Claude Abé : “ Ces policiers sont des artisans du désordre ”
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Sociologue, il fait une analyse de l'usage de la violence physique « légitime » au Cameroun.

Depuis 2008, nous observons une répression particulièrement violente de la police camerounaise lors des manifestations. Pourquoi selon vous ?
Deux ou trois clés de compréhension peuvent être mobilisées ici pour rendre compte de cette facilité du recours à la violence par les forces de l’ordre. La première est liée à la nature de l’ordre politique qui a cours au Cameroun, un ordre politique qui place l’observateur en présence d’un décor libéral qui n’a que très peu à voir avec la réalité fonctionnelle qui elle reste structurée par des réflexes autoritaires.

L’histoire politique de la liquidation de la forme de domination  expérimentée au Cameroun a donc quelque chose à voir avec ce recours permanent à la violence. Deuxième clé de lecture, la formation de ces forces de l’ordre qui ne semble ne pas pencher au respect des droits de l’homme et des libertés publiques à l’occasion des manifestations collectives tant leur quotidien les montre en permanence dans une surexploitation de la violence. Pour ceux des policiers qui ont tendance à vouloir respecter ces droits, cet écart observé est en partie justifié par le fait que l’autorité ferme constamment les yeux sur les dérapages qui sont plutôt jugés normaux. Ils sont jugés tel quel en raison de la criminalisation politique de toute forme de protestation collective au Cameroun.

Troisième clé de lecture enfin, c’est la loi de l’omerta qui est observée par les victimes de cette violence. Beaucoup d’entre elles n’osent pas recourir à l’autorité judiciaire bien que celle-ci ait fait de nombreuses avancées en matière de répression de ces comportements d’un autre âge au Cameroun.

Pensez-vous qu'il s'agisse d'initiatives isolées et personnelles du policier en tant qu'unité singulière ou alors les ordres et voies d'actions viendraient de plus haut ?
La récurrence de ces violences est si permanente que l’on ne peut penser qu’il s’agit de brebis galeuses. C’est plutôt une marque de fabrique de la gestion des protestations collectives au Cameroun. On n’a comme l’impression que c’est l’ardeur à violenter les manifestants qui constitue le critère d’efficacité et de professionnalisme de la plupart des éléments de notre police nationale. Ils violentent les citoyens au vu et au su de tout le monde y compris de leur hiérarchie. L’on peut donc supposer que s’ils persévèrent dans cette logique, c’est en toute complicité de cette dernière.

Outre la moralité qui condamne ces violences, dans quelle position se place un gardien de la paix qui fait usage d'une telle répression dans ces circonstances?
Vous êtes gentils lorsque vous parlez de gardiens de la paix. Beaucoup de ces policiers sont des artisans du désordre et vont jusqu’à la provocation des manifestants pour qu’il y ait une possibilité de faire usage de leurs muscles. La première conséquence évidente c’est leur mise au service du retour à l’état de nature pendant que la seconde est leur vulnérabilité aux poursuites judiciaires si la situation venait à mal tournée. Dans ce cas, même la hiérarchie lève les mains et dégage ses responsabilités pour laisser le piège de la sanction retomber sur le mis en cause qui non seulement peut perdre son emploi mais en plus peut se retrouver poursuivi par l’appareil judiciaire pour abus d’autorité.

Cet excès de zèle ne risque-t- il pas d'avoir un impact sur la manière dont le policier envisage son travail et sa fonction?
Assurément. Au lieu d’être au service du Léviathan pour protéger les droits des citoyens, les libertés publiques et l’Etat de droit, l’on assiste à une privatisation de l’usage du monopole de la violence détenu par l’Etat. La conséquence évidente derrière c’est l’érosion de la confiance de la population aux forces de l’ordre en général. Or, aucune police au monde ne peut véritablement jouer son rôle en s’aliénant le soutien et la confiance des citoyens qu’elle doit protéger.

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