Analyse postélectorale des premières législatives de la troisième république de Côte d’Ivoire
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Les élections législatives du 18 décembre 2016 ont donné leur verdict solennel en Côte d’Ivoire. La première législature de la troisième république nous montre désormais ses véritables contours. Le président de la Commission Electorale Ivoirienne, l’Ambassadeur Youssou Bakayoko a livré les chiffres officiels de la consultation: 167 députés pour le RHDP, 75 députés indépendants, 6 députés pour l’UDPCI, 3 pour l’UPCI, 3 pour le FPI, 1 pour LIDER. La victoire du RHDP, alliance essentiellement composée du RDR et du PDCI-RDA, est nette et suffisante pour assurer au Président Alassane Ouattara les coudées franches pour gouverner son pays jusqu’en 2020. Car même si l’on imaginait une alliance de l’ensemble des indépendants et des partis de l’opposition parlementaire ou des partis en froid avec les ténors du RHDP, leur somme donnerait dans le meilleur des cas 85 députés, soit toujours largement moins que les 167 députés du RHDP. Pourtant, notre analyse postélectorale des législatives ivoiriennes 2016 devrait, à côté de la victoire évidente du RHDP, qui est aussi la sanction positive de son bilan par le peuple de Côte d’Ivoire, reconnaître que ces résultats posent d’autres questions irrésolues. Nous en dénombrons cinq: 1) Que dire du taux de participation, que nous considérions comme l’un des enjeux de ce scrutin ouvert à tous les partis politiques de Côte d’Ivoire?  2) Que penser de la cohésion du RHDP, notamment en ce qui concerne ses arbitrages de candidatures internes et les désillusions symboliques récoltées, au regard justement de la percée de nombreux indépendants contestant lesdits arbitrages? 3) Que deviendra le groupe important des députés indépendants de cette législature? 4) Que penser du résultat pathétique du FPI, pressenti jusqu’alors comme la première formation de l’opposition politique ivoirienne?   5) Quel type de législature se dessine dès lors pour les quatre prochaines années en Côte d’Ivoire? Je voudrais consacrer les lignes suivantes à creuser ces interrogations.

I-La déception du taux de participation

Le taux de participation aux législatives 2016 est de 34%, largement en deçà du taux de participation au référendum constitutionnel du 30 octobre 2016, qui était de 42, 42%. La réalité est là, bien têtue: 66 % de l’électorat ivoirien s’est désintéressé des législatives, qui sont pourtant des élections de proximité, contrairement à l’abstraction constitutive de la question référendaire. Or, en politique, le principe qui veut que les absents aient toujours tort n’est pas toujours vrai. Parfois, l’abstention alerte sur le degré d’inclusivité et de crédibilité d’un système politique. Nous desservirions ici la Côte d’Ivoire en n’y voyant pas posée, toujours sérieusement, la question de la réconciliation nationale. Comment expliquer autrement cette baisse constante de mobilisation des Ivoiriens en âge de voter pour leurs élections de proximité? La déception est d’autant plus nette que l’élection était, pour une fois, ouverte à l’ensemble des partis politiques ivoiriens. On se serait donc attendu, en raison de cette large inclusivité de principe, à un taux de participation supérieur à celui du référendum du 30 octobre 2016. Or, que nenni. Les urnes ont été ostentatoirement boudées dans de nombreuses circonscriptions, alors que le RHDP, le FPI, l’UDPCI, l’UPCI, le LIDER, étaient tous de la concurrence. Pourquoi donc? Nous envisageons une triple explication. 

La première raison est à chercher dans les préoccupations sociales et économiques des populations, qui au fil des ans, se sont imposées comme la première demande de sens adressée à la classe politique. Bien que les paramètres macroéconomiques et institutionnels de la Côte d’Ivoire soient bons, voire même très bons grâce au travail de reconstruction mené par le Président Alassane Ouattara, force est de constater que les Ivoiriens, de tous bords politiques, peinent encore face au coût de la vie, au chômage massif des jeunes, à l’insuffisance des moyens éducatifs notamment dans les universités, à la très grande difficulté d’accès au crédit bancaire pour la classe moyenne et la classe populaire ivoiriennes. Les Ivoiriens boudent les urnes parce qu’ils estiment que la politique a certes apaisé la cité, mais elle n’a pas changé considérablement leur quotidien besogneux. 

La seconde raison de la baisse continue du taux de participation aux élections en Côte d’Ivoire est à chercher dans l’impression de verrouillage de la classe politique par certaines élites autoritaires. Trop de candidatures ont été imposées aux bases des partis politiques, au mépris de leur volonté de changement. Et l’on est allé jusqu’à écarter des candidats populaires, au prix d’une rupture de confiance avec les bases. De nombreux Ivoiriens,  dans les circonscriptions frustrées, constatant que les candidats dans lesquels ils se reconnaissent ont été blacklistés par leurs partis politiques respectifs, ont dû se résoudre à vaquer tranquillement à leurs occupations quotidiennes le 18 décembre 2016. La faible participation serait donc une réplique au mépris de certains choix populaires par la classe politique. 

La troisième raison de la faiblesse de ce taux de participation est sans doute à chercher dans l’efficacité négative du Front du Boycott incarné notamment par la tendance radicale du FPI, dirigée de main de maître obscur par Aboudrahmane Sangaré. Comment nier, au regard du résultat incroyable du FPI d’Affi Nguessan, que le mot d’ordre de boycottt des Gbagbo ou Rien ait largement pesé sur le taux d’abstention à l’élection législative du 18 décembre 2016? L’ignorer serait minimiser à tort le projet insurrectionnel dont cette aile dite radicale du FPI est résolument porteuse.

II-La gestion du RHDP: urgence de réajustements salvateurs

Les résultats des législatives 2016 donnent largement le RHDP vainqueur. Pour le président Ouattara et son aîné Henri Konan Bédié, l’affaire a été rondement menée. L’alliance, affranchie des exigences de ses micropartis alliés de l’UDPCI et de l’UPCI, peut avoir roue libre pour constituer le gouvernement à sa guise et réaliser son programme politique annoncé lors de la présidentielle. Cependant, l’échec de nombreux candidats RDR et PDCI-RDA dans des bastions stratégiques pour l’alliance ne peut être minoré sans graves conséquences politiques. Prenons quelques exemples. De même que le PDCI-RDA doit méditer la défaite d’un Niamien Ngoran, choix exprès du président Bédié à Daoukro, de même il appartiendra au RDR de comprendre la défaite cinglante d’Affoussy Bamba à Cocody, face à une Yasmina Ouegnin, députée sortante que le PDCI-RDA avait refusé de reconduire. Comment ignorer la victoire monumentale de Mamadou Kanigui Soro à Sirasso, face au candidat que le RDR, son propre parti, avait désigné contre lui, au motif que la base voulait un changement de député? Ces duels électoraux perdus par l’un et l’autre parti, face à des candidats plus populaires que ceux choisis par le RHDP, doit imposer au RHDP un examen de conscience, fait d’humilité et de lucidité. Au lieu de camper des postures autoritaires et punitives contre les cadres qui se sont  finalement avérés en phase avec la population, ce serait tout à l’honneur des directions du RDR et du PDCI-RDA de revoir leurs copies et de refondre leurs directions pour ancrer résolument leur alliance dans le peuple. Sans ces réajustements salvateurs et inclusifs, n’est-il pas à prévoir que l’essentiel des Indépendants  issus du RHDP s’allie à l’opposition parlementaire pour mener bataille autrement plus rude contre le gouvernement dans le futur parlement?  Dans le cadre des mues qui s’imposent au RHDP pour la conservation du pouvoir en 2020, autant dire d’ores et déjà que la refonte démocratique de son directoire s’impose pour en faire une véritable machine d’espérance pour la prochaine présidentielle.

III-Le phénomène des indépendants: qui raflera la mise?

Avec 75 députés, les Indépendants entrent avec fracas au parlement ivoirien. Mais nuance. Qu’y a t-il vraiment de commun entre tous ces députés? Evidemment, le parti des indépendants n’existe pas. Un rapide examen de leurs obédiences idéologiques suffit à montrer qu’ils peuvent se reconnaître dans les idéaux de l’ensemble des formations politiques présentes au parlement dès 2017: il y a des indépendants proches du RHDP, des indépendants proches du FPI, de l’UDPCI, du LIDER ou de l’UPCI, tout comme des indépendants anti-RHDP, anti FPI, anti UDPCI, anti LIDER…Dès lors la question est: à qui va profiter ce phénomène? L’attitude des principales formations politiques convoitant les ralliements ou récusant les ralliements des indépendants déterminera bien sûr le devenir de et impressionnant bloc de députés, qui vaut pratiquement à lui seul déjà le PDCI-RDA ou le RDR pris séparément. Au point qu’en réalité, nous avons affaire à un parlement en 3 tiers politiques: RDR-PDCI-Indépendants. Ce qui implique que si les Indépendants se constituent en bloc compact- hypothèse de travail-, ils pourraient, en s’alliant au RDR ou au PDCI-RDA, éliminer du jeu politique par jour de crise, l’un des deux mastodontes du RHDP. Il existe  depuis 1994 avec le schisme du RDR, un trépied politique en Côte d’Ivoire. De notoriété, l’on sait qu’il ne faut pas jouer dans ce pays avec la règle de trois. On surveillera donc comme du lait sur le feu, le devenir du conglomérat de députés élus sans le soutien d’un des grands partis politiques ivoiriens.

IV- La débâcle législative du FPI: une défaite pour Affi et une victoire pour Sangaré?

Les législatives 2016 ont largement établi que Pascal Affi Nguessan ne contrôle qu’une infime partie des bases du Front Populaire Ivoirien. Certes, Affi Nguessan aura eu le mérite d’opérer le retour dans les institutions, sans lequel il se serait condamné à finir politiquement dans le décor. En portant la voie du FPI dans l’hémicycle pour les 4 prochaines années, Affi Nguessan se donne une tribune de choix pour incarner ce qui reste des valeurs de son parti. Cependant, une analyse dialectique de la situation du FPI nous révèle que le véritable maître des bases de ce parti demeure un certain Laurent Gbagbo, à travers son bras droit Aboudrahmane Sangare, qui demeure agrippé à la politique de la chaise vide et de la terre brûlée contre le régime du Président Alassane Ouattara. Avec les Marie-Odette Lorougnon et les Stéphane Kipré, l’aile dure du FPI persiste à croire à l’hypothèse d’un grand soir de fragilité du régime du RHDP. Un FPI réduit à avoir moins de députés que l’UDPCI au parlement n’est dès lors plus que l’ombre de lui-même.  Affi a perdu la bataille de la mobilisation des bases du FPI. Les artificiers du coup d’Etat ont donc repris du poil de la bête parmi les séides de Laurent Gbagbo. Quel schéma court les lèvres depuis lors dans les affidés de la presse bleue ? Profitant d’un moment de faiblesse espérée, le FPI radical activerait ses structures insurrectionnelles dormantes et éveillées pour frapper le régime Ouattara en pleine nuit, le couteau entre les dents. A moins qu’une partie non-négligeable des élus Indépendants ne prenne bientôt fait et cause pour le FPI radical, introduisant ainsi le duel des FPI au coeur du parlement ivoirien. Alors, se révèlerait peut-être une convergence stratégique entre l’aile modérée et l’aile radicale du FPI. cas de figure extrêmement improbable, mais tout de même plausible. 

V- La configuration du nouveau parlement: un espace de confrontation politique renforcée

Avec un parlement désormais représentatif de l’ensemble des forces politiques ivoiriennes, y compris, potentiellement, d’élus proches du camp Gbagbo, la joute dialectique entre les différentes conceptions de la république ivoirienne se déplace entièrement à l’Assemblée Nationale. Si comme on convient à la dire, c’est l’absence de débat qui tuerait la démocratie,   la démocratie ivoirienne est donc plutôt promise à une vie intense. Le RDR, le PDCI-RDA, le FPI, l’UDPCI, l’UPCI, le LIDER, désormais, pourront se retrouver face à face dans le quotidien des débats parlementaires. Le large consensus de l’ancienne majorité du RHDP, fera désormais place à une confrontation quotidienne entre les thèses contraires et contrariées. Bonne nouvelle pour la démocratie ivoirienne, dira-t-on. Mais aussi signe que l’institution parlementaire, une fois de plus, méritera d’être ténue par un élu du peuple qui connaît bien les nuances et les aspérités de chacune des grandes familles politiques qui se feront face sous son maillet solennel. Comment ne pas reconnaître ici que Guillaume Kigbafori Soro, l’actuel président sortant de l’Assemblée Nationale, fin connaisseur de la droite, de la gauche et du centre politique ivoiriens, aura ici, une fois de plus, l’une des missions les plus prestigieuses de sa carrière parlementaire, si la confiance de la majorité au pouvoir lui est renouvelée, comme nous l’espérons ardemment?  Il ne faudra surtout pas que la Côte d’Ivoire se paie le risque d’une erreur de casting au Parlement, si elle veut s’épargner le jeu périlleux de l’auto-goal ou de la roulette russe… A chacun d’apprécier sous cette exigence de lucidité, ce qui sera. 

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