Cameroun: A lire "Une idée contraire de la république" de Enoh Meyomesse
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Cameroun: A lire "Une idée contraire de la république" de Enoh Meyomesse :: CAMEROON

Une république dynastique est insidieusement en train de naître au Cameroun. Les barons du régime s’attellent à placer leurs gosses partout, dans les « grandes écoles », les sociétés d’Etat, la haute administration, et transforment notre pays en leur propriété privée. Ils désirent que leurs enfants le contrôlent demain ainsi qu’ils le font déjà de manière calamiteuse eux-mêmes aujourd’hui, et que ceux-ci, à leur tour, commandent les enfants des autres.

Par cette action, ils dénaturent totalement la république au Cameroun, dont l’essence est avant tout « égalité de chances pour tous », et dévoilent ce faisant leur esprit essentiellement féodal. Que faire pour lutter contre cela ? Tel est l’objet de ce livre.

(Extraits)

 « l’égalité des chances » a achevé d’être mise à mal, avec l’apparition de « listes » de protégés à chaque concours de la fonction publique ou recrutement. Tous les patrons des grandes administrations du pays en dressent au bénéfice de leurs protégés, sous le prétexte que ceux-ci proviennent de leurs régions natales. Ils abolissent ainsi toute signification du mot concours. Les grandes dames du pays ne sont pas en reste. L’École Nationale d’Administration et de la Magistrature, ENAM, l’École Militaire Interarmes du Cameroun, EMIAC, l’Institut des relations Internationales du Cameroun, IRIC, et bien d’autres écoles de formation de cadres pour le pays, se sont désormais transformées à cause de cette pratique, en écoles des fils des barons du régime au point où si hier l’ENAM était qualifiée « d’Ecole du Nord », aujourd’hui, elle est tout bonnement devenue « l’Ecole des fils à papas », tellement les promotions, d’une année à l’autre, sont truffées de fils de…

     Tout récemment, lorsque  le scandale de l’IRIC a éclaté, les idéologues du régime ont introduit une notion encore plus pernicieuse : « la méritocratie régionale », afin d’échapper aux critiques de la population. Quelle en est la signification ? « Retenir les meilleurs de chaque région du Cameroun ».

     En d’autres termes, c’est l’officialisation de l’abolition de « l’égalité des chances nationales ». Une aggravation à ciel ouvert de la négation de l’égalité des chances tout court au Cameroun. Car, cette fois-ci, il ne s’agit même plus de « chances » régionale, mais bel et bien de « fils à papa de chaque région »… Nous assistons de ce fait à un projet de création de dynasties locales qui se coalisent sur le plan national pour régenter le pays tout entier dans les années à venir…

(…)

La République du Cameroun : une confédération de groupes ethniques ?

     A travers la question de « la méritocratie régionale » évoquée désormais par les idéologues du régime, se pose finalement la question de la nature de la république au Cameroun. De quoi s’agit-il ? D’une superstructure basée sur des citoyens, ou d’une « confédération de groupes ethniques » ? En d’autres termes, à quoi avons-nous affaire, à des citoyens, ce qui suppose l’égalité des individus, ou à des groupes ethniques, ce qui suppose en revanche la disparition de ceux-ci ? 

     Quoi qu’il en soit, tel qu’a évolué le Cameroun jusqu’à ce jour, nous sommes obligés de constater que le gouvernement, depuis 1960, a systématiquement promu une double citoyenneté. Il y a d’abord la citoyenneté classique, et universelle, celle issue de la colonisation, autrement dit un legs de la présence française et anglaise au Cameroun, qui est basée sur l’État, puis celle qu’a introduit le gouvernement, et qu’il est possible d’appeler la « citoyenneté ethnique », ou encore la « citoyenneté régionale », à savoir une citoyenneté qui juxtapose à l’État et au peuple, l’ethnie et/ou la région natale.

A – La citoyenneté « ethnique ».

     C’est la singulière citoyenneté qui a désormais droit de cité au Cameroun. Elle découle tout naturellement de l’idéologie de l’ « équilibre ethnique » d’Ahmadou Ahidjo. Le Cameroun ne serait pas composé d’un seul peuple, mais plutôt de plusieurs, plus précisément, d’un conglomérat de groupes ethniques. En fait, il s’agit là d’une cristallisation, tout bonnement, du phénomène tribal au Cameroun, par le pouvoir.

     C’est une vision essentiellement conservatrice et rétrograde de la société camerounaise. Elle n’a rien à voir avec la pensée des véritables pères fondateurs de la nation camerounaise, à l’instar des élèves de l’École Normale de Foulassi qui, en 1929, avaient composé  ce chant qui deviendra, en 1957, sur décision du Premier ministre Mbida André-Marie, l’hymne national du Cameroun. Ceux-là ne percevaient nullement le pays en groupes ethniques, à preuve, ils n’en ont pas fait cas dans les paroles de leur chant. Ils ont dit :

« Que tous tes enfants du nord au sud / de l’est à l’ouest soient tout amour… »

et non :

« Que toutes les ethnies du nord au sud… »

ni :

« Que toutes les régions du nord au sud… »

    Malheureusement, c’est sur la base des théories des idéologues du tribalisme qu’a évolué le Cameroun depuis 1960. Leur pensée a été si forte, parce que véhiculée de manière autoritaire des années durant par le gouvernement que nous, Camerounais, sommes actuellement cramponnés sur nos différentes origines communautaires nationales et démontrons par-là le caractère secondaire dans nos esprits de l’Etat du Cameroun. Nous le considérons comme une sorte de structure juxtaposée sur nos différents groupes ethniques. Ainsi, au fond de nous-mêmes, nous nous identifions avant tout par les groupes ethniques auxquels nous appartenons. En conséquence, lorsque l’on parle d’égalité de chances, nous tous nous ne la percevons qu’à travers notre tribu, et non à travers les individus.

  Il sera extrêmement difficile de faire perdre ce réflexe aux Camerounais, à savoir se dissoudre dans la tribu, d’autant que les régimes en place, depuis 1960, en sont les grands promoteurs. Les fameux individus qui, à travers le territoire national s’autoproclament « élites », ont réussi le tour de force d’identifier, aux yeux de la population, les différentes ethnies que compte le pays à leurs personnes. Lorsqu’ils sont nommés quelque part, c’est toute leur ethnie qui l’est. Et lorsqu’ils ne le sont pas, c’est toute l’ethnie qui ne l’est pas non plus. Rappelons cette plainte des Kirdi du Mayo Sava :

« … Aujourd’hui, le poste le plus élevé occupé par quelques rares montagnards (…) est celui de chef de service au sein de l’administration centrale camerounaise (...) ([1])

     On le voit bien, malheureusement, il s’agit, comme toujours, ni plus ni moins, que de revendications de fonctionnaires qui se sentent lésés, et qui se réfugient derrière leur origine ethnique pour accéder au graal. 

     Cette double citoyenneté se trouve à la base de la phénoménale résurgence de la chefferie traditionnelle au Cameroun actuellement. Les gens se tournent systématiquement vers le passé, s’encrent dans leurs communautés, s’y arc-boutent avec énergie. Officiellement, ils évoquent la préservation de la tradition. Mais, en réalité, ils tentent de chevaucher l’ethnie pour négocier des postes à Yaoundé. L’égalité des chances pour eux devient les opportunités qu’ils se créent à eux tout seuls et à leurs gosses pour obtenir des promotions dans l’administration publique.

B – Les « ethnies réunifiées » du Cameroun.

   Les intellectuels et politiciens camerounais, qui promeuvent cette idéologie, à vrai dire, tentent tout simplement de refaire l’histoire. Ils n’acceptent guère le fait que l’Etat, la république, furent apportés par les Européens. L’Etat du Cameroun est en effet né le 16 avril 1957 à la faveur d’un décret du gouvernement français. La république de son côté a vu le jour dans notre pays dès l’invasion européenne en 1884. Ces deux entités ont enfermé les groupes ethniques, sans leur consentement, dans des frontières externes communes, celles du Kamerun, qui ont été par la suite modifiées à plusieurs reprises. Elles ont créé une citoyenneté unique, celle du Cameroun, que tentent désormais d’abolir les Camerounais. Cramponnés sur leur logique, ils introduisent sans état d’âme cette notion pernicieuse de « méritocraties régionale », tout simplement parce qu’ils ne croient pas à une nation et à une citoyenneté uniques. Ils croient à une nation à citoyenneté multiple, car c’est à travers celle-ci qu’ils tirent le plus d’avantages en termes de postes administratifs et politiques.

     Des intellectuels camerounais se sont attelés à démontrer que même sur le plan international il est tenu compte des « équilibres » du genre qu’ils mettent en avant chez nous. Ils ont également poussé leur « démonstration » sur plusieurs autres pays à travers le monde.

     Ils sont dans l’erreur.

     D’abord, sur le plan international, il n’existe pas de citoyenneté. Il existe plutôt des États et des citoyens de ceux-ci. Il n’existe guère de « Carte mondiale d’identité », à l’instar des « Cartes nationales d’identités ». En conséquence, il n’existe pas de similitude, ni même d’assimilation possible entre la répartition géographique des postes dans les organisations internationales du système des Nations Unies, et « l’équilibre ethnique » camerounais.

    Sur le plan national. La politique de discrimination positive en faveur des Noirs ou des Indiens, aux USA, comme partout ailleurs où sont pratiquées de telles politiques, d’une part est fondée sur la différence raciale, d’autre part, elle est limitée dans le temps, elle est provisoire. Or, dans le cas du Cameroun, la politique de « l’équilibre ethnique » du président Ahidjo est devenue définitive. Les Camerounais y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux … par tribalisme et par égoïsme, tout simplement. Chaque cadre du pays y voit un moyen d’obtenir une promotion, indépendamment de sa compétence,  simplement au nom de sa région natale. Résultat : zéro égalité des chances pour les citoyens camerounais, un des fondements universels de la république…

Pour acquérir le livre : www.amazon.com, tapez le titre : « Une idée contraire de la république », ou bien Enoh Meyomesse ; prix : 9 euros.

[1] - Mémorandum des montagnards chrétiens et animistes du département du MayoSava, juin 2009.

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