Etre africain à Moscou: Entre joie et peur
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On dit que les Africains à Moscou ont la vie dure nous confie Ngongang, un étudiant venu du Cameroun et installé à Moscou depuis sa tendre enfance.  On dit qu’ils se cachent, qu’ils vivent ghettoïsés dans le quartier de l’Université de l’Amitié entre les peuples, où ils font tous leurs études. On dit même qu’ils se déplacent en groupe par mesure de sécurité. Nous avons rencontré quelques uns parmi ces africains vivant à Moscou

L’Université de l’Amitié entre les peuples est un héritage soviétique qui date de 1960 : pour contrer le bloc de l’Ouest, la Russie pensait pouvoir former des élites d’ex-colonies du Tiers-Monde dans des domaines variés tels que l’agriculture, la médecine, les sciences et l’ingénierie, tout en inculquant aux étudiants les bases du marxisme-léninisme. Aujourd’hui, l’université est toujours très réputée et accueille plus de 13 000 étudiants, issus de plus de 100 pays.

C’est sur le campus que l’on peut rencontrer le plus des étudiants venus du Cameroun, du Tchad, du Mali, du Sénégal, du Congo etc, alors qu’on n’en rencontre que très peu sur la Place rouge ou dans le métro : cela donne globalement l’impression que l’immigration africaine en Russie est proche de zéro. Pourtant pour ces étudiants, elle s’avère plus facile qu’en Europe : « Si on a un bon dossier et de bons résultats, la Russie nous ouvre les portes de son université, gratuitement. En Europe, c’est plus difficile », nous affirme Ngongang, Camerounaise et ancienne étudiante de l’université, qui vit en Russie depuis 7 ans.

Les étudiants africains parlent un russe quasiment parfait : l’Etat russe, en échange d’études gratuites, leur impose un an d’étude intensif de la langue avant de commencer leur cursus. Ils sont invités, et même si l’hébergement reste à leur charge, les formalités de visa sont simples et les étudiants bénéficient d’un accompagnement dans leurs démarches pour s’installer.

Ils partagent leur chambre dans un foyer avec d’autres étudiants russes ou étrangers,  pendant les quelques années où se déroulent leurs études : en général de 3 à 7 ans.

Tous étaient d’accord sur une chose : le plus dur ici, c’est avant tout le climat : « Bien sûr, l’hiver est difficile, on n’a pas l’habitude. Mais il y a aussi l’isolement : on a peu d’amis. Lorsqu’on arrive, les anciens nous disent de rester chez nous, au foyer : les gens craignent l’agressivité des Russes. C’est peut-être vrai. Je ne sais pas, je pense que la plupart d’entre nous ne se risque pas à le vérifier », nous confie Mahatman, arrivé du Tchad en 2015 pour étudier les Sciences biomédicales.

« Les Russes avec qui on étudie sont sympathiques, nous n’avons pas de problèmes particuliers. Si on reste enfermé, c’est parce qu’on doit travailler énormément pour pouvoir rejoindre l’élite de notre pays une fois rentré. Même si le système russe n’est pas toujours reconnu, la pédagogie est bonne, c’est une chance pour nous », affirme de son côté Ngambi, originaire de la République centrafricaine.

Jacques et Caddy sont arrivés il y a respectivement 4 et 3 ans de Côte d’Ivoire pour étudier les sciences mathématiques. Globalement satisfaits de leur parcours universitaire, ils évoquent une intégration difficile : « Les Russes sont plutôt indifférents à notre présence. Quand ils nous voient, on dirait qu’ils n’ont pas la télévision, qu’ils n’ont jamais vu de Noirs. Ils nous regardent comme si on était des fantômes. On ne se sent pas à l’aise, ce pays est stressant. Nous repartirons dès que nous aurons fini nos études ».

« Bien sûr que les gens nous regardent. On fait pareil chez moi, au cameroun, quand on voit des Russes ! ils sont accueillis comme des roi », commente Ngongang.

« Les Russes ne s’adressent presque jamais aux femmes africaines : moi je n’ai jamais eu de problèmes. Ce sont plutôt les hommes qui ont affaire aux skinheads…Bien sûr, parfois il arrive qu’on nous balance quelques réflexions désagréables, le soir, lorsque les gens sont ivres. Mais ça ne m’empêche pas d’aller dans les clubs ou de sortir ! Je pense que si les Africains restent dans le même quartier, c’est avant tout pour des raisons pratiques : ils ont tout là bas -des restaurants, des magasins, leur foyer… ».

Ngongang parle de sa famille restée au Cameroun, et confie : « Mon pays me manque. Mais quand je suis arrivée ici, j’avais 16 ans, et j’ai été accueillie par une famille russe qui a agi avec moi comme mes parents l’auraient fait. Aujourd’hui, j’ai mon propre appartement, la Russie est ma deuxième maison. Et il vaut toujours mieux vivre ici de toute façon… ».

Pourtant, Ngongang dit vouloir partir aux Etats-Unis : « J’aimerais rester bien sûr, si j’avais un bon travail. Mais trouver un travail ici est difficile… Actuellement, je suis nounou, alors que j’ai continué mes études dans le tourisme ».

En dehors des étudiants africains de Moscou, nombreux sont aussi les migrants africains qui,  bien que présents, sont inexistants pour l’opinion publique. Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à survivre tant bien que mal dans la mégapole moscovite. Ils sont arrivés en Russie dans l’espoir d’une vie meilleure, ou comme une étape vers l’Europe de l’Ouest. Mais ils sont restés là, avec d’énormes difficultés à trouver du travail, sans aucun espoir d’existence légale, et sans moyen pour faire le chemin en sens inverse.

Pourquoi ne pas retourner au Cameroun son pays natal? Ngongang remue subitement ses lèvres et devient muette. Il se dit à Moscou que le risque, quand on ne prend pas garde au choc du retour, c'est d'avoir rapidement envie de repartir vers une autre destination... Inversion du syndrome de Stendhal..

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