EMEUTES DE BAMENDA : Grandes interrogations autour de la « marginalisation » des anglophones
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CAMEROUN :: EMEUTES DE BAMENDA : Grandes interrogations autour de la « marginalisation » des anglophones :: CAMEROON

Du supplice à l’indignation, entre controverse et duperie ; suspicion et dénonciation, au prétexte d’en finir avec les frustrations diverses, le règne de l’arbitraire, la mauvaise répartition des postes juteux dans le gouvernement, les directions généraux, l’administration, l’enseignement ; à l’effet de rompre avec l’accumulation des injustices permanentes, les populations du Nord-Ouest ont exprimé leurs colères et leurs misères, en envahissant les rues.

A travers leurs cris stridents, si l’on peut lire : l’expression d’un ras le bol, le ressentiment d’une indignation, la détermination à créer une rupture avec la « docilité » d’antan, en grattant le verni, il s’observe, une main noire, manipulatrice de l’ombre, qui en appelle à la sécession et oeuvre à profiter de l’embrasement total pour fragiliser les institutions étatiques, installer le règne de la peur des institutions.  

I- Paul Biya et le front du Nord-Ouest

Au détour d’une ambiance lourde et chaude, où, baignent : scepticisme, nostalgie et mélancolie, la rage au coeur, les populations de Bamenda sont descendues en début de cette semaine, scandant une kyrielle de revendications, adossées sur des frustrations,; mais aussi sur ce que, sur le terrain, elles désignent comme une sorte d’escroquerie ou encore, le scandale d’une nouvelle colonisation des Camerounais francophones. Les mouvements de protestation qui ont embrasé les rues, n’avaient d’égal que ceux du 26 mai 1990 à Bamenda. Rappel de mémoire.

Convaincues que le « Biyayisme », devenu un mode de gouvernance par improvisation du régime du Renouveau de Paul Barthélemy Biya bi Mvondo, n’était plus capable de satisfaire le contrat social signé avec le peuple camerounais ; lasses d’affronter en permanence des routes mal construites (et qui sont pour la plupart des bourbiers), mécontentes contre l’arrogance de l’administration francophone, les abus divers et les promesses non tenues, les populations ne se retiennent  plus. La  rue gronde.

En début de semaine, on a assisté à un remake des événements de mai 1990. Les braises de la contestation se sont à nouveau rallumées. Ce qui était à la genèse, considéré dans la ville de Bamenda, comme les mouvements d’humeur, de colère, de débrayage et de soulèvement par solidarité à la grève des avocats anglophones, victimes des actes de répression à Buea, ville capitale d’une autre région anglophone, celle du Sudouest, a d’abord viré en un mouvement de contestation suscité par l’indifférence et la méprise des pouvoirs publics, observées dans le règlement des préoccupations régulièrement soulevées par les enseignants, des régions anglophones. Puis après, la situation a pris une autre tournure.

Comme poussé aux derniers retranchements, par des forces obscures qui, dans l’ombre, tirent les marrons du feu, les populations ont déversé leur bile et leur révolte dans des revendications sans frontières. On a vu les réclamations aller dans tous les sens : démocratie, liberté d’expression, droit à une vie décente, non à la francophonisation des Anglophones etc. Dans cette constellation, il y a certes des réclamations légitimes auxquelles le président de la République, Paul Biya et son régime du Renouveau, doivent répondre ; mais il y en a eu, celles comme l’appel à la sécession, la chasse aux « allogènes », aux populations non originaires des deux régions anglophones.

Une preuve que l’opération n’a pas été bien canalisée ; bien plus, elle est infiltrée par certains esprits nostalgiques, ceux-là qui ont toujours exprimé des velléités contestataires, appelant le retour du Cameroun au fédéralisme qu’il faut pourtant condamner, éradiquer. Aux yeux du gouvernement et de certains apparatchiks du régime, il s’agit du réveil des sécessionnistes, qu’il faut combattre avec beaucoup de rigueur et une grande fermeté. Mais au lieu de jeter le bébé avec l’eau du bain, n’est-il pas souhaitable, d’envisager la posture du dialogue et de la négociation ?

Même s’il n’existe pas un problème atypique des anglophones, il est du devoir d’un gouvernement de s’arrêter, pour écouter les pleurs et les gémissements d’une région. Les cris stridents des populations du Nord-Ouest, doivent être analysés, à l’effet de barrer la voie à toute forme de récupération. Il faut ramener les frustrations, les réclamations posées à Bamenda, à l’échelle nationale, à Yaoundé, siège des institutions. Il s’agit des préoccupations nationales qui appellent la mobilisation des institutions à l’échelle nationale. Sinon, au fur et à mesure où, ces problèmes vont prendre de l’ampleur, divers appétits, feront davantage saliver d’autres renégats.

II- Déséquilibre entre le Nord-Ouest et le Sud-Ouest

Au rang des griefs que les cadres et ressortissants des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-ouest portent sur le régime du Renouveau, on peut citer : des postes de responsabilité peu juteux, une vaine attente d’un ressortissant anglophone à la magistrature suprême, le manque d’infrastructures routières, sanitaires, scolaires et sociales ; le mauvais partage des retombées générées par l’exploitation des ressources provenant de la région ; le déséquilibre dans : l’admission des étudiants dans les universités de tradition anglo-saxonne ; la représentation des anglophones aux postes d’enseignants et de personnels d’appui ; le respect du principe d’équilibre régional ; la durée et les diplômes des enseignements techniques et généraux du sous-système anglophone de l’enseignement secondaire ; les mutations des anglophones dans les établissements scolaires francophones., le découpage électoral contestable…

A ces nombreuses frustrations,  s’ajoutent depuis quelques temps, des craintes et la méfiance des deux régions de se voir happées par la spirale de la boulimie francophone. Des voix s’élèvent sur le terrain pour se demander si le chef de l’Etat n’a pas définitivement décidé de maintenir la « marginalisation ». Entre espoirs et désillusions, colères et lassitudes, les populations piaffent d’impatience. Mais en grattant le verni d’une alliance, entre les populations des deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-ouest, force est de constater que si celle-ci, plutôt apparente, se justifie pour densifier la pression, au décompte, les populations du Nord-Ouest, pour avoir embrassé à bras le corps, l’opposition en 1990, s’estiment flouées, au grand avantage des populations du Sud-ouest, logées  à bon endroit.

Les régions anglophones, ne sont pas aussi délaissées comme on peut le penser. Après avoir longtemps occupé le poste de président de l’Assemblée nationale, ils sont installés à la primature : Achidi Ashu, Peter Mafany Musongue, Inoni Éphraïm, Philémon Yang. La sécurité du président de la République n’estelle pas entre les mains d’un ressortissant anglophone ? Ils sont nombreux à être ministres, directeurs généraux, responsables au plus haut niveau, au sein de l’administration centrale. Sur les huit universités d’Etat que compte le Cameroun, les deux régions anglophones qui ont également deux facultés de médecine, comptent deux institutions universitaires dans un pays qui a dix régions.

Au niveau du Barreau camerounais, les deux régions anglophones, ont enregistré le plus grand nombre de bâtonniers ; se payant le lux d’avoir deux fils du Pan, Salomon Tandeng Muna (Bernard et Akéré Muna). A cela, il faut ajouter : deux vice-chancelors dans les deux universités d’Etat du Nord-Ouest et du Sud-ouest et un recteur à l’université de Maroua camer.be; alors qu’il y a bien des régions qui ne sont pas aussi bien loties. Des trois écoles normales supérieures d’enseignement technique (Enset) que compte le Cameroun Camer.be, les régions anglophones en ont deux, contre une seule, installée dans l’espace francophone. A la faveur de l’organisation de la Can féminine de football, sur les dix régions, on a fait la part belle à une région anglophone et une région francophone. Mais l’on peut penser qu’un grand nombre de frustrations que cristallisent les mécontentements des populations de Bamenda, se trouvent à ce niveau. Les villes de Buea et Limbé dans le Nord-Ouest, connaissent un développement à outrance, à l’inverse des villes du Nord-Ouest.

III- Dialogue et négociation

Du fait de la désarticulation et de l’absence de la cohésion de l’administration camerounaise, le tronçon routier qui part de Mbouda dans les Bamboutos, qui sert de pénétrante de Bamenda à Manfé, est dans un piteux état. Pour une ville qui a accueilli le cinquantenaire de la réunification, il n’a pas été traversé par la moindre couche de bitume. A la différence des villes de Buea et Limbe, le niveau d’enclavement et la difficulté d’accès à Bamenda, sont au centre de certaines révoltes. Ce qui en rajoute au calvaire des populations. Sur le plan culturel, on enregistre de nombreuses frustrations.

Les  pouvoirs publics n’affichent pas une véritable politique de bilinguisme au Cameroun. Quand bien même, le système scolaire anglophone, attire de plus en plus des convoitises chez les francophones. Les pouvoirs publics, ont le devoir d’intégrer tous ces problèmes. Dans un contexte où le Cameroun est pris entre plusieurs feux : la masse importante des réfugiés à l’Est du Cameroun, c les dernières secousses de la guerre contre la secte Boko Haram dans les zones septentrionales, ignorer les mouvements de Bamenda, c’est s’exposer à une autre crise en interne. Ce qui s’est passé à Bamenda, est à prendre au sérieux. Ce ne sont pas des bandes de fous qui sont sorties en route.

Leçon de  choses : il faut s’appliquer à résoudre tous les problèmes. Quand dans un pays, les forces de l’opposition et les politiques sont en retrait, et qu’il y a une absence de confiance dans les pouvoirs publics, la société surfe sur certaines forces touchantes et sensibles à leurs préoccupations. Ce qui appelle l’ouverture d’un dialogue franc et sincère, une négociation avec hauteur et froideur ; des stratégies qui doivent s’émanciper des négociations souterraines, qui profitent aux individus.

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