"Pour Ali Bongo, les ralliements à Jean Ping sont un vrai coup dur"
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GABON :: "Pour Ali Bongo, les ralliements à Jean Ping sont un vrai coup dur"

Spécialiste de l'échiquier politique gabonais, le chercheur Khalid Tinasti analyse la portée du désistement de deux poids-lourds de l'opposition à la candidature de Jean Ping.

Bien sûr, l'élection présidentielle gabonaise du 27 août paraît jouée d'avance, tant l'emprise du sortant Ali Bongo Ondimba et de son clan sur les institutions comme sur les moyens de l'Etat faussent la compétition. Reste que le ralliement de deux des principaux prétendants de l'opposition à Jean Ping assombrit quelque peu l'horizon du candidat du Parti démocratique gabonais (PDG). Auteur en 2014 chez L'Harmattan d'un essai intitulé "Gabon, entre démocratie et régime autoritaire", le chercheur et politologue Khalid Tinasti analyse pour L'Express l'impact de ce -petit- coup de théâtre.

L'accord de désistement annoncé le 16 août change-t-il la donne ?
Oui, indéniablement. L'une des faiblesses chroniques de l'opposition gabonaise depuis 1993, année du premier scrutin présidentiel multipartite, c'est de partir au combat en ordre dispersé. En 2009, il est vrai que neuf candidats s'étaient ralliés in extremis à André Mba Obame [ex-intime puis rival d'Ali Bongo, décédé en avril 2015]. Mais il y avait alors en scène un troisième acteur majeur, le défunt Pierre Mamboundou [disparu en octobre 2011]. Cette fois, Jean Ping endosse seul le costume du challenger, d'autant qu'il bénéficie du soutien de deux poids lourds. Casimir Oyé Mba, autrefois Premier ministre d'Omar Bongo, est une personnalité respectée qui dispose de relais institutionnels puissants. Idem pour Guy Nzouba Ndama [titulaire pendant dix-neuf ans du perchoir de l'Assemblée nationale]. Leur ralliement constitue donc pour Ali un vrai coup dur.

Le ralliement de Casimir Oyé Mba garantit-il à Jean Ping l'adhésion de l'électorat fang ?  
Il l'aidera beaucoup, du fait de l'apport de nombreuses voix parmi les Fangs de la province de l'Estuaire. Quant à ceux du Woleu-Ntem [Nord], ils ne voteront jamais Ali. Reste une énigme : à quel point le scrutin sera-t-il truqué, ou pas ? Une certitude : dans n'importe quelle démocratie avancée, les failles du fichier électoral seraient jugées problématiques.

L'irruption de l'application pour smartphones R.E.GAB -"Regarder les élections au Gabon"-, censée livrer des résultats en temps réel dès la fin du dépouillement, et la présence de diverses missions d'observation, suffiront-elles à garantir en la matière un niveau de transparence acceptable ?
Elles restreindront la marge de manoeuvre des adeptes de la triche. Pas plus. N'oublions pas que voilà sept ans, il y avait eu fraude dans l'enceinte même du consulat du Gabon à Paris [site de l'un des centres de votes dédiés à la diaspora gabonaise de France]. Quant aux communiqués de l'Union européenne ou de l'Union africaine en faveur de la liberté d'expression et d'un accès équitable aux médias d'Etat, ils trahissent la grande frilosité des partenaires étrangers, animés avant tout par la peur du chaos. La priorité, vu d'Occident, c'est de pouvoir conclure que les opérations électorales se sont déroulées correctement au regard des exigences démocratiques. Au demeurant, il est clair que les effectifs des équipes d'observateurs sont très nettement insuffisants pour superviser tout le territoire.

Y a-t-il un risque de second tour dans la rue ? En d'autres termes, le scénario du soulèvement de type insurrectionnel au lendemain de l'annonce d'une victoire, même étriquée, du sortant doit-il être pris au sérieux ?
Il s'agit moins d'un risque que d'une tradition, comme l'attestent les épisodes de 1993, 1998 ou 2009. Les émeutes, survenues notamment à Port-Gentil [ville rebelle au pouvoir de Libreville et capitale pétrolière du pays] ont alors visé les intérêts français, qu'il s'agisse du consulat, du centre culturel ou du siège de Total. Mais elles ne vont pas au-delà. Dans l'histoire du Gabon, on n'a jamais vu un pouvoir tomber sous les coups de boutoir de la rue.

Confrontée à une nouvelle donne électorale, moins propice à leur champion, les autorités gabonaises risquent-elles de durcir le ton ?
Elles appliquent déjà une ligne très dure. Et je ne vois pas comment elles pourraient la durcir davantage. L'entourage du président sortant parle "d'aplatir" l'opposition, de la "mettre K.O.". Voyez l'affichage électoral à Libreville. Ali Bongo est partout, ses challengers nulle part. Et quand ces derniers souhaitent organiser un meeting dans un stade, on leur en interdit souvent l'accès.  

Jean Ping et ses alliés peuvent-ils faire oublier leur passé de barons du régime, convertis tardivement à la dissidence ?  
Non, certainement pas. Les personnages évoqués sont d'authentiques "PDGistes", héritiers d'une approche néo-patrimoniale du pouvoir. Il serait donc vain d'attendre de l'actuelle opposition des changements structurels. Fut-il délesté du patronyme Bongo, le règne de l'idéologie du PDG perdure. Ses ex-barons perpétuent un système politique hybride, que je définis comme autoritaire-compétitif. Avec la réforme constitutionnelle de juillet 2003, qui abolit la limitation à deux du nombre de mandats et instaura le scrutin à un seul tour, le pays est revenu à une forme de monopartisme de fait.  

Les nombreuses défections de cadres ont-elles significativement affaibli le PDG ?
Sans l'ombre d'un doute. Dans les années 1970, sous Omar Bongo, le parti unique apparaissait comme une belle construction, une machine clientéliste structurée et efficace, déployée sur tout le territoire. Mais ce délitement des élites, comparable toutes proportions gardées à celui qui affecte au Zimbabwe la ZANU-PF de Robert Mugabe, révèle un déclin irréversible. En clair, ça sent la fin.  

Qui peut combler le vide ?  
Là est le grand mystère. Pas l'Union nationale [formation d'opposition présidée par Zacharie Myboto] en tout cas. Au-delà des péripéties du moment, Le combat des egos entre les candidats de l'élection de 2009 continue.

En cas de victoire, Ali Bongo renouvellera-t-il selon vous ses équipes, tant au gouvernement qu'au sein du PDG ?
Il aurait à l'évidence une opportunité en or pour agir ainsi, d'autant que les poids-lourds du parti l'ont quitté d'eux-mêmes. Une Assemblée nationale et un PDG rajeunis, de nouvelles têtes dans les ministères : difficile de rater une telle occasion. Mais je ne le vois pas se séparer de Maixent Accrombessi [son très controversé directeur de cabinet, qui aurait été transféré le 18 août dans un hôpital marocain pour raisons médicales]. Car il ne lui reste qu'un cercle très restreint de fidèles en qui il peut avoir toute confiance.

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