Christian Edmond Pout : Le manque d’universalité de la Cour représente sa principale faiblesse
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Ce spécialiste des relations internationales parle notamment du rapport de la CPI aux Etats africains.

Comment peut-on analyser la décision de certains pays africains de se retirer du Traité de Rome instituant la Cour pénale internationale(CPI) ?
La décision récente de certains pays ns -à savoir- le Burundi l’Afrique du sud et la Gambie, de se retirer de la Cour pénale internationale (CPI), créée par le traité de Rome signé en juillet 1998 et entrée en activité le 1er juillet 2002, est un véritable coup porté à la justice pénale internationale. La raison qui revient en soutien de ces décisions de retrait reste la dénonciation d’une justice de « Blancs » qui ne viserait que des africains.

Le président El Béchir (Soudan) a appelé l'ensemble des pays du continent à quitter la CPI. En tant qu'expert de la diplomatie africaine, pensez-vous que cet appel a des chances de séduire les leaders africains aujourd'hui ? (Si oui dans quelles proportions ?)
Sur les 54 états que compte le continent, 34 sont parties au statut de Rome, soit le contingent le plus important de l’assemblée des états parties. Ceci pourrait expliquer également que le continent soit plus exposé aux poursuites. L’invitation du président el Béchir à l’endroit des autres pays du continent à se retirer de la CPI intervient tout de même à un moment où cette institution qui s’est pourtant imposée, à sa création, comme une valeur sure de la justice pénale internationale, fait face à des défis structurels, juridiques et politiques persistants qui limitent son efficacité. Malgré ces faiblesses, la CPI reste une institution essentielle dans la poursuite des crimes les plus graves (génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, et probablement aussi à l’avenir le crime d’agression). En outre, le rôle préventif exercé par la CPI laisse à penser que, sans être parfaite, cette juridiction pénale internationale reste malgré tout, même pour les états africains un instrument indispensable. Il faut préciser que c’est le Kenya qui a lancé en janvier 2016, lors du 28ème sommet de l’Union africaine (UA), l’initiative visant à un retrait commun des pays africains de la CPI. Pour l’heure, aucune décision légalement contraignante n'a été prise et il revient toujours à chaque pays de décider individuellement de quitter ou non la CPI.

Certains analystes ont soutenu que le retrait annoncé de l'Afrique du Sud de la CPI, porte un coup au foie à la justice internationale. Etes-vous de cet avis ?
Certainement la décision de retrait de Pretoria est un véritable choc pour la Cour. Cette décision semble être l’aboutissement logique d’une défiance certaine des autorités d’Afrique du sud affichée ces derniers temps envers la CPI. On se souvient en effet qu’en juin 2015, alors que l’Afrique du sud accueillait le sommet de l’Union africaine, Pretoria avait accueilli le président soudanais Omar al-Bachir sans exécuter les mandats d’arrêt émis par la CPI en 2009 et 2010 pour génocide et crimes contre l’humanité au Darfour. Cette attitude qui avait suscité les critiques virulentes de l’opposition et de la société civile locales contrastait avec le soutien considérable que le pays avait apporté à cette juridiction quelques années plus tôt. Mais il me semble, toutes proportions gardées, que la décision de retrait de la Gambie, pays dont est originaire Mme Fatou Bensouda, procureure de la CPI, est autrement plus significative.

Les mêmes analystes affirment que derrière cette volonté de retrait du Traité de Rome, affichée par des pays africains, se cache en réalité un souci de quelques  leaders du continent de se soustraire à toute forme de justice. C'est une posture crédible ?
Pour certaines ONG et autres organisations de défense des droits de l’homme, le retrait de la CPI est un aveu de culpabilité de la part des régimes concernés. En effet, une fois qu’un pays a officiellement sollicité sa sortie de la juridiction internationale, celle-ci ne disposera plus que d’une année pour pouvoir enquêter de sa propre initiative dans ledit pays. Le statut de Rome stipule en effet qu’un « retrait prend effet un an après la date à laquelle la notification a été reçue », mais « n'affecte en rien la poursuite de l'examen des affaires que la Cour avait déjà commencé à examiner avant la date à laquelle il a pris effet ». Quoiqu’il en soit, même si un pays n’est plus membre de la CPI, le Conseil de sécurité de l'Onu peut toujours autoriser la Cour à se pencher sur telle ou telle situation, comme ce fut le cas pour le Darfour en 2005 et la Libye en 2011. Mais la probabilité d’initier une telle action au Conseil de sécurité est limitée compte tenu des blocages, notamment entre la Russie et les États-Unis, sur la question du droit d’ingérence.

Les mêmes analystes affirment que derrière cette volonté de retrait du Traité de Rome, affichée par des pays africains, se cache en réalité un souci de quelques leaders du continent de se soustraire à toute forme de justice. C'est une posture crédible ?
Pour certaines ONG et autres organisations de défense des droits de l’homme, le retrait de la CPI est un aveu de culpabilité de la part des régimes concernés. En effet, une fois qu’un pays a officiellement sollicité sa sortie de la juridiction internationale, celle-ci ne disposera plus que d’une année pour pouvoir enquêter de sa propre initiative dans ledit pays CAMER.BE. Le statut de Rome stipule en effet qu’un « retrait prend effet un an après la date à laquelle la notification a été reçue », mais « n'affecte en rien la poursuite de l'examen des affaires que la Cour avait déjà commencé à examiner avant la date à laquelle il a pris effet ». Quoiqu’il en soit, même si un pays n’est plus membre de la CPI, le Conseil de sécurité de l'Onu peut toujours autoriser la Cour à se pencher sur telle ou telle situation, comme ce fut le cas pour le Darfour en 2005 et la Libye en 2011. Mais la probabilité d’initier une telle action au Conseil de sécurité est limitée compte tenu des blocages, notamment entre la Russie et les États-Unis, sur la question du droit d’ingérence.

Comment envisagez-vous l'avenir de la justice internationale au vu des circonstances actuelles ?
Dans un contexte où la justice internationale subit de plus en plus de vives critiques, en raison de son coût, de ses maigres résultats ou encore de son « afrocentrisme », la question de l’avenir de cette justice est intéressante. Toutes les critiques ne sont pas forcément justifiées. Il faut les mettre en perspective. La nature des crimes dont elle doit connaître sont d’autant plus particuliers qu’ils sont généralement liés à des atrocités et à la longue histoire d’un conflit. Cela rend les investigations et les poursuites plus complexes que lorsqu’il s’agit d’une procédure classique nationale. En outre, les effets de la justice ne peuvent pas être mesurés uniquement par ce qui se passe dans les salles d’audience. Il faut également prendre en considération ses impacts internationaux et nationaux. Il est temps de procéder à une analyse plus nuancé des forces et des faiblesses de la justice internationale actuelle.  

Que doit faire la CPI pour recouvrer une forme de crédibilité et ne plus apparaître aux Africains comme un instrument du néocolonialisme ?
Au sujet de la CPI, les états africains invoquent généralement la critique postcoloniale d’une justice de « Blancs » ne visant que des africains. En effet, neuf des dix situations actuellement sous enquête ont effectivement eu lieu en Afrique : République démocratique du Congo (RDC), en Ouganda, en Centrafrique (Rca) deux fois, au soudan, au Kenya, en Libye, en Côte d’Ivoire et au mali CAMER.BE. Pour améliorer les relations entre l’Afrique et la CPI, il faut que cette juridiction se penche aussi sur des situations non africaines comme c’est le cas pour l’enquête sur la situation en Géorgie, ou encore pour les enquêtes préliminaires en Afghanistan, en Colombie, en Palestine et en Ukraine, sur l’intervention militaire britannique en Irak, sur des navires immatriculés en Grèce et au Cambodge. Si les ambitions de cette juridiction sont élevées, ses compétences, possibilités et capacités effectives sont limitées et le resteront aussi dans un proche avenir. Il y a clairement un fossé entre prétention et réalité. Le manque d’universalité de la Cour représente sa principale faiblesse. Environ 60 états, dont des pays comme l’Inde, le Pakistan, la Turquie, l’Egypte, Israël, l’Indonésie, la Thaïlande, en plus des trois membres du Conseil de sécurité, les Etats-Unis, la Chine et la Russie, ne sont pas membres de la CPI. Cette affiliation incomplète mine non seulement la juridiction, mais aussi l’application du droit.

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