au 14% de la Malaisie sur la même période. Cet indicateur est de -71 % au Congo, -4 % au Gabon. Ces statistiques montrent que l'augmentation observée des investissements  dans  la  sous-région CEMAC, sur la sous-période considérée, ne s'est pas  traduite  en  dehors  du Cameroun par une formation équivalente en actifs reproductibles. En résumé, plusieurs investissements entrepris n'ont pas engendrés les gains escomptés, à cause des obstacles à la capacité d'absorption.   

Gouvernance et Institutions

Pour un pays pétrolier, le déficit de gouvernance peut affecter la gestion macroéconomique par deux principaux canaux. Le premier canal qui constitue l'explication  la  plus  répandue  est qu'une  mauvaise  gouvernance,  notamment à travers le développement de la corruption, conduit à un détournement  des  revenus  pétroliers  de l’usage  public  destiné  au  bien-être des populations à des usages privatifs. Ce premier canal, empiriquement vérifiable, tend à occulter le deuxième, plus important, par lequel la mauvaise gouvernance affecte l'économie dans son entièreté en modifiant les incitations des individus  dans  le  choix de formation ou de production. C’est pourquoi elle doit être rigoureusement adressée.  

En effet, les individus ne se lancent pas dans des activités économiques parce que c'est moralement bien ou mal. Ils prennent, en moyenne, la décision parce qu'ils en escomptent une certaine rentabilité. Le problème que pose  la  mauvaise  gouvernance  est qu'elle oriente l'investissement vers les  activités  favorisant  l'accès  à  la rente  publique.  Ainsi,  les  individus vont s’orienter vers les activités de recherche et de capture de rente au détriment des activités plus productives. Ce qui conduit à une baisse de la productivité dans l'économie et par conséquent à celle de la croissance économique.  Pour illustrer un peu plus simplement ce point, considérons un parent producteur de cacao ou éleveur de bêtes bovines.  

Ce  parent  fait  face  à  un  choix  d’orientation  concernant  son enfant qui vient d’obtenir un baccalauréat scientifique. Le choix se fait entre une entrée dans une école d'ingénieurs agronomes, ou bien une inscription dans une Faculté de sciences sociales  (droit,  sciences  politiques, sciences économiques, etc.) qui pré- dispose à un emploi public. Lorsque le pays présente une bonne gouvernance, il y a de fortes chances que ce parent fasse le premier choix pour son enfant parce que plus rentable, toutes choses égales par ailleurs. A la  connaissance  du  parent  dans  le domaine, s'ajouterait ainsi des techniques modernes de production acquises par l'enfant durant sa formation d'ingénieur. Ce qui permettrait d'augmenter la productivité dans ce secteur, non pétrolier, et par voie de conséquence  d'augmenter  la  production nationale hors pétrole.

A l'inverse, si la gouvernance est mauvaise, il y a  de fortes chances que le deuxième choix soit privilégié.  Pour revenir sur le cas précédent de la Malaisie, ce pays pétrolier qui pré- sente des performances remarquables avec 4 % de taux de pauvreté a aussi un  meilleur  profil  de  gouvernance comparé à l'ensemble des pays de la sous-région  CEMAC. En effet,  66 % des pays dans le monde ont une pré- valence de la corruption plus élevée que celle de la Malaisie. Pas étonnant dès lors, que les étudiants malaisiens s'orientent différemment par rapport à ceux de la CEMAC. En moyenne annuelle, 40 % des étudiants en Malaisie poursuivent des études d'ingénieurs, contre seulement 30 % en sciences sociales. En comparaison des données disponibles, l'inverse s'observe pour les étudiants de la sous-région. Seulement  22  %  des  étudiants  camerounais  sont  enregistrés  dans  des études d'ingénieurs, contre 61 % en sciences  sociales.  Au  Congo,  11  % des étudiants se retrouvent dans les études  d'ingénieurs,  contre  une moyenne de 51 % pour les sciences sociales.

Il convient de relever, pour le  Cameroun  que  ses  statistiques vont certainement s’améliorer dans les prochaines années avec la politique du Gouvernement « un étudiant un emploi » et surtout, des opportunités qu’offre l’économie numérique avec le succès très médiatisé du Cardiopad du jeune ingénieur camerounais Arthur Zang qui a reçu la médaille d’or de l'Africa prize for engeneering in- novation.  Ainsi,  en  présence  de  la corruption, les métiers et les formations donnant  accès à  la  rente  publique deviennent plus attractifs. Les individus sont alors incités à s'investir dans  de  tels  métiers et  formations afin  d'avoir  la  possibilité  de  capter une partie de cette rente publique. Il s'en suit alors une représentation des métiers, des formations et des talents qui  n'est  pas socialement  désirable pour le pays, puisqu'elle ne favorise pas la productivité, encore moins l'in- novation et la croissance économique.

Diversification  et  erreur  de diagnostic

Une réponse adéquate aux deux précédents points est d’autant plus importante  qu’elle  pourrait  constituer un  pas  prometteur  vers  un  succès des politiques de diversification. Les- quelles sont des objectifs depuis les années 1960-1970, mais n'ont toujours  pas  produit  les  résultats  es- comptés. En effet, la réussite de l'arbitrage épargne/investissement per- met de stabiliser le cadre macroéconomique tout en fournissant les infrastructures en lien avec les capacités de l'économie. Ce qui limite l'incertitude  chez  les  investisseurs  et  par voie de conséquence encourage leurs investissements.  Le  fait  est  qu’un environnement  instable  peut  agir comme une taxe implicite sur les investissements, notamment sur le capital fixe. Puisque les investissements nécessitent des  décisions irréversibles, il devient de fait difficile d’entreprendre dans un environnement incertain.  

Une réduction du déficit de gouvernance contribue également à cet objectif de diminution de l'incertitude auprès des investisseurs, et de manière  plus  importante,  permet  une répartition des métiers et des qualifications économiquement optimale. Bien évidemment, cela suppose que le pays augmente l’offre de formations nécessaires pour l’acquisition de ces qualifications.  Comme  les  individus les plus talentueux seraient affectés aux tâches pour lesquelles ils seraient les plus qualifiés. On devrait assister à une augmentation de l'offre de pro- duits nationaux.

A titre d'illustration les exportations en produits manu- facturés représentent 70 % du total des exportations de la Malaisie. Il ap- parait de manière suffisamment claire qu'une  bonne  gestion  des  revenus pétroliers participe à la diversification des pays considérés. Dès lors, toute politique qui identifie le pétrole comme l'obstacle à la diversification repose en général sur un mauvais diagnostic.

Un élément supplémentaire qui sous- tend ce point peut être observé au niveau des nouveaux entrants de la CEMAC dans la production du pétrole. Il peut  être  remarqué  que  les  pays concernés ne présentaient guère une large gamme de produits d'exportation ni  une  base  industrielle  plus  large, avant le début de l'ère pétrolière. Le pétrole ne peut en conséquence pas être tenu pour responsable de l’absence de diversification ou du faible niveau d’industrialisation de ces pays. Au total, il advient qu’une stratégie de diversification qui pourrait s’avérer adéquate pour les pays pétroliers de la CEMAC devrait intégrer les mesures précédemment exposées sur la bonne gestion macroéconomique des revenus  pétroliers,  procéder à  l'identification ainsi qu’à une bonne compréhension des facteurs derrière la structure des économies hors pétrole.

Dans ce  sens,  une  question  pertinente pourrait être pourquoi, avant l'ère pétrolière,  l’économie  n'était-elle  pas diversifiée ?  Une  réponse  à  cette question ou à d’autres peut évidemment déboucher sur une variété d’éléments qui ne sont pas nécessairement communs à l'ensemble des pays pétroliers de la CEMAC. Mais une telle approche  aboutirait à  des  résultats plus  significatifs  des  politiques  de diversification  et  d’industrialisation dans les pays concernés.  

*Désiré Avom, Professeur, Université de Dschang, Cameroun
*Luc Désiré Omgba, Maître de Conférences-HDR, Université de Paris Ouest Nanterre, France

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