Cameroun, Les Evêques de la zone anglophone se trompent et évitent les sujets qui fâchent
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Cameroun, Les Evêques De La Zone Anglophone Se Trompent Et Évitent Les Sujets Qui Fâchent :: Cameroon

J’ai lu avec beaucoup d’attention le mémorandum que les Evêques de la zone anglophone ont adressé au Chef de l’Etat et qui s’est retrouvé dans beaucoup de médias et dans les réseaux sociaux. Je voudrais ici en dix modestes points inviter les Evêques à ouvrir les yeux sur une réalité qu’ils connaissent mais qu’ils feignent d’ignorer en leur rappelant ces propos de Don Bosco : Quand les relations horizontales deviennent confuses, seule la verticale reste salutaire. La vérité doit toujours l’emporter sur l’autorité. Je m’en voudrais donc si je me taisais, comme Jésus le dit à ses disciples, « si eux se taisent, les pierres crieront » (Luc, 19, 40). C’est en ma qualité de président du Mouvement Camerounais Pour la Social-Démocratie que je prends cette initiative.

1. Retrouver le sens du politique

… La crise de la politique est d’abord une crise de confiance envers ceux qui sont chargés de veiller au bien commun et à l’intérêt général, vous auriez gagné à appeler au renouvellement de notre classe dirigeante…

2. Une société en tension

…La contestation est devenue le mode de fonctionnement habituel, et la culture de l’affrontement semble prendre le pas sur celle du dialogue, vous auriez gagné à appeler à plus de dialogue. Je perçois comme socio-politique dans mes rencontres et mes enquêtes de tous les jours sur le terrain, que notre société se fragmente de plus en plus, où le chacun pour soi remplace l’envie de vivre-ensemble, où l’on devient de plus en plus consommateur de la République plutôt que citoyen. Cette société est en grande tension nerveuse, comme si elle était fatiguée psychiquement, c’est ce que nous appelons le burn out de la société camerounaise dans son ensemble, du Nord au Sud de l’Est à l’ouest, de toutes les classes d’âges, de la ville comme de la campagne.

3. Ambivalences et paradoxes

…Le contrat social, le contrat républicain permettant de vivre ensemble sur le sol du territoire national ne semble donc plus aller de soi. Pourquoi ? Parce que les promesses du contrat ne sont plus tenues. Il a besoin d’être renoué, retissé, réaffirmé. Il a besoin d’être redéfini c’est ce que le peuple de Dieu attend justement de vous… que vous soyez les nœuds qui tiennent le filet, la voix qui va un peu plus haut et qui atteint les gouvernants qui sont sourds à son appel et qui vous rendent visite assez régulièrement.

4. Un contrat social à repenser

…Les valeurs républicaines de « Paix, Travail, Patrie » souvent brandies de manière incantatoire, semblent sonner creux pour beaucoup de nos contemporains sur le sol national vous aurez gagné en interrogeant la paix dans notre pays, en questionnant la valeur travail et enfin en définissant avec nous ce qu’est le patriotisme dans une telle injustice. Savez-vous que pour une population camerounaise estimée à 22 millions d’hommes de femmes et d’enfants, 10 millions ont du mal à se loger ? A se nourrir, à se vêtir et à donner un sens à leur vie ? Savez-vous que 8 millions de Camerounais vivent avec moins de 28 000 Fr par mois ? Savez-vous que 48% de 20 à 44 ans, sont passés en 5 ans de la pauvreté à la misère ? Près de 35% de la population active sur le territoire national est au chômage ? Ce taux dépasse les 60% dans cette région, l’Est, l’Extrême Nord ? 45% dans le Nord-Ouest ? 43% dans le Sud ? Ces chiffres ne donnent-ils pas à désespérer ? Parce que derrière ces chiffres se trouvent des personne. Messeigneurs la précarité n’est pas un concept, ce sont des hommes et des femmes comme vous et moi, que le « système » laisse sur le bord de la route.

5. Différence culturelle et intégration

…Il convient donc pour l’avenir de notre société de redéfinir ce que c’est « être citoyen camerounais », et de promouvoir une manière d’être ensemble qui fasse sens et non de s’enfermer dans les particularismes plus sécessionnistes qu’autre chose. Nous devons faire attention aux minorités, aux personnes les plus éloignées des centres de décision. Nous ne devons pas remédier à une injustice en commettant une injustice encore plus grande. C’est ce que nous enseigne saint Thomas et que nous retrouvons dans l’Ethique à Nicomaque d’Aristote dans le livre V.

6. L’éducation face à des identités fragiles et revendiquées

…Plus que d’armure, c’est de charpente que notre jeunesse a besoin pour vivre dans le monde d’aujourd’hui. C’est quoi l’école camerounaise aujourd’hui ? Est-ce cet ensemble de sous-secteurs anglophone et francophone dont parle la commission Paul Ghogomu Mingo ou alors il est possible d’arriver à un véritable système éducatif camerounais ? Ne l’oublions jamais, le futur n’est que le présent que nous ordonnons.

7. La question du sens

…Depuis une trentaine d’années, la question du sens a peu à peu déserté le débat politique pour laisser s’épanouir des intérêts égoïstes dont le silence de l’Eglise s’est fait très souvent complice. Il y a un an jour pour jour je vous adressais une lettre dans ce sens alors que nos villes et villages tendent à se transformer en Commandement Opérationnel où les populations se croyant, voire se sentant abandonnées par les pouvoirs publics, assassinent en toute impunité ceux et celles qui sont accusés d’avoir commis un forfait. Le drame, c’est dans l’approbation de tous et le silence de ceux qui condamnent ces actes.

La justice est l’un des piliers de la cohésion sociale dans la mesure où elle fait office de médiateur dans les conflits opposant des individus entre eux (droit privé), et aussi des individus avec l’État (droit public). Une justice respectable doit être médiateur et non bourreau.

La cohésion sociale s’effondre lorsque la justice semble prendre le parti d’une force plutôt que d’une autre (une ethnie particulière, un État totalitaire) puisque les individus et groupes sociaux sans cesse incriminés par cette justice aux ordres ne reconnaîtront pas la légitimité de ses arrêts. Qui mieux que vous pour le prêcher ? Qui mieux que vous pour nous le rappeler ? Qui mieux que vous pour l’enseigner ? « la manière de plaider paraît se trouver d’abord au paradis1 ». Le Seigneur en effet interroge le coupable présumé et écoute les témoins, qui doivent être au moins deux (en l’occurrence la femme et le serpent), avant de délivrer sa sentence. Oui, les droits de la défense se trouvent inscrits dans le droit naturel. Voilà pourquoi nous attendons de vous ce rappel face aux dérives auxquelles nous assistons dans la société camerounaise. Les chrétiens, le peuple de Dieu que vous accueillez tous les jours est en passe de devenir un peuple d’assassins et ceci de génération en génération !

8. Une crise de la parole

…Entre le « ras-le bol » de ceux qui n’y croient plus et se désintéressent de la vie publique, et ceux qui, pleins de colère, veulent renverser la table et se tourner vers la sécession, la marge de manœuvre est de plus en plus étroite pour relégitimer la parole publique. La solution n’est ni dans le chaos ni dans le retour à une république fédérale mais à une mise en pratique de la décentralisation telle qu’édictée par notre loi fondamentale.

9. Pour une juste compréhension de la laïcité

…La laïcité de l’État est un cadre juridique qui doit permettre à tous, croyants de toutes religions et non-croyants, de vivre ensemble mais sur le plan purement sociologique, le Cameroun n’a rien à voir avec la laïcité, nous sommes une Nation tri-confessionnelle (Religions Traditionnelles, Islam et Christianisme).

10. Un pays en attente, riche de tant de possibles

…Les enjeux démographiques, économiques, sociaux, écologiques et environnementaux sont en train de transformer en profondeur nos conceptions de la vie en société, allons-nous donc leur apporter des réponses par et dans nos attitudes de simplicité, de sobriété et de partage ou alors nous allons continuer à nous enfermer dans une société de plus de consommation sans production ?

Que puis-je dire, en conclusion, que je n’ai pas déjà dit ? « La miséricorde est sentiment de générosité qui jaillit dans un cœur devant une détresse », c’est que le Père Sesboüé nous enseignait autrefois en théologie morale.

Notre monde a, plus que jamais, besoin de la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus de Nazareth. Cette Bonne Nouvelle est d’abord annoncée aux pauvres et elle parle de délivrance des captifs, de guérison des aveugles et de libération des opprimés (Luc, 4, 18-19). Le Cameroun a besoin de justice sociale, proclamez-là, enseignez là.

Votre frère en Jésus, avec toutes ses limites et ses faiblesses, mais qui vous implore de remplacer la prudence par l’audace, la peur par la confiance et la soumission par la liberté, comme l’Évangile nous invite à le faire.

Avec l’assurance de ma prière et de ma solidarité,

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