Au Gabon, "des élections présidentielles ni libres, ni justes"
GABON :: POINT DE VUE

Au Gabon, "Des Élections Présidentielles Ni Libres, Ni Justes"

Le 27 août, les Gabonais voteront pour élire leur président. Ils reconduiront très probablement Ali Bongo. Mais ces élections sont-elles transparentes? L'analyse de Celine Assaf Boustani, avocate à la Human Rights Foundation, et de Marc Ona Essangui, secrétaire exécutif de l'ONG Brainforest, l'un des principaux opposants au régime.

Une grande majorité de Gabonais souhaite saisir les prochaines élections présidentielles pour mettre fin au régime dictatorial d'Ali Bongo. Au pouvoir depuis plus de 50 ans, les Bongo ont toujours géré le pays comme une entreprise familiale. Et à l'aube des élections, Ali Bongo n'a nullement l'intention d'en céder les rênes. L'espoir des Gabonais de voir des élections libres, justes et transparentes le 27 août prochain se heurte encore une fois à un contexte électoral corrompu.

"59 localités comptent plus d'électeurs que d'habitants"

Le gouvernement gabonais veut convaincre son peuple et la communauté internationale de la probité du processus électoral. Mais l'Union européenne, invitée à observer les prochaines échéances, n'a déployé la soixantaine d'observateurs électoraux qu'un mois avant le scrutin, alors que ceux-ci arrivent normalement six mois à l'avance. Ils n'ont donc pas pris part à l'enrôlement des électeurs et à la confection du fichier électoral comme ils le devaient, et comme ce fut le cas au Sénégal en 2000 et au Nigeria en 2015. Il est donc plus que légitime de douter de la capacité de l'UE à déceler un système de fraude déjà bien huilé.  

Le découpage électoral présente les signes d'une manipulation évidente. A titre d'exemple, le 3e arrondissement de Libreville possède le nombre le plus élevé de bureaux de vote, devant le 6e arrondissement de Libreville, pourtant plus peuplé et plus étendu. Le 3e a la réputation d'être l'arrondissement où se trouve le plus grand nombre d'électeurs enrôlés. C'est aussi là que votent le candidat Ali Bongo, ses alliés ainsi que les membres de la Garde républicaine. On y suspecte déjà le minimum de surveillance électorale.  

Le doute plane sur la fiabilité du fichier électoral. Le pouvoir refuse de le soumettre à un audit, comme le propose la société civile et des opposants politiques. Cependant, un audit indépendant réalisé par l'économiste Mays Mouissi confirme ces doutes: "59 localités comptent plus d'électeurs inscrits sur la liste électorale que d'habitants; 18 ont des ratios d'inscriptions compris entre 80 et 100%; 34% des localités ont un nombre d'électeurs inscrits atypique par rapport à leur population officielle." Des signes qui augurent un coup de force électoral.

Manipulation des médias et répression

L'appareil judiciaire est aussi mis au service d'Ali Bongo pour traquer des leaders de la société civile et activistes qui militent contre sa candidature. Ces derniers sont arbitrairement arrêtés et jugés pour des charges ridicules comme celle d'"incitation à la violence" et "trouble à l'ordre public" quand leur seul crime est de s'exprimer pacifiquement et d'exercer leurs droits fondamentaux.  

A l'exception de celles des partisans de Bongo, toutes les manifestations sont traquées par la police. Les Gabonais ne jouissent pas de la liberté d'association. Pour preuve, le 23 juillet, des opposants au régime ont été gazés pour avoir tenté d'organiser une marche de protestation contre la candidature d'Ali Bongo. Plusieurs activistes ont été arrêtés. Certains dont un étudiant et un journaliste de l'AFP ont même été torturés.

Les médias publics sont au service d'un seul homme, ce qui rend impossible toute compétition pour le pouvoir. Les seuls medias indépendants sont contrôlés, surveillés ou suspendus, surtout durant la période électorale. De plus, les menaces de blocage des réseaux sociaux sont réelles avant, durant et après les élections. Les Gabonais l'ont vécu durant les présidentielles de 2009. Ce type d'obstruction permet de contrôler l'information et ainsi l'opinion publique. Récemment, le Tchad, l'Ouganda et l'Ethiopie ont connu de tels blocages durant les dernières élections présidentielles. L'information étant manipulée à la source, on ne peut pas parler d'élections justes et libres.

Le désastreux bilan du règne d'Ali Bongo

A tout cela, s'ajoute le bilan désastreux du règne de Bongo. Dans ce pays de 1,6 million d'habitants, 30% de la population vit dans la pauvreté, chiffre étonnant vu la croissance de l'industrie pétrolière du pays! Depuis l'arrivée au pouvoir d'Ali Bongo, la dette publique a connu une hausse exponentielle. Ces sept dernières années, elle a augmenté de 144% et représente actuellement 42% du PIB.

Les crimes rituels sont en hausse, mais l'impunité est totale pour les criminels. Le taux de chômage des jeunes a atteint 35,7%. L'indice des libertés individuelles est au plus bas, l'état de la santé publique est désastreux. Les taux de mortalité maternelle et infantile restent très élevés. L'état des hôpitaux est inacceptable. Dans les prisons, les prisonniers -qui s'entassent par dizaines dans de minuscules cellules- sont livrés à eux-mêmes.  

Vu le contexte politique et électoral, on peut déjà prédire des élections de façade. Pour garantir des élections libres et justes, il faudrait réunir des conditions essentielles: liberté d'expression pour les opposants au régime, mêmes droits dans la compétition électorale, accès à la presse et aux médias... Le peuple gabonais semble prêt à mettre un terme au règne Bongo. Mais contrairement à leurs voisins burkinabè qui ont empêché un coup constitutionnel en prenant les rues, les Gabonais se contenteront de se battre dans les urnes ce qui, dans ce contexte, ne garantira pas la fin du régime.

Celine Assaf Boustani est avocate internationale à la Human Rights Foundation et Marc Ona Essangui est secrétaire exécutif de Brainforest, coordinateur de la coalition Publish What You Pay, qui milite pour la transparence des revenus pétroliers et miniers, et opposant notoire au régime d'Ali Bongo.

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