POURQUOI JE SOUTIENS LA REVOLTE ANGLOPHONE AU CAMEROUN ?
CAMEROUN :: POINT DE VUE

POURQUOI JE SOUTIENS LA REVOLTE ANGLOPHONE AU CAMEROUN ? :: CAMEROON

Je commence par une note autobiographique qui traduit ma propre expérience du double héritage colonial anglais et français, lequel fait désormais partie de l’ADN du Cameroun d’aujourd’hui. J’ai fait toutes mes études primaires et secondaires dans le système éducatif francophone. C’est en classe de 6ème que j’ai eu mes premiers cours d’anglais, une langue qui ne me passionnait pas particulièrement, étant donné qu’en général, la plupart des élèves n’en voyaient pas l’utilité immédiate. Je faisais l’anglais, comme toute autre matière, parce que c’était inscrit au programme. Ma première visite dans la zone anglophone du Cameroun eut lieu quand j’étais en classe de première. C’était à Bamenda, dans le cadre d’une excursion organisée par l’aumônerie catholique des lycées et collège de la Paroisse Saint Augustin de Dschang. J’avais alors 16 ans ! C’était mon plus long voyage depuis ma naissance et ça m’a laissé une forte impression. Je n’imaginais pas un seul instant que quelques années plus tard, ayant demandé à devenir prêtre, que l’évêque de Bafoussam m’enverrait pour ma formation au Grand Séminaire de Bambui à quelques kilomètres de Bamenda. C’était à l’époque l’unique grand-séminaire anglophone du Cameroun et l’évêque de Bafoussam avait besoin de quelques prêtres anglophones pour des besoins pastoraux. Les débuts furent extrêmement difficiles à cause de la pauvreté de mon anglais mais après six mois d’efforts soutenus, la difficulté de la langue fut surmontée et j’y ai passé au total trois ans de formation philosophique. C’est alors que je décidai d’entrer chez les Jésuites où ma longue formation, après un détour de deux ans par le système éducatif belge, me ramena sur une trajectoire anglo-saxonne qui m’a finalement conduit à l’Université de Oxford pour un doctorat en anthropologie sociale. De par ma trajectoire scolaire et supérieure, je suis un produit des deux systèmes éducatifs.

Après la thèse, j’ai été envoyé enseigner à l’Université Catholique d’Afrique Centrale où, pour la première fois, j’ai été confronté à la réalité de la marginalisation structurelle, mais non intentionnelle, des étudiants anglophones. L’UCAC avait certes pris des dispositions pour organiser le concours d’entrée à l’UCAC dans toutes les dix régions du Cameroun, y compris à Bamenda et à Buea ; mais structurellement, ce n’était pas une institution attrayante pour les anglophones parce que le projet initial de l’UCAC n’avait pas pris en compte le bilinguisme du Cameroun. Tout se faisait en français. Dans le principe, c’était ouvert à tous, mais dans la réalité, elle ne bénéficiait qu’aux enfants des Francophones, et au moins à 90% aux Francophones du Cameroun. Finalement, les évêques anglophones ont pris la décision, il y a quelques années, d’ouvrir leurs propres universités catholiques à Bamenda et à Buea. Et je me suis dit, s’il en est ainsi d’une institution catholique où le souci du mérite et de l’inclusion occupe une place centrale, qu’en est-il des institutions étatiques où d’autres considérations entrent en ligne de compte.

J’ai donc été très étonné au début de la crise anglophone d’entendre tant de mes frères et sœurs francophones dire qu’i n’y a pas de « problème anglophone » au Cameroun et qu’il s’agirait d’un problème général qui concerne tous les Camerounais. Soit ! Je partage bien évidemment le point de vue selon lequel c’est tout le Cameroun qui est aujourd’hui un problème, et qu’il faudrait envisager une solution globale. Mais cette reconnaissance du caractère général de la déchéance n’est pas incompatible avec la spécificité du « problème anglophone » qui est un sous-ensemble du problème Camerounais. Sur la base de ce diagnostic, je m’attendais alors à voir mes frères et sœurs francophones rejoindre leurs frères et sœurs francophones dans la lutte pour la résolution, une fois pour toutes, de ce problème dont le diagnostic semblait généraliser les effets. Mais à ma grande déception, ils ont choisi de continuer leur vie comme s’ils n’avaient, eux, aucun problème. Je me demande comment ils entendent trouver une solution au problème général.

Peut-être que les Francophones ne sont-ils pas encore prêts pour le combat pour la liberté.

On peut le comprendre ! Mais faut-il en vouloir aux Anglophones parce qu’ils veulent en finir maintenant avec l’injustice ? En effet, ils sont nombreux, les Francophones, à en vouloir aux Anglophones qui réclament le retour au fédéralisme. Il leur est reproché de vouloir diviser le Cameroun qui est « un et indivisible ».

Je peux comprendre de telles craintes, mais pour ma part je soutiens la révolte anglophone pour cinq raisons principales : d’abord parce que toute révolte contre une injustice, quelle qu’elle soit, mérite d’être soutenue ; ensuite parce que cette révolte est une opportunité pour tout le Cameroun, l’opportunité de se libérer ensemble du joug de l’oppression qui nous abrutit ; troisièmement parce que je suis favorable à un fédéralisme à plusieurs Etats qui rendra enfin effective la réalité de la décentralisation ; le centralisme de Yaoundé a détruit le Cameroun et je crois pas en l’homme providentiel. Il faut donner une chance au gouvernement local. Quatrièmement parce que les Francophones qui tiennent à l’unité du Cameroun à long terme ont intérêt à être solidaires du combat des Anglophones. Les isoler dans la résistance actuelle au régime de Yaoundé, c’est donner une chance à la radicalisation en cours qui est un pain béni pour les sécessionnistes. Si nous ne nous libérons pas avec eux, les Anglophones finiront par se libérer sans nous et, qui sait, de nous ! Il ne reste plus qu’à souhaiter qu’elle soit une révolution non-violente. Pari jamais gagné à l’avance !

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