Boris Bertolt ravive un scandale d’État jugé par les tribunaux camerounais mais qui n’a pas livré tous ses secrets.

Pourquoi a-t-il été si difficile et finalement impossible à l’État du Cameroun d’acquérir auprès de Boeing un avion neuf pour le chef de l’État à travers un système de transferts internationaux de fonds connu et bien testé ? Cette question est au coeur de l’enquête de Boris Bertolt, fraîchement publiée par Les éditions du Schabel, intitulée « L’avion du président », enquête sur un scandale d’État avec le prologue et la préface signés par Ludovic Lado et Eric Chinje.

On est vite tenté de se dire, la presse en a suffisamment rendu compte, le dossier est clos par la justice, de quoi peut parler l’auteur ? Marafa Hamidou Yaya, Jean-Marie Atangana Mebara, Yves Michel Fotsoa n’ont-ils pas été condamnés par la justice camerounaise qui les accuse d’avoir détourné l’argent destiné à l’acquisition de cet avion ? Cette donnée n’échappe pas à l’auteur. « Un verdict de justice, admet-il en conclusion du livre, ne peut pas répondre à toutes les questions. La réalité est certainement plus complexe et se décline sous plusieurs projecteurs. »

Scoop

Le sujet est osé dans notre contexte. La masse importante d’informations qu’il a collectées dont beaucoup ont valeur de scoop, parce que pas encore révélées au grand public donne de l’intérêt au livre. C'est la plus-value de cette enquête qui propose des réponses à des questions souvent restées en suspens. Quelle est la totalité des sommes d’argent effectivement pompées du trésor public entre 2001 et 2003 pour l’acquisition manquée de l’avion du président ? Quelles sont les caisses publiques qui ont été mises à contribution ? Que sont devenus ces fonds publics ? Qui sont les donneurs d’ordre des déblocages de dizaines de milliards de FCfa partis en fumée ? Ces décideurs ont-ils décidé en toute responsabilité s’entourant des garanties nécessaires ? Le système judiciaire est-il allé au bout de ses investigations ? A-t- il trouvé et incarcéré les vrais coupables ? Pourquoi pour des faits commis entre 2001 et 2003, les premières poursuites n’ont-elles été engagées qu’en août 2008 après les émeutes de février ?

Tabou

Certaines interrogations sont restées taboues au fil des audiences des procès ouverts sur les miasmes de ce scandale. Boris Bertolt a affronté ces questions et ouvre d’intéressantes pistes pour d’autres investigations. Dans une démarche méticuleuse, l’auteur dévoile le jeu trouble des acteurs d’un thriller dont l’intrigue se noue depuis l’épicentre du scénario logé à la présidence de la République du Cameroun avec des relais à l’étranger : Seattle, Washington, Victorville, Delaware, Atlanta, Johannesburg, Genève, Singapour...

Tout y passe, conflit d’intérêt, guerre de réseaux et connexions mafieuses, obscurs cabinets d’experts affichant tous de bonnes intentions, sociétés off-shore basées dans des paradis fiscaux, commissions rogatoires, batailles judiciaires aux États-Unis et en Suissea On en apprend de belles histoires. Pour une opération d’acquisition d’un avion, le constructeur Boeing, confus, a eu affaire successivement à deux acheteurs (Camair puis l’ambassade du Cameroun à Washington) mandatés par le même bénéficiaire. Et tout s’est de surcroit soldé par un échec. L’échec du payement de deux commandes d’avions, l’échec subséquent des livraisons. On se régale du zoom fait sur chacun des acteurs de ce flop.

Chaînes de montage de Boeing

L’auteur nous plonge aussi grâce à de savoureuses anecdotes dans les péripéties des missions effectuées aux États- Unis sur les chaînes de montage de Boeing par les officiers de l’État-major particulier du chef de l’État chargés de ses déplacements. Des missions innombrables restées infructueuses. Le constat qu’on fait est simple : 15 ans après le premier déblocage des fonds y afférant, le président Paul Biya n’a pas d’avion en propriété, la valse de location a toujours cours. Le trésor public n’a toujours pas été intégralement dédommagé de ce trou resté béant dans ses comptes.

Au finish, les puristes de l’enquête vont peut-être déplorer l’inflation de sources anonymes pour des informations jugées capitales dans la grande enquête. Mais la délicatesse du sujet et la frilosité des acteurs encore aux affaires ou en prison peut l’expliquer à la décharge de l’auteur. Boris Bertolt est un jeune doctorant en criminologie et en histoire qui a été journaliste successivement au sein des rédactions du quotidien Le Jour et du journal Mutations où il a suivi les procès relatifs à l’acquisition de l’avion du président puis côtoyé les acteurs impliqués dans le dossier. Il a déjà publié en 2015 un ouvrage sur le conflit au Darfour intitulé : Darfour, la guerre des pauvres.

Boris Bertolt
“L’avion du Président
Enquête sur un scandale d’Etat”
256 pages
Les Editions du Schabel
2016