Théorie générale des législatives ivoiriennes 2016 (I): Analyse des forces en présence
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La démocratie n’est décidément rien sans des hommes et des femmes qui se risquent pour elle, en jouant le plein jeu de la norme de concurrence tracée par la constitution. Les élections législatives ivoiriennes prévues pour le 18 décembre 2016 prochain n’échappent heureusement pas à cette règle. N’est-ce pas un bon augure ? Depuis 1990 au moins, les régimes politiques ivoiriens se sont heurtés à de sérieuses contestations de leur légitimité par de nombreuses forces politiques et civiles. Sous le régime Houphouët finissant, la revendication du multipartisme contre le règne alors trentenaire du PDCI-RDA fit de nombreux émules, avec le Front Populaire Ivoirien de Laurent Gbagbo en tête de proue, et en point d’acmé de la crise, les événements tragiques du 18 février 1992. Sous le régime Bédié craquelant dès 1993, émergea la résistance du Rassemblement des Républicains, puis du Front Républicain de 1995, et enfin le coup de grâce porté par le CNSP du Général Robert Guéi au règne du PDCI-RDA un 24 décembre 1999. Le régime éphémère du Général Guéi ne résista pas plus à cette loi de la division du corps politique ivoirien, puisque moins d’un an après son avènement, il s’écroulait sous les coups de boutoir des forces coalisées de l’opposition, la montée en puissance du FPI appuyé dans son schéma insurrectionnel par une partie importante de l’armée en octobre 2000. Quand vint le tour du régime de Laurent Gbagbo, sa naissance sur le Charnier de Yopougon en 2000, son refus d’organiser immédiatement une élection présidentielle inclusive, sa consolidation par les Escadrons de la Mort de 2000 à 2004 notamment, et sa tentative de confisquer le pouvoir après l’élection présidentielle perdue en novembre 2010, ouvrirent la voie à l’entrée en lice, non seulement du MPCI/ Forces Nouvelles de Guillaume Soro, mais aussi et davantage, de l’alliance plus large du RHDP, toutes forces qui mirent définitivement fin, avec l’appui du droit international, à l’aventure de la Refondation le 11 avril 2011. Il est donc de notoriété en Côte d’Ivoire, depuis l’avènement du multipartisme, qu’une partie importante du corps politique national se retrouve toujours exclue ou décide délibérément de s’exclure du jeu politique, en vue de préparer une revanche. Or, n’est-ce pas précisément ce qui fait tout l’intérêt des législatives ivoiriennes annoncées pour le 18 décembre prochain ? L’observateur de la longue séquence historique qui vient de 1990 ne peut que se demander : 1) Quels sont les acteurs du futur test électoral de la démocratie ivoirienne ? 2) Quels sont, par voie de conséquence, les enjeux de ces élections législatives ? La présente série de tribunes explore ces deux interrogations.

I- Les forces en présence de la législative ivoirienne 2016

Les chiffres de départ de la prochaine législative ivoirienne sont désormais connus. Sur près de 1600 candidatures réceptionnées par la Commission Electorale Indépendante, 1153 ont été officiellement retenues. Ces 1153 candidatures retenues se répartissent comme suit : Indépendants (676) ; RHDP (199) ; FPI (148) ; LIDER (13).  Il faut ajouter à ces chiffres, la précision que le PDCI-RDA présente 101 candidats, alors que le RDR, toujours dans le cadre de la coalition du RHDP, en présente 135. 

On peut donc d’emblée observer que le nombre total de candidats indépendants des partis politiques (676) est supérieur de 316 candidatures, au nombre total de candidatures des partis politiques (360). Il apparaît donc très clairement que le champ politique ivoirien est en mutation. Non seulement, le FPI revient clairement dans le jeu politique, avec un nombre de candidats supérieur à celui du PDCI-RDA et du RDR pris séparément, mais en plus, le nombre massif de candidatures indépendantes peut cacher des stratégies diverses des acteurs en présence, qui seront difficilement décelables avant les résultats de la consultation du 18 décembre 2016. 

Comment interpréter cet apparent déséquilibre entre les candidatures des partis politiques et celles de la société civile ivoirienne au sens large ? Nous procéderons d’abord au cas par cas, avant d’esquisser des conclusions générales sur cette question épineuse.

L’union critique du  RHDP : une majorité présidentielle en mutations 

L’acteur majeur de la prochaine législative du 18 décembre est bien sûr le RHDP, la coalition dirigée de main de maître par les présidents Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, dont les partis, le RDR et le PDCI-RDA, se sont naturellement taillés la part du lion dans la répartition des candidatures à la députation 2016-2020. Quoi de plus normal ? Depuis 2005, les deux principaux héritiers du président Félix Houphouët-Boigny ont appris à leurs troupes respectives, le langage de la négociation, du consensus et du dialogue permanents sur tous les enjeux liés à la stabilité et à la paix de tous les Ivoiriens. Les partis alliés du RHDP ont pour eux l’expérience de leurs victoires électorales précédentes, mais aussi le partage d’un bilan commun de gouvernement, depuis décembre 2010, qui aura ramené la Côte d’Ivoire dans le giron de la paix politique et du progrès économique avéré. La victoire électorale de 2010 contre la coalition LMP de Laurent Gbagbo, et la victoire réitérée du RHDP à l’élection présidentielle d’octobre 2015, sans oublier entre les deux, l’écrasant raz de marée des partis houphouétistes aux législatives de 2011, sont venus confirmer la capacité du RHDP de garder le pouvoir d’Etat en Côte d’Ivoire aujourd’hui et demain. On pourrait donc s’empresser de conclure que le RHDP obtiendra une victoire écrasante aux futures législatives…

Mais comment s’en tenir à ce tableau optimiste sans voir que les paramètres du RHDP ont connu des évolutions évidentes ces dernières années ? 

Il y a d’abord eu le départ du leader et d’une partie des forces du MFA. Anaky Kobenan est passé, avec certains de ses partisans notamment du pays Agni,  depuis pratiquement trois ans dans les rangs de l’opposition au RHDP. Il y a eu la faible mobilisation du RHDP au meeting pro-référendum du 22 octobre 2016 à Abidjan. On n’a pas fini de tirer les leçons de ce refus des bases abidjanaises du RHDP de venir participer à cette grand’messe houphouétiste, car le succès du meeting de Bouaké – œuvre magistrale de Guillaume Soro -  le 27 octobre, semble avoir résorbé cette image de fracture profonde entre les élites et les bases populaires du RHDP.  

Il y a ensuite eu les conflits internes au RDR et au PDCI-RDA, après les arbitrages des candidatures aux législatives. On a vu des anciens députés des deux partis protester contre les choix de leurs dirigeants, mais aussi des jeunes desdits partis contester publiquement les choix de leurs directions respectives. Le professeur Kacou Guikahué, secrétaire exécutif du PDCI-RDA, aura essuyé le 18 novembre 2016,  quelques-unes des pires sueurs froides de sa carrière politique face aux jeunes en colère, qui ont exprimé leur mécontentement dans l’enceinte même du siège historique du  PDCI-RDA à Cocody, lorsqu’ils ont appris que sur les 255 sièges de l’Assemblée Nationale Ivoirienne, le PDCI-RDA ne présenterait que 101 candidats, alors que le RDR en présenterait 135. De tout ceci, est née une ribambelle de candidats indépendants issus du RDR et du PDCI-RDA, qui pourraient faire mordre la poussière aux concurrents choisis par leur propre parti dans leurs circonscriptions respectives…

Mieux encore, a été relancé un débat identitaire, au sein de la coalition du RHDP, à propos de l’absence relative du PDCI-RDA dans les candidatures du nord et de la présence généralisée du RDR dans les candidatures du nord et du sud du pays. 

Il y a eu encore les récriminations et les contestations des militants de l’UDPCI du docteur Abdallah Albert Mabri Toikeusse, mais aussi celle de l’UPCI de Gnamien Konan, qui ont abouti à des candidatures indépendantes de nombreux cadres de leurs partis en concurrence directe avec les choix du RHDP à l’Ouest et dans le Centre du pays notamment. De fait, l’UDPCI et l’UPCI sont aux portes de sortie de la coalition du RHDP, à moins qu’à la manière du MFA, ils n’éclatent bientôt en deux ailes pro et anti-gouvernementales…Le dernier épisode de vulnérabilité du RHDP est incontestablement le débarquement du gouvernement des ministres Mabri Toikeusse et Gnamien Konan, hier 25 novembre 2016, par un communiqué solennel de la Présidence de la République, lu par son secrétaire général, le Ministre d’Etat Amadou Gon Coulibaly. 

Comment nier qu’il y a véritablement du sport dans l’air au RHDP ? Il s’ensuit objectivement que bien que toujours favori des législatives du 18 décembre 2016 à venir, le RHDP va vers ces élections avec moins de cohésion et de sérénité internes qu’aux élections législatives de décembre 2011. C’est le moins que l’on puisse dire. Ces élections trancheront du coup en partie deux problèmes : le désamour récurrent entre les bases populaires et les élites du RHDP et le rapport de forces politiques réelles entre les candidats indépendants et les candidats des partis politiques…

Le Front Populaire Ivoirien : une opposition très divisée, mais toujours roublarde

L’une des bonnes nouvelles de la législative 2016, c’est incontestablement la confirmation de la participation du FPI au scrutin. Elle apporte au système démocratique ivoirien une caution supplémentaire de crédibilité et de représentativité, que la non-participation du FPI aurait plus ou moins écorné. Le régime du président Alassane Ouattara ne peut que s’en réjouir, car il tient là, la preuve que l’image despotique que la propagande du Front Populaire Ivoirien tient par ailleurs à donner du régime RHDP dans l’opinion est une pure forfanterie. 

La participation annoncée du FPI révèle aussi l’ambition de la direction officielle de ce parti, en rentrant dans les institutions de la république, de mettre fin aux désastres de la politique de la chaise vide et de la terre brûlée que son aile radicale s’acharne à poursuivre contre vents et marées. C’est donc la rupture avec la ligne « Gbagbo ou rien » qui se joue aussi dans ces législatives 2016.Si l’ancien premier ministre Pascal Affi Nguessan réussit à constituer avec ses 148 candidats un groupe parlementaire FPI fort au Parlement, il va de soi qu’il sera en mesure de peser dans les quatre prochaines années politiques en Côte d’Ivoire. Non seulement, il pèserait davantage au sein du FPI où l’aile Sangaré continue de contester efficacement sa légitimité, mais il pèserait aussi davantage dans la reconfiguration possible des rapports de forces au sein du parlement ivoirien, qui détient, en vertu de la nouvelle constitution, de sérieux pouvoirs en termes d’initiatives de réformes et de contre-réformes institutionnelles. 

Mais, en observant attentivement dans le Kung-Fu politique du FPI dans la présente élection, il convient aussi de s’interroger sur sa stratégie…ou les stratégies de ses deux ailes apparemment contradictoires… Et si certains des candidats indépendants étaient en embuscade pour le FPI-Sangaré, qui officiellement jouerait les boycotteurs alors qu’officieusement, il prépare une surprise générale ? Et si des indépendants élus s’alliaient subitement au FPI-Affi pour constituer un groupe parlementaire plus consistant qu’on ne l’imagine à présent ?  Oublier que le FPI, toutes ailes confondues, demeure l’un des plus grands artisans de la ruse politique de l’histoire de Côte d’Ivoire, ce serait sans conteste s’exposer aux pires illusions. Et voilà pourquoi le phénomène des Indépendants doit être analysé avec attention et lucidité, loin des émotions dogmatiques qui ont tendance à prévaloir dans les logiques aveugles des apparatchiks repus. 

Les 676 candidats indépendants : une pléthore disparate de stratégies contradictoires

Les 676 candidats à l’élection législative 2016 ont uniquement en commun d’être des candidats indépendants. Mais quand on consulte les raisons de leurs engagements, ils se divisent au moins en quatre catégories : les indépendants protestants aux arbitrages du RDR ; les indépendants protestants aux arbitrages du PDCI-RDA ; les indépendants protestants aux arbitrages des deux ailes du FPI ; les indépendants protestants à la suprématie des partis politiques ; les candidatures indépendantes spontanées. Comment ne pas dès lors reconnaître l’extraordinaire difficulté de démêler l’écheveau des candidatures indépendantes aux législatives ivoiriennes 2016 ? Ceci montre la stérilité des procédures disciplinaires enclenchées çà et là dans les principaux partis politiques de la majorité ou de l’opposition, envers un phénomène qui s’affirme depuis l’élection législative 2011 comme une contestation implicite ou explicite de l’architecture politique du système ivoirien lui-même. Nous ne pourrons dès lors que nous exprimer par hypothèses interrogatives sur ce phénomène hautement suspect, mais sûrement significatif des « Indépendants ».

Les candidats indépendants du RDR, comme ceux du PDCI-RDA, n’ont pas démissionné de leurs partis respectifs. Ils persistent à se positionner ainsi comme ceux qui défendraient mieux les valeurs houphouétistes. A-t-on sérieusement cherché à prendre en compte ce qu’en pensent les bases populaires véritables du RHDP ? J’en doute.  Est-ce bien prudent, dès lors, de la part des directions de ces partis, conscientes des difficiles arbitrages auxquels elles ont dû se résoudre, de sévir sans recul sur les candidatures indépendantes de certains de leurs militants, sans prendre la peine d’analyser au préalable leur représentativité sur le terrain en regard des résultats du scrutin à venir ? L’importance de la majorité parlementaire à détenir devrait faire réfléchir par deux fois les directions des formations politiques concernées avant toute décision disciplinaire.

Les indépendants issus du ou des FPI, ne sont-ils pas de fait en mission de pénétration des institutions de la république, en vue d’y installer une opposition plus substantielle et reconnue, mais aussi de pouvoir pleinement refinancer leurs structures de lutte, en vue des grandes batailles à venir ? Se poser ces bonnes et légitimes questions, c’est aussi se demander si la majorité au pouvoir a bien compris que le phénomène des Indépendants se dresse globalement contre elle, comme une contestation générale de l’ordre politique établi. 

Bien qu’il ne faille pas surévaluer des candidats indépendants bien souvent dépourvus de machines comparables aux partis politiques pour mobiliser les citoyens, l’erreur consisterait à croire qu’on résoudrait par la seule brimade ou par les seules exclusions partisanes, le problème politique qu’ils posent à court et long terme dans le système politique ivoirien. Donc, wait and see…

Le LIDER du Professeur Mamadou Koulibaly

Le minuscule parti de l’ancien dauphin constitutionnel de Laurent Gbagbo aura incontestablement brillé par son incohérence principielle dans le système politique ivoirien. Issu du FPI, il en partage l’essentiel des postures politiques radicales : un sociolibéralisme idéologique, une contestation médiatique permanente de la légitimité et de la légalité du régime Ouattara, un alignement ostentatoire sur les coups d’éclats des partisans de la politique de la chaise vide et de la terre brûlée. Mais d’un autre côté, le groupuscule du professeur Koulibaly a du mal à faire oublier que sa naissance s’explique par ses désaccords ethniques avec le FPI, par sa reconnaissance de la victoire d’Alassane Ouattara en 2010, par sa volonté de participer au débat constitutionnel dans un parlement qu’il a pourtant toujours honni, et enfin aujourd’hui par son désir de rejoindre « La république de Ouattara » en y faisant figurer quelques députés. Quelle succession de contradictions insurmontables !  La seule bonne nouvelle est qu’enfin, avec ces législatives, on aura une occasion ultime de mesurer ce que pèse réellement le LIDER. Aura-t-il ne serait-ce que les 13 postes de députés qu’il envisage de détenir ? Si par miracle, cela arrivait, le professeur Mamadou Koulibaly se positionnerait certainement comme l’un des potentiels faiseurs de rois du parlement ivoirien, notamment dans une configuration où le RDR et le PDCI-RDA seraient loin de leurs nombres de députés escomptés. Il faudra donc, malgré tout, veiller aussi les chiffres du petit LIDER, comme du lait sur le feu, car ses succès augmenteraient évidemment les incertitudes potentielles sur les alliances dans le premier parlement de la 3ème république.

Au total, l’apparent déséquilibre entre les candidatures indépendantes et les candidatures de partis indique clairement que le champ politique ivoirien est en recomposition. Cette reconfiguration des rapports de forces politiques va-t-elle renforcer la majorité actuelle du RHDP au pouvoir? Va-t-elle plutôt consacrer l’apparition de nouvelles structures macro-politiques en concurrence avec le RHDP en Côte d’Ivoire? Va-t-elle redorer le blason terni du FPI, longtemps boudeur et frondeur envers le jeu institutionnel et concurrentiel de la jeune démocratie ivoirienne? Le peuple de Côte d’Ivoire, par deux fois convoqué aux urnes en cette année 2016, apportera des réponses aujourd’hui imprévisibles à ces questions le 18 décembre 2016…

Dans la 2ème partie de la présente théorie générale des législatives ivoiriennes 2016, nous aborderons bien sûr les enjeux à court et long terme de ces élections-tests de la 3ème république.

Affaire à suivre donc, chers lecteurs, dans 72 heures.

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