Dr Simon Bassilekin Ndomilep : « Avec l’ajustement structurel, on peut faire une croix à l’émergence en 2035 »
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CAMEROUN :: Dr Simon Bassilekin Ndomilep : « Avec l’ajustement structurel, on peut faire une croix à l’émergence en 2035 » :: CAMEROON

Pour cet économiste, le retour aux plans d’ajustement structurel adopté par les pays de la Cemac est une mesure inappropriée.

Le Cameroun comme les autres pays de la zone Cemac vient d’adopter le retour aux politiques d’ajustement structurel. Quel commentaire l’économiste que vous êtes fait de cette décision ?
C’est un malheur national, parce que nous avons vu que 20 ans de plan d’ajustement structurel ont pratiquement saccagé l’économie du Cameroun et nous ont fait reculer d’un demi-siècle. Il faut souligner que juste avant la crise de 1980, le Cameroun était placé dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire et là aujourd’hui nous sommes redevenus un pays pauvre et très endetté. Et quand un pays pauvre et très endetté doit reculer, c’est pour toucher le fond. Donc, c’est une véritable calamité qui se prépare pour les Camerounais. Comme par malheur, notre pays a ratifié, signé les accords de partenariat économique avec l’Union Européenne, c'est-à-dire qu’il renonce à un des revenus les plus importants de son budget à savoir les recettes douanières. Ceci revient à dire que les impôts vont s’étendre dans tous les secteurs d’activités. Dans la loi des Finances votée par les députés lors la récente session parlementaire, l’on voit très bien que l’impôt foncier va monter en flèche, l’on se rend bien compte que les secteurs qui jusque-là étaient peu ou pas fiscalisés vont le devenir. Donc tel que je perçois la chose, je puis affirmer que l’avenir économique du pays n’est pas du tout bon, pour dire le moins.

Donc vous partagez le scénario catastrophe que certains observateurs ont tôt fait d’indiquer après le retour au plan d’ajustement structurel ?
Absolument. 2017 c’est l’année des calamités, c’est une année de souffrance pour le peuple camerounais. Vous savez, le Cameroun s’est toujours bien organisé pour ne pas emprunter le bon train. Avant la crise de 1980, quand le Cameroun vendait le cacao à l’international à 1000 FCFA, il reversait 200 FCFA aux producteurs et 800 FCFA à l’Office de commercialisation des produits de base. Dans le même temps, la Côte d’Ivoire faisait l’inverse. On donnait 800 FCFA aux producteurs et 200 FCFA à la caisse de stabilisation qu’on appelle là-bas caisse stable, l’équivalent de notre ONCPB. Malheureusement, nous avons accepté que l’ONCPB soit saccagé avec comme conséquence la perte sèche de tout ce que les producteurs avaient gardé là-bas. Par contre, la Côte d’Ivoire a tenu bon, elle a gardé sa caisse de stabilisation. Alors qu’en 1960 les deux pays étaient à peu près au même niveau, aujourd’hui la Côte d’Ivoire produit 1,2 million tonnes de cacao par an et est premier producteur mondial, le Cameroun lui atteint péniblement les 300 000 tonnes.

Nous aurions pu profiter de cette époque-là pour développer la cacaoculture et nous serions aujourd’hui capables de produire mieux que la Côte d’Ivoire. Et quand on commence à parler de la modernisation de l’agriculture et que dans le même temps les programmes d’ajustement structurels reviennent, vraiment il faut dire que nous devons faire une croix sur cette modernisation. Par conséquent, nous avons raté ce train-là. Et puis dans les années 80 le Cameroun s’est mis à exporter du pétrole. Et le président du Cameroun d’alors, Amadou Ahidjo a dit, « surtout l’argent du pétrole, il ne faut pas le toucher, il faut le mettre de côté dans un compte hors budget ». On a déposé cet argent dans un compte hors budget au lieu de l’utiliser pour la construction des infrastructures comme le font les pays comme le Tchad et la Guinée Equatoriale. On a préféré le thésauriser et aujourd’hui personne n’est en mesure de nous dire ce que cet argent est devenu. C’était là la deuxième occasion manquée de donner un coup d’envol à notre économie. Troisièmement, c’est là maintenant. Le Cameroun n’a pas la même situation que le Tchad, la Guinée Equatoriale encore moins la RCA. Même les experts réunis à Yaoundé ont dit que le Cameroun à lui tout seul devrait réévaluer son Franc si nous avions une monnaie nationale. Mais au lieu de cela, nous allons régresser, nous allons nous aligner avec les plus faibles, nous allons niveler par le bas.  

Vous avez fustigé tantôt l’option prise par le Cameroun en 1980 de garder l’argent du pétrole dans un compte hors budget. Quelles sont les mécanismes de fonctionnement de ce compte hors budget ?
Il faut comprendre une chose, si nous sommes malheureux d’être sous-développés, l’occident est heureux de notre sous-développement. Parce que quand vous êtes sous développé et faible, on vous prescrit tout et vous acceptez tout. Or nous oublions ce que De Gaulle a dit à Churchill pendant la guerre de 1939-1945 « Monsieur le premier ministre, la France est trop faible pour faire des concessions ». Nous en Afrique, au lieu de résister à tout ce qu’on nous demande, nous acceptons tout. C’est-à-dire que lorsqu’on a quelque chose qui se vend bien, il faut en profiter pour se développer et c’est ce qu’a fait la Guinée Equatoriale et c’est ce que faisait le Tchad. Malheureusement, l’occident qui n’aime pas le développement chez nous a artificiellement écrasé le prix du pétrole de telle manière que ces revenus-là ont disparu. Mais le Cameroun a la particularité de disposer d’autres ressources en plus du pétrole.

Il a une agriculture quoi qu’archaïque qui aurait pu être développé. Et donc au lieu de mettre à contribution l’argent du pétrole pour moderniser par exemple notre agriculture, le président Ahidjo a plutôt choisi l’option de placer les recettes pétrolières dans un compte hors budget. On a déposé cet argent dans des banques occidentales et vous êtes sans ignorer que lorsqu’on dépose de l’argent dans une banque, ce n’est pas pour qu’il dorme, c’est pour que cette banque en profite. Et laissez-moi vous dire que les banques occidentales en ont largement profité. Personne n’est aujourd’hui capable de nous dire ce que cet argent est devenu. Peut-être a-t-il été décaissé, mais s’il a été enterré dans le compte d’opération du trésor français, il est à jamais perdu pour les Camerounais de cette génération comme pour ceux de la génération d’aujourd’hui et même pour ceux des générations à venir.

Pourquoi dites-vous cela ?
Tout simplement parce qu’en 1960, monsieur Ahidjo et son équipe ont signé des accords selon lesquelles chaque fois que nous aurions des réserves de devises nous les confirions à la France qui les utiliseraient à sa guise. Il n y’a aucun moyen de contrôle. Donc, l’argent que nous déposons là-bas, les français l’utilisent exactement comme si c’était le leur, ils n’ont pas de compte à nous rendre. Plus grave, le Cameroun a signé un accord en 1960 selon lequel chaque fois que la France aurait besoin de cacao, de café, de banane, de tout ce que nous lui vendons, qu’elle ne débourse aucun franc pour payer nos produits, mais qu’elle fasse plus tôt une opération de crédit dans notre compte d’opération.

Or quand on crédite un compte que vous ne maitrisez pas, quand on vous met de l’argent dans un compte scriptural dont vous ne connaissez ni le contenu ni ce qu’on en fait, cela veut tout simplement dire qu’on ne vous paye jamais. Depuis 1960, quand la France prend l’uranium au Niger c’est pour zéro franc, quand elle prend le pétrole au Cameroun c’est pour zéro franc, quand elle prend le cacao en Côte d’Ivoire c’est pour zéro franc, voilà pourquoi nous restons dans le sous-développement.

Au vu de ce tableau sombre, y aurait-il une option qui pourrait permettre au Cameroun de rectifier le tir ?
Bien sûr, il existe une option toute simple et facile. Que nos Etats disent aux français que nous dénonçons les accords de 1960, qu’ils demandent à la France de nous restituer tout notre argent. Imaginez un seul instant que le Cameroun puisse disposer par exemple de 2 000 milliards de FCFA, je vous assure qu’on ferait des miracles. Nous avons la chance d’avoir une population intelligente et travailleuse, mais, on a beau travaillé, quand on n’a pas des moyens d’investir, de se développer, de moderniser son agriculture, de s’industrialiser et bien on reste un grenier où les plus forts viennent prendre gratuitement ce que vous avez à donner et ils vous vendent à prix d’or ce qu’ils vous apportent.

Tout est contre nous. Mais, de Washington, de Paris et de Londres ils ont décidé d’écraser le prix du pétrole, il n y a aucune explication économique qui tienne, c’est tout simplement de la spéculation. Et tout simplement après cela, ils nous envoient le FMI pour venir nous imposer le programme d’ajustement structurel. Donc l’émergence en 2035 pour le Cameroun, en 2025 pour le Gabon nous pouvons déjà faire une croix dessus.

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