EXISTE-T-IL UN « PROBLEME ANGLOPHONE » AU CAMEROUN OU S’AGIT-IL D’UNE VUE DE L’ESPRIT?
CAMEROUN :: POINT DE VUE

Existe-T-Il Un « Probleme Anglophone » Au Cameroun Ou S’agit-Il D’une Vue De L’esprit? :: Cameroon

Depuis plus d’un mois, des discussions très animées se tiennent entre camerounaises et camerounais. Elles semblent se focaliser autour d’une question qui, tour à tour, divise l’opinion publique, réveille des passions que l’on croyait enfouies et ravive des antagonismes que l’on pensait avoir été réglés dans le passé.

La présente réflexion scrute successivement les arguments des deux camps en présence, présente ma position et fait part de quelques propositions concrètes qui pourraient s’avérer utiles.

1. Les arguments en présence

Au moins deux camps semblent s’affronter dans ce débat fort passionné.

Le premier, qui compte beaucoup de francophones - ainsi qu’une infime minorité d’anglophones -maintien avec force qu’il n’y a pas de problème spécifiquement anglophone dans notre pays. Toutes les dix régions, aux yeux des tenants de cette vision, connaissent exactement les mêmes difficultés, occasionnées par un manque criard d’infrastructures à bon niveau (routes, eau, électricité, hôpitaux, écoles, etc.) Ces carences observables partout, causent un énorme inconfort aux populations de toutes les localités touchées, sans exception.

A moins de vouloir utiliser les revendications actuelles pour atteindre d’autres objectifs inavoués, entend-on dans ce camp, les fauteurs de troubles du Nord-Ouest et du Sud-Ouest devraient plutôt se joindre à leurs compatriotes des huit autres régions pour exiger, ensemble, une amélioration substantielle des infrastructures nationales ainsi que l’instauration d’une meilleure gouvernance politique et économique plus décentralisée.

A contrario, le second groupe de camerounais impliqué dans le débat est à majorité anglophone, tout en incluant une minorité de francophones qui soutient ses positions. Ceux qui le compose affirment, pour leur part, qu’il existe bel et bien un problème anglophone, initialement créé par le non respect des résolutions arrêtées lors de la Conférence de Foumban de juillet 1961, qui reconnaissait explicitement l’existence de DEUX entités distinctes camerounaises qui acceptaient volontairement (c’est-à-dire sans contrainte aucune) de se réunir à nouveau, mais à une condition : que soit respectée la spécificité culturelle de chacune des deux parties, et qu’il soit tenu compte des caractéristiques particulières que l’histoire a façonné par rapport à la manière d’être et de vivre des Camerounais des deux rives du Mungo.

Les langues officielles, le français et l’anglais, furent déclarées d’égale statut dans notre document fondamental, la constitution du Cameroun Fédéral.

Force est de constater, de l’avis des membres de ce deuxième groupe, que ces égalités constitutionnelles ne sont guère respectées dans la vie quotidienne par la classe dirigeante du Cameroun, ou par les citoyens camerounais, à majorité francophones. Est-il acceptable, se demandent-ils, que vous soyez ridiculisé dans un lieu public à Yaoundé, Douala, Ngaoundéré ou Bertoua, simplement pour avoir demandé à obtenir une information en utilisant la langue anglaise ? Est-il normal d’entendre dire par un fonctionnaire de l’Etat s’adressant à son compatriote d’expression anglaise, « je ne comprends pas votre patois-là, ne pouvez- vous pas parler français comme tout le monde ? » Enfin, comment tolérer que l’expression utilisée en français « je ne suis pas ton Bamenda » puisse renvoyer à l’interprétation suivante : « je ne suis pas ton valet de maison ! »?
Ces violations quotidiennes des droits des citoyens camerounais anglophones sont vécues par ces derniers à travers le territoire national.

L’attitude hautaine et condescendante de bon nombre de francophones (dont beaucoup ne réalisent même pas l’impact des paroles blessantes et humiliantes qu’ils profèrent à l’endroit de leurs frères venus de l’autre rive du Mungo) peut mener certains à la frustration, voire à la révolte. D’où la conviction qu’ont certains anglophones, généralement sympathisants du courant sécessionniste du SCNC, que les francophones sont déterminés à phagocyter la culture et la langue anglo-saxonnes. Leur conclusion ? Les francophones sont à l’origine de tous leurs malheurs.

La contestation menée par la frange des anglophones qui proteste avec violence, tient au fait de l’impression qui est la leur, d’être des citoyens camerounais de seconde zone.

Le problème majeur de l’arène politique est que les croyances y sont plus importantes que la réalité.

Voici, brossées à grands traits, certes beaucoup trop rapidement, les principales positions des protagonistes de cet important débat.
Que m’inspirent ces arguments ?

2. Ma position dans le contexte de ce débat

Au regard des nombreuses complaintes exprimées depuis plusieurs années déjà par nos compatriotes anglophones (et dont certaines ont été rappelées plus haut), il semble extrêmement difficile de conclure à la non existence « d’un problème anglophone ». Le simple fait que des frères camerounais se sentent mal dans leur peau et aillent jusqu’à dire publiquement dans les mass medias et ailleurs leur mal-vivre, constitue en lui-même, déjà un réel problème.

Plutôt qu’une stratégie de déni individuel ou collectif, il revient plutôt à la majorité démographique que constituent les francophones, de tout faire pour bien comprendre les contours, la nature mais aussi la profondeur des frustrations que vivent au quotidien une partie des Camerounais dont le parcours historique est tout de même assez singulier.

Il n’est en outre pas rare d’entendre des Camerounais affirmer que toutes les régions font face à des difficultés économiques, financières et existentielles. Ceci est parfaitement vrai. Mais aucune des huit régions- en dehors du Nord-Ouest et du Sud-Ouest – n’a eu à opérer le choix de son rattachement volontaire soit au Cameroun, soit au Nigéria.

Il est important de se souvenir que la Résolution 1352 (XIV) de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 16 Octobre 1959 sur le plébiscite spécifiait clairement deux options possibles pour les populations concernées qui vivaient alors sous administration Britannique rattachée au Nigéria : rejoindre le Nigéria ou se rallier au Cameroun francophone.
Dans nos analyses, il faut donc savoir raison garder.
Reconnaître qu’il existe bel et bien un « problème anglophone » est tout à fait différent d’affirmer que ceux qui se plaignent ont raison sur toute ligne ou (encore moins), le droit de violer les dispositions contraires à la loi.

Il est évident que les anglophones peuvent occuper tous les postes de la république.

Quand nos compatriotes anglophones exigent le respect intégral de tous leurs droits de citoyens camerounais, tous les camerounais se doivent d’œuvrer au quotidien pour que cela soit une réalité. Nous nous devons donc tous de changer notre comportement quotidien pour le rendre conforme à l’esprit et à la lettre de notre loi fondamentale.

Cependant-et ceci est très important- quand certains dans ce groupe, très minoritaire, il est vrai, prônent la sécession, la profanation des symboles de l’Etat, « le retour des francophones chez eux », tout ceci dans un climat de violence, les camerounais des deux aires culturelles doivent clairement leur dire NON.

Voici pourquoi. Aucun groupe qui a prôné la sécession en Afrique n’a connu la prospérité dans cette aventure très douteuse. La tentative du Biafra de se séparer de la République pourtant déjà fédérale du Nigéria, s’est soldée par un nombre de morts évalué entre 500 000 et 2 000 000, pour la période 1967-1970. Pour ce qui est du Rwanda, où deux groupes de citoyens voulaient en découdre malgré leur appartenance même ethnique du point de vue anthropologique (même culture, langue, même religion et même histoire). Leur confrontation meurtrière se solda au moins 800 000 morts enregistrés en trois mois seulement (Avril-Juin 1994).

Quant au Sud Soudan, dernière-née des Républiques africaines issu du sécessionnisme le 9 juin 2011, les combats fratricides menés à l’intérieur et à l’extérieur de la plus jeune République du continent ont déjà causés plus de 150 000 morts à ce jour. (Source : Nations Unies, Mars 2016). Le Sud Soudan n’est assurément pas un exemple de pays en paix ou en situation de prosperity.

Il ressort de ce qui précède que, quelque soit le bien fondé des revendications de certains anglophones, « la solution » de violence, de guerre et de chaos ne peut être que catastrophique pour un Cameroun dont la marque de fabrique en Afrique et dans le monde, est sa matérialisation du concept « Uni dans sa diversité ». Rappelons-nous que la Résolution 1352 de l’ONU du 16 octobre 1959 mentionnée plus haut avait explicitement exclu toute option de création d’un Etat issu des régions anglophones du Cameroun. La lettre confidentielle interne datée du 10 juin 1960, envoyée par les autorités britanniques du territoire à leur hiérarchie aux Nations Unies à New York, prouve la véracité de cette position (Source : Victor E. Mukete, MY ODYSSEY. THE STORY OF CAMEROON REUNIFICATION 2013, p. 419).

3. Quelles propositions concrètes pour conclure ?

• Que force reste à la loi. Aucun citoyen n’étant au dessus des règlements de la République, tous ceux qui se sont rendus coupables de délits devraient répondre de leurs actes devant les juridictions appropriées, civiles pour les civils, militaires pour les personnels en tenue. Il y va de l’autorité de l’Etat et de la sécurité de tous dans un Etat de droit.

• Procéder à une revalorisation du Monument de la Réunification qui se trouve à Yaoundé. Combien de Yaoundéens ou de Camerounais qui passent devant ce site connaissent sa signification profonde ? Le moment semble venu de lui donner toute sa signification historique du point de vue pédagogique.

• Envisager la création d’un Office de Médiateur de la République dont l’une des tâches principales consisterait à traiter des dossiers à lui soumis par des membres ou des organismes de la société civile, sous certaines conditions clairement spécifiées.

• Réorganiser les curricula des enseignements secondaires et universitaires pour introduire enfin les éléments de connaissance pertinents concernant les dix régions du Cameroun au plan socio-culturel.

• Introduire l’enseignement de l’anglais pour les francophones et du français pour les anglophones dès l’âge de 05 ans pour avoir des jeunes camerounais libérés de leur prison linguistique et 
ouverts aux horizons vivifiants de toutes les cultures de leur terroir commun : le Cameroun.

• Procéder à l’accélération d’un véritable processus de décentralisation ayant pour but ultime de rapprocher l’administration des administrés et de créer une gouvernance de proximité.

• Mettre un soin particulier à identifier et à revigorer les institutions civiles ou religieuses présentes dans les deux parties concernées de notre territoire, pour créer des liens durables. Par exemple la Presbyterian Church in Cameroon (PCC) et l’Eglise Presbytérienne du Cameroun (EPC) et autre institutions religieuses situées sur les deux parties du pays. Les Royaumes Tikar, Bamoun Mbam et Banso du Nord-ouest qui ont été fondés au 14è siècle par une seule et même famille (deux frères et une sœur) constituant de ce fait un exemple partant des liens culturels profonds entre les deux parties du Cameroun qui nous concernent.

• Parvenir à un changement total de nos comportements vis-à-vis des uns et des autres (francophones et anglophones). Tout faire pour mieux nous connaître, nous apprécier au quotidien, et tourner le dos aux préjugés néfastes et dangereux pour -la stabilité de notre Nation.

• Nous rappeler enfin que les langues officielles que nous parlons et défendons avec tant de passions aujourd’hui ne sont nullement la résultante d’un choix volontaire de nos ancêtres camerounais. A la vérité, avant le 14 novembre 1884, PERSONNE au Cameroun ne parlait ni le français ni l’anglais.

C’est un fait irréfutable.

EVITONS DONC DE TOMBER DANS LE PIEGE DANS LEQUEL S’EST FOURVOYEE LA LIBYE, C’EST-A-DIRE LE CHAOS.

Par
Pr Jean-Emmanuel Pondi
Professeur de Sciences Politiques et des Relations Internationales 
Ph.d., Penn State University 
M. Phil., Cambridge University;
M. Sc., London School of Economics.

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