AFOUMBA DOLLY : «De 1962 à 1970, la France a été à l’origine de 61% des coups d´Etat en Afrique»
AFRIQUE :: POINT DE VUE

AFOUMBA DOLLY : «De 1962 à 1970, la France a été à l’origine de 61% des coups d´Etat en Afrique» :: AFRICA

L’étudiante en Science politique basée en Allemagne parle de la relation jugée inquiétante entre la France et l’Afrique centrale depuis les indépendances. Elle passe également en revue le cas Lydienne Yen-Eyoum, sortie de prison par la volonté du chef de l’Etat camerounais, l’acharnement contre Ali Bongo Ondimba à la veille de la présidentielle au Gabon, le FCFA et les APE.

Comment appréciez-vous la coopération entre l'Afrique centrale et la France depuis la diaspora?
L´idée d´une coopération Afrique centrale - France est perçue par certains jeunes de la diaspora comme une utopie. Utopie parce que la France détient encore les cartes de l´influence dans la sous-région. La France est une puissance régionale en Afrique. Si elle n´appartenait pas à l´Union européenne, on lui trouverait une place parmi les pays membres de l´Union Africaine. La relation que ce pays entretient avec les États du centre du continent est très loin de l´idéal de coopération qui voudrait que les parties aient des aptitudes relativement identiques et par conséquent s´entraident mutuellement. 56 ans après les indépendances, les importations de la France en Afrique centrale n´égalent pas le 1/3 de ses exportations.

Selon un récent rapport de l´ambassade de France au Cameroun, l´on peut observer que les exportations en pétrole, en métallurgiques et en métalliques du pays de François Hollande ont évolué de manière exceptionnelle au cours du premier trimestre de cette année, soit 48% pour le métallique et la métallurgie. Pendant que ses importations demeurent très faibles. On note 0% pour le pétrole en 2015 et 1% en 2016. Comment peut-on parler de coopération lorsque la France importe le nécessaire pour maintenir son statu de grande puissance, et n´exporte rien de productif aux États de la sous-région?

Depuis la création du Franc CFA par le général De Gaule en décembre 1945, pour établir leurs budgets annuels, les pays de la zone CEMAC doivent attendre de la France qu´elle leur libère les fonds. Tout investissement à l´étranger doit passer au peigne fin de la France qui décide de délivrer les devises ou pas. La relation entre la France et les pays d´Afrique centrale n´a pas beaucoup changé depuis les indépendances. Elle est restée asymétrique car il y a une partie qui établie les règles du jeu, et l´autre exécute.  

Au moment où la France célèbre sa fête nationale autour du terrorisme, pensez-vous qu'elle doit revoir son partenariat militaire avec les pays de la sous-région Afrique centrale? Que proposez-vous?
Sans tomber dans la négation totale, il est important de souligner que la fête nationale française ne regarde que les Français. Ils ont le droit de célébrer la mort de la royauté au profit de la démocratie et surtout de la liberté. Cette fête ne concerne que les Français, car lorsque le peuple de France célébrait la prise de la bastille sous Louis XVI en 1789, les Noirs étaient encore de pauvres esclaves, utilisés comme des brebis pour effectuer les tâches les plus difficiles dans les grandes plantations des maîtres Blancs. Cependant une fête nationale requiert une remise en question effective. Après le grand défilé autour des ChampsÉlysées, les Français doivent faire le bilan. Ils doivent réfléchir sur les échecs passés et les stratégies à venir. Dans une des émissions les plus regardées en France, « On n´est pas couché », dans sa diffusion du 16 janvier 2016, l´humoriste Jeremy Ferrari reprochait au premier ministre Manuel Valls de négligence face aux causes du terrorisme.

La pression des paroles de ce jeune homme a poussé le premier ministre à révéler à la face du monde que son pays a contribué à l´échec de la démocratie en République du Gabon. Le président Ali Bongo n´aurait pas été élu «comme on l´entend». Un échec qui rentre dans la liste de plusieurs mains invisibles du pays dans les affaires internes des autres États. Récemment encore au Burkina Faso, le même ministre affirmait, après les attentats de Ouagadougou, que les assaillants étaient au nombre de 6: « trois ont été tués et trois sont encore recherchés ».

Une information qui a été démentie par la presse locale et les autorités du pays qui ne reconnaissent que la présence de 3 assaillants encore en liberté. Ces bourdes démontrent que même sans le vouloir, la France doit urgemment changer sa politique extérieure. Les révélations sur Bongo à la veille de l’élection présidentielle au Gabon pouvaient déclencher un conflit interne à l´image de celui Ivoirien en 2011.

La France doit comprendre que sans elle les pays d´Afrique centrale se porteront mieux. On se rappelle des soldats violeurs d´enfants en Centrafrique qui n´ont jamais été inculpés. Ces erreurs diplomatiques alimentent la haine contre ce pays et peuvent pousser à des réactions telles que des attentats et tueries contre une population innocente. La France devrait plus se concentrer sur sa politique interne que celle de l´extérieure.

Elle échoue par sa trop flagrante vulnérabilité vis-à-vis de l´Allemagne et surtout des États-Unis. Sur l´échiquier international, il n´est plus à prouver que le pays ne joue qu´un rôle de suiveur. La seule zone où il détient encore une main relativement solide, c´est en Afrique. On peut prendre pour exemple la visite éclair de François Hollande dans plusieurs pays d´Afrique pour contrôler la bonne marche des activités de ses ressortissants. C´est sans doute en réponse à cela que l´avocate Lydienne Yen-Eyoum a été relaxée après avoir été condamnée en 2014 par le Tribunal Criminel Spécial à 25 années d´emprisonnement dans l´affaire de détournement des deniers publics  ´une valeur de près d´un milliard de Franc CFA.

La course au cuivre, au gaz et au pétrole a poussé la France à augmenter ses livraisons d´armes au cours de ces dernières années. Elle détient en effet le quatrième rang mondial derrière les Usa, la Russie et la Chine. Plusieurs munitions en provenance de France ont été confisquées des mains des terroristes et bandes armées barbares qui n´attaquent que des personnes innocentes. Selon Amnesty International, l´entreprise de l´armement française a réalisé un chiffre record de 900 millions d´euros seulement pour les armes en direction de l´Arabie Saoudite, pays situé dans une zone de turbulence terroriste. Il revient à la France d´adapter sa politique extérieure aux nouvelles exigences internationales. Elle doit regarder les pays d´Afrique centrale non plus comme ses anciennes colonies, mais comme des États autonomes qui doivent définir de manière individuelle, leurs propres techniques de développement.  

Cette France finance pourtant nos économies à coup de milliards de FCFA. Est-ce pour autant qu'elle est un bon partenaire pour nos pays?
Si les réalisations suivaient les finances, les Camerounais verraient peut-être de manière très fine, les avantages des dons ou des prêts en provenance de la France. La corruption et le détournement de fonds publics, qui disparaissent dans les banques des pays occidentaux, n´aident pas le pays à trouver des voies d´émergence dans une situation déjà assez complexe. Cependant, les conditions de ces aides sont plus dangereuses que la corruption. «Les États n´ont pas d´amis, mais des intérêts à défendre».

Lors de son arrivée au Cameroun, le président français, François Hollande a signé avec le gouvernement en place, un accord d´aide à la réalisation de quatre projets de développement pour un montant de 76 milliards de Franc CFA. Un an plus tard, Lydienne Yen-Eyoum a été relaxée par un jeu politique inattendu. S´il est clair que rien ne peut être spéculé sur l´état et la nature de ces aides, il reste inconcevable que 50 ans après la récolte de tous ces milliards de Franc CFA, le Cameroun demeure parmi les pays les plus pauvres de la planète.

Un mot sur le FCFA et les APE que certains présentent comme un frein pour l'émergence des États d'Afrique francophone?
D´abord les APE! Les APE ou Accords de partenariat économiques prévoient le retrait des barrières douanières entre États signataires. L´APE intérimaire entre l´UE et le Cameroun est paraphé le 17 décembre 2007, signé le 15 janvier 2009 et ratifié le 25 juillet 2014. L´avantage de ces accords est plus théorique que pratique. Lorsque l´on lit les textes y référents, on se réjouit de l´apport que ce contrat aura sur les investissements extérieurs et sur l´arrivée des investisseurs étrangers au pays.

Ce qui va sans doute réduire le chômage en créant les emplois et peut-être diminuer la pauvreté avec les prix bas du fait de l´absence d´impôt à la douane et de la concurrence dans le marché interne. Mais si l´on sort du rêve du verbe et l´on se rapproche de la réalité, nous constaterons que les APE viendront tuer les petits investisseurs. Le pays ne peut pas concurrencer avec la France et pire encore avec l´Union Européenne. Les investisseurs européens sont plus garnis financièrement et matériellement que les travailleurs locaux.

Le petit cultivateur de banane sera obligé de fermer boutique car les bananes importées seront vendues à prix plus bas que celles qui ont été cultivées localement. Le fabriquant de lait de vache devra arrêter ses activités de production parce qu´il ne pourra pas concurrencer avec les grands fabricants étrangers comme Nestlé qui a déjà fait tomber une tête (Codilait). Les hommes d´affaires qui iront dans le marché européen n´auront peutêtre pas à payer de taxes douanières, mais devront passer au contrôle sanitaire et autres barrières des services de consommation qui leurs feront dépenser des sommes faramineuses pour rendre leurs produits comestibles par les citoyens de l´Ouest. Le complexe de l´étranger et l´amour de tout ce qui vient d´Europe aura également raison de nos producteurs locaux, car l´enfant de 5 ans préférera sucer un bonbon made in Germany qu´un bonbon made in Cameroon. Il existe un lien étroit entre les APE et le Franc Cfa.

Le traité sur cette monnaie a été signé sur la base des accords économiques préférentiels entre la France et 14 pays d´Afrique centrale, d´Afrique de l´Ouest et les Comores. Les APE viennent mettre fin aux accords préférentiels pour accorder une relative liberté d´action aux pays de la sousrégion Afrique centrale. Mais magiquement, ils ne touchent pas le Franc CFA. Ce qui sous entend que la France reste garante de l´avenir financière des pays CEMAC sans que ceux-ci aient leur mot à dire. Grâce au Franc Cfa, le trésor public français gère l´économie de plus de 14 pays d´Afrique. Le Franc Cfa avait aussi survécu à la mort du Franc Français pour s´arrimer à l´Euro.

Situation qui lui a fait perdre plus de 90% de sa visibilité; pour preuve, même les grands financiers allemands ne reconnaissaient pas une monnaie qui dépend à 100% de celle qu´ils utilisent. À l´extérieur de la zone CEMAC, le Franc CFA n´existe pas. Elle porte peut être le même nom que celui de la CDEAO, mais il s´agit de deux monnaies différentes. Ce qui veut dire que la France s´est arrangée à maintenir les divisions entre les pays de la zone Franc pour un meilleur contrôle des flux financiers.

Les investisseurs étrangers sont obligés de rendre compte à la France sur la nature et le revenu de toutes leurs transactions, car la monnaie n´étant pas convertible, ils doivent se retourner vers la France qui leur délivre les devises en échange de leurs recettes. Les reproches contre le Franc cfa sont légions. Il faudra sans doute un article complet pour les détailler.

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