Cameroun: BAMENDA OU L’ÉCHEC DE LA DÉCENTRALISATION RÉGIONALE
CAMEROUN :: POINT DE VUE

Cameroun: Bamenda Ou L’échec De La Décentralisation Régionale :: Cameroon

Les camerounais assistent, médusés, à une radicalisation des positions dans le dialogue de sourds entre le gouvernement et un certain nombre de leaders et d’organisations de la société civile dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Les revendications des enseignants, des avocats et autres étudiants, visiblement prises au sérieux par le pouvoir, ont finalement laissé la place à des prétentions plus générales sur l’épanouissement de l’importante diversité du pays au sein de l’ensemble national.

LE PROBLÈME : LE CONSENSUS INAPPLIQUÉ DE 1993

Les crispations actuelles notamment traduites par des souhaits d’un retour au fédéralisme ou des velléités de sécession semblent assez similaires à celles qui s’étaient déjà exprimées au début des années 1990, portées par le vent de la libéralisation démocratique. L’unité nationale était déjà rudement mise à épreuve, tiraillée entre les tenants dudit retour à la forme fédérale de l’Etat et le pouvoir en place favorable au maintien de la forme unitaire de l’Etat. La déclaration de Yaoundé à l’issue de la Tripartite de 1993 retenait finalement, entre autres résolutions, l’option pour une décentralisation régionale. Celle-ci permettrait de canaliser au niveau local l’expression des spécificités régionales et donnerait aux citoyens à travers des dirigeants élus, la possibilité de se déterminer une trajectoire particulière de développement tout en restant au sein de l’Etat unitaire du Cameroun. La loi constitutionnelle de 1996 confirmera ce choix de la décentralisation régionale.

En 2016, soit 23 ans après le consensus politique qui avait fortement contribué à ravaler les revendications les plus extrémistes, le constat est factuel : la décentralisation régionale n’est toujours pas mise en œuvre ! Et la première étincelle a finalement fait ressurgir les plus féroces fantasmes néfastes à l’unité nationale. Le pouvoir en place, le même qu’à l’époque, doit désormais faire face à d’identiques expressions de la volonté d’un vivre ensemble qui n’occulte pas les spécificités et les légitimes aspirations à une prise en main locale du développement, devant l’échec d’une centralisation peu efficace.

Le changement cosmétique de dénomination des provinces désormais « régions » administratives en 2008 n’a évidemment rien à voir avec le processus de décentralisation régionale toujours attendu. La promulgation en 2004 des lois de décentralisation, dont l’une est particulièrement relative aux régions, semblait pourtant annoncer une évolution attendue. Aucun décret de transfert de compétences n’a jusque là été signé. Les atermoiements du gouvernement ont paradoxalement pour explication, entre autres, la volonté de ne pas mettre à mal l’unité nationale… Le serpent qui se mord la queue !

UNE SOLUTION : LA MISE EN PLACE IMMÉDIATE DES RÉGIONS ET L’ORGANISATION DES ÉLECTIONS RÉGIONALES

Dans le cadre constitutionnel actuel camerounais, le retour au fédéralisme n’est possible qu’à travers une révision constitutionnelle, soit par consultation référendaire du peuple tout

entier (pas seulement celui des régions anglophones), soit par la voie parlementaire. Les leaders politiques et de la société civile sont conscients du fait qu’une telle revendication est politiquement hors de portée. La sécession est encore moins envisageable : elle est formellement exclue par l’article 64 de la Constitution, mettant en péril à la fois l’unité et l’intégrité territoriale de l’Etat camerounais.

La décentralisation régionale reste donc actuellement la seule technique de gestion des affaires publiques qui permettrait de prendre en compte, au sein de l’ensemble national, les aspirations particulières des populations des régions déjà esquissées par la Constitution.

Dans le cadre législatif actuel, un certain nombre de responsabilités et de compétences sont en effet laissées aux organes de la collectivité régionale décentralisée, notamment sur le plan du développement économique et social. Le gouverneur doit retrouver la place que l’armature institutionnelle lui réserve, en face d’un conseil régional et d’un président de région désignés par le suffrage universel et investis d’une mission particulière.

La mise en place des régions et l’organisation d’élections régionales constitueraient l’amorce d’une solution sérieuse aux revendications actuellement exprimées dans la zone anglophone. Loin d’affaiblir l’Etat et l’unité nationale, c’est au contraire l’expression des spécificités régionales qui serait encadrée.

Une question surgit évidemment : comment faire confiance à un pouvoir qui s’était déjà engagé à mettre en œuvre, sur ce point aussi, le consensus de 1993 ? Certainement par une démarche qui privilégie les actes et en l’occurrence le déploiement effectif du pouvoir réglementaire de l’autorité garante du respect de la Constitution : le Président de la République !

* Hilaire Kouomegne Noubissi est Docteur en droit, Avocat au Barreau de Paris, Directeur de l’Institut international des collectivités locales (INCOLL)

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