Et si le “ Problème Anglophone” était une Opportunité pour le Kamerun
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Dans toutes les cosmogonies africaines, le désordre est un contributeur essential à l’établissement ou au rétablissement de l’équilibre quelque soit le domaine dans lequel cet équilibre est nécessaire.

Dans cette perspective, le désordre peut être utile au progrès car il permet de tester et de réfléchir sur la solidité et la pertinence des conventions et des vérités normatives. En effet, il permet de distinguer les vérités permanentes des croyances provisoires et transitoires. De ce point de vue, la colère  de nos compatriotes anglophones est un bien… si elle est bien comprise car elle soulève en fait de vrais problèmes de fond.

Avant de toucher à la question fondamentale de la construction de l’identité du Kamerun, soumettons quelques questions à l’examen critique des uns et des autres.

  1. En quoi l’idée d’un fédéralisme représente-t-elle un danger pour l’avenir du Kamerun? Cette première question est étroitement liée à la seconde.
  2. A qui profite l’hypercentralisation du pouvoir au Kamerun ?
  3.  La souveraineté d’un Etat est-elle un tout indivisible, ou est-elle fractionnable? En d’autres termes, pourquoi voit-on en la brûlure du drapeau dit du Kamerun (ce vert-rouge-jaune est une fabrication coloniale) une atteinte à la souveraineté nationale, et reste-on silencieux face à l’attaque vicieuse de la souveraineté économique à travers le Franc CFA ? N’y a t-il pas une contradiction majeure à combattre avec la dernière énergie la brûlure d’un drapeau (un moindre mal) et à défendre avec la même vigueur le symbole même de notre soumission, le franc CFA (le mal même).
  4. Pour qui travaille véritablement notre prétendue Elite politique?
  5. Si l’on n’est pas satisfait dans une relation, n’a-t-on pas le droit de se plaindre et de chercher des solutions convenables ?

Les problèmes que les anglophones soulèvent devraient inspirer tous les Kamerunais à s’interroger sur la signification réelle de leur citoyenneté, et aborder sérieusement les questions de fond. Une étude de ces questions leur permettra de s’approprier de façon définitive le destin de leur pays et d’envisager avec sérénité un avenir empreint de justice sociale et d’égale opportunité. Le système actuel n’offre ni l’un ni l’autre, et la croissance démographique promet un avenir catastrophique si l’on l’aborde dans le cadre actuel. Dans ces conditions, si nos frères de langue anglaise décident de ne pas nous suivre en enfer, pourquoi le leur reprocherait-on?

Vu sous cet angle, la liberté de penser des Anglophones est un atout pour le Kamerun qui pourrait se transformer en bénédiction si l’on aborde et traite sérieusement les problèmes de fond que ces revendications souvent maladroitement exprimées soulèvent. L’histoire du Kamerun est parsemée d’escroqueries politiques et historiques depuis le fameux traité Germano- Douala de 1884 jusqu’ à la radiation du terme “Unie” dans la dénomination du pays par le président actuel, en 1984.

La première escroquerie sous la forme du traité de protectorat signé le 12 Juillet 1884 s’est heurtée à la résistance farouche d’une coalition formée essentiellement des Bonapriso (les partisans du prince) et des Bonaberi (dénommée à cette époque Hickory-Town). Cette résistance a débouché sur une guerre à la fois germano-Kamerunaise et civile. Les allemands acculés ont dû importer des troupes de l’Afrique de l’Ouest, notamment de la Sierra Leone, du Togo, du Liberia, mais aussi d’Abomey (actuel Benin) dont le roi à cette époque n’était personne d’autre que Béhanzin. La supériorité de la force du coté allemand a fini par mater la révolte.

La 2e  escroquerie se joue en 1919 lorsque la défunte SDN entérine le traité de Versailles. Cette mise sous mandat du Kamerun a été fortement dénoncée par Marcus Garvey (le 1er président du monde noir, et le père du vrai panafricanisme pratique) dans un discours intitulé « The Handwriting Is on the Wall » (L’Ecriture est sur le Mur). Ce discours a été délivré le 31 Aout 1921 à Liberty Hall, New York City, lors de la 2e Convention Internationale du Monde Noir.

Les 3e  et 4e  escroqueries sont celles de 1960 et 1961. Pour que ces caricatures d’Independence aient lieu sous la forme qui convenait aux intérêts de la France et de la Grande-Bretagne, il a fallu auparavant écarter le parti de vrais nationalistes, traquer et éliminer ses leaders charismatiques, et installer au pouvoir des marionnettes. Le sort du Kamerun occidental (partie anglophone) a été discuté lors de la visite de De Gaulle à Londres en Avril 1960.

Puis vint la 5e  escroquerie, celle de 1972. Au mépris total des accords internes entre les pseudos élites francophones et Anglophones, Ahidjo, poussé par ses maîtres  Français fait table rase de tous ses engagements et impose l’état unitaire et pour cause… Le pétrole avait été découvert au large des côtes de Limbe (à l’époque appelé Victoria), et les Français ne voulaient surtout pas que les petites simagrées des indigènes viennent leur créer la moindre complication dans l’exploitation et la jouissance de ce bien qu’ils considéraient être le leur.

L’escroquerie de 1984 a ouvert la voie à notre entrée le reste des institutions de domination comme la francophonie, au Commonwealth.

Ce qu’il faut retenir est que rien de tout cela n’a été décidé par les Kamerunais. Toutes ces choses nous sont tombées dessus, mais n’ont néanmoins pu se réaliser qu’avec l’aide de quelques complices locaux ; ceci est très important à savoir. Nos adversaires avaient compris que s’ils réussissent à mettre en place un système qui permette à un seul individu ou à un petit groupe d’individus d’avoir suffisamment de pouvoir qui les rendent capable d’imposer à tout le pays les caprices et les exigences des forces étrangères, l’hégémonie occidentale sur le pays va perdurer. Et en cela la revendication des Anglophones fait sens si l’objectif est de rompre avec ce système. La poursuite de cet objectif de rupture nous impose quelques précisions.

Le fédéralisme ou la décentralisation que l’on souhaite ne peut pas être de type colonial. Ce fédéralisme initial n’a obéi qu’à la logique des intérêts des européens et  été établi dans l’ignorance totale de nos réalités locales. En l’état, il est porteur de gènes de division sans fin. En d’autres mots, l’on ne peut pas envisager un avenir radieux en le fondant sur le socle des accidents de l’histoire au détriment de l’histoire réelle des peuples comme composante essentielle de leurs cultures vraies.

La germanophonie, la francophonie, et l’anglophonie ne sont pas des héritages culturels, mais plutôt des (des)héritages culturels qui comme des mauvaises herbes sont venues étouffer l’épanouissement et le déploiement des fleurs de notre culture millénaire. Et l’on devrait s’en débarrasser comme langues nationales pour ce qui est de l’anglais et du français.

Alors la question logique c’est: pour les remplacer par quoi? Avant même d’aborder d’autre points, nous allons tout-de-suite régler cette question de langue nationale. Pour bien illustrer nos propos, il est bon de rappeler un précédent historique. Lorsqu’ après des déboires en Europe, il a été question de créer un état juif, la diaspora juive éparpillée dans le monde ne parlait pas la même langue, l’hébreu étant une langue presque morte; elle était encore écrite mais pas parlée. Mais lorsque leurs leaders visionnaires ont compris que l’unité du pays ne pouvait pas correctement se faire sans une langue commune, qu’ont-ils fait camer.be? Il ont propagé l’hébreu en s’appuyant sur les travaux de Eliezer Ben Yehouda. Aujourd’hui le hébreu et l’arabe standard sont les deux langues officielles d’Israël, pays peuplé de Juifs et d’Arabes. Allant dans même sens, le Canada qui est peuplé de descendants d’Anglo-Saxons et de Français a adopté comme langues officielles celles que parlaient ses ancêtres respectifs.

Alors quelle  langue le Kamerun doit-il ressusciter ou adopter? Nous entendons çà et là des gens parler du Swahili et de bien d’autres solutions, mais nous avons une idée différente qui se fonde sur 2 choses.

  • Le Kamerun a l’habitude de se présenter à juste titre comme l’Afrique en miniature, et a le privilège de se situer au coeur de l’Afrique.
  • Les africains aiment tous évoquer leur passé glorieux en tant que descendants des anciens égyptiens, théorie qui a été scientifiquement confirmée par Cheikh Anta Diop.

Et bien il est temps de faire quelque chose de cette histoire en adoptant l’égyptien ancien comme langue nationale du Kamerun. Cette idée sera évidemment violemment attaquée et ridiculisée par l’occident et ses sbires quand l’on connait les enjeux de la richesse des textes de pyramides et de la littérature hieroglifique. Le gros du danger réside dans le rôle que peut jouer la connaissance de ces textes dans le processus recollection et de réappropriation de notre mémoire historique.

Avec les questions de langue, il faudrait aussi définir un système éducatif Kamerunais pertinent, qui ne soit plus une greffe improductive des systèmes français et britannique. Dans le même processus il faudrait définitivement se débarrasser dans tous les aspects de notre vie nationale de tous les vestiges de la caricature et de la singerie franco-britannique.

Il est clair que tous ces changements ne peuvent se faire que dans le cadre d’un débat national franc, ou à défaut faire partie d’un projet de société mis en avant par des partis politiques nationalistes. Les enjeux de la prochaine élection présidentielle prennent dès lors toutes leurs importances. Cette élection devra trancher définitivement le problème Anglophone qui n’est qu’une métaphore du problème de la souveraineté totale du Kamerun. L’Elite politique devra se montrer à la hauteur de ce défi en offrant des solutions de long terme à ce qui est en réalité un mal-être de tous les Kamerunais, à travers un nouveau contrat social.

Comme mot de fin, nous disons que nous condamnons avec la dernière énergie les actes de violence qui ont eu lieu à Bamenda et à Buea. Nous renouvelons notre soutien à tous les groupes qui réclament l’amélioration de leurs conditions de travail. Nous prêtons une oreille attentive et intéressée aux arguments de ceux qui réclament un retour au fédéralisme. Tout cela étant dit, nous considérons néanmoins que toutes ces revendications telles que formulées à l’heure actuelle sont de type élitiste, et qu’elles ne mettent pas suffisamment au centre des enjeux, l’amélioration des conditions de vie du citoyen lambda, Anglophone ou francophone.

Le problème Anglophone qui est un problème kamerunais ne trouvera une solution satisfaisante que le jour ou tout Kamerunais, indépendamment de son origine pourra jouir des opportunités et de la protection sociale que devrait garantir toute nation digne de ce nom.  Une fois ces bases établies, ce Kamerunais n’aura pour seules limites que le ciel et l’étendue de son talent. Le Kamerun qui en résultera ne sera ni Anglophone ni Francophone, et se fera avec tous le Kamerunais ou ne se fera pas, comme disait quelqu’un.

PS : Nous recommandons vivement aux lecteurs l’interview du journaliste Jean-Marc Soboth intitulée « Voici Ce Que Veulent les Anglophones Du Cameroun »

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