Extrême-nord Cameroun : dans la peau de kamikaze
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Extrême-nord Cameroun : dans la peau de kamikaze :: CAMEROON

Sur la base de quelques révélations faites par les «candidates aux explosions», on en vient à connaître leurs ressorts psychologiques et leurs matériels de la mort.

«A qui peut bien ressembler un kamikaze de Boko Haram ?» Au milieu de cette question, un soldat du Bataillon d’intervention rapide (Bir) se rabattait sur mille réponses incertaines. «Je m’interrogeais sur le profil physique et moral de ces gens. La réponse, je pense l’avoir obtenue le 21 septembre 2015. C’était une belle adolescente d’environ 15 ans. Dissimulée sous un voile gris, une cuirasse artisanalement confectionnée et bourrée d’explosifs ligotait ses reins».

Ce jour-là, rapporte le bidasse, avec ses collègues de l’unité anti-terroriste du Bir, il avait enfin neutralisé une présumée kamikaze à Mora. Dans cette petite ville du Mayo-Sava, cette arrestation avait invité des civils dans le giron des enquêteurs militaires. Cheikh Bachirou Adama était de ceux-là. L’islamologue était commis pour le décryptage des versets coraniques et d’autres mots débités par la jeune fille. Il dit avoir retenu une phrase: «Aujourd’hui, nous annonçons la fin d’une phase de djihâd et la naissance d’une nouvelle phase importante dont nous posons un premier élément de sa structure afin d’inaugurer le projet du califat islamique et restaurer la gloire de la religion». Et au-delà… une  série de confidences lâchée par la jouvencelle kamikaze: «Ceux qui m’ont mis çà m’ont dit: où que tu ailles, dis ces mots, souris et sois calme, car Dieu est avec les croyants. Et les anges te protègent sans que tu ne sentes rien, sens-toi parfaitement tranquille car le temps qui te sépare de ton mariage au ciel est très court… Surtout ne dis rien à personne avant de toucher à çà…»  

Dispositif

«Çà», voilà le mot qui a frappé d’un dédoublement chronique plus d’un soldat ici dans l’Extrêmenord. «La singularité de ce terme témoigne du contexte de son entrée dans notre langage militaire. Quand nous avons arrêté cette fille, chez tout le monde, ce mot ne s’accordait plus de contresens. On savait qu’il désignait le dispositif de la mort», explique un caporal. A côté, un autre se félicite d’avoir enfin eu le temps de contempler «çà» de si près.

«Surtout, prévient un officier, ne vous fiez pas à la modestie apparente de ce mot. C’est possible qu’on puisse tourner en dérision une petite absurdité comme celle-là. Mais, c’est une absurdité mortelle ». La mise en garde souligne une vérité essentielle. En fait, «çà», c’est la ceinture de la mort. Autour de celle-ci, les militaires ont développé leur connaissance. Ce 13 avril 2016, ils soutiennent même qu’à ce stade de la guerre contre Boko Haram, il n’y a plus rien d’anecdotique quant au format et à la composition des bombes. Selon un officier du Bir, les ceintures piégées des kamikazes arrêtées dans certaines localités de l’Extrême-nord n’étaient pas toutes identiques.

Elles étaient composées de soit du TATP (un explosif artisanal très instable), soit du HMTD (explosif liquide très volatile aussi). Selon les analyses des militaires spécialisés, chaque «gaine» comprenait 1,5 kg de TATP ou de HMTD. Quelques caractéristiques communes: «un bouton-poussoir, relié à une pile alcaline de 9 volts permettant de créer une petite flamme pour actionner le dispositif et des boulons permettant d’isoler les fils électriques, projetés au moment de l’explosion, dans l’optique de faire un maximum de dégâts». A Fotokol, où la secte terroriste avait, en juillet 2015, inauguré sa nouvelle sorte d’attentat massivement destructeur contre les populations camerounaises, des indices récoltés par les éléments de l’unité anti-terroriste du Bir l’avaient confirmé au lendemain d’une explosion qui avait fait au moins une douzaine de morts.

«A cette époque-là, nous étions encore dubitatifs sur la composition de ces bombes, sachant combien Boko Haram changeait chaque jour», explique un lieutenant. Il poursuit: «Après une arrestation de kamikaze dans notre territoire, nous savions déjà à peu près de quoi se servait Boko Haram. Mais, c’est lors l’opération baptisée «Arrow Five» menée entre le 11 et le 14 février 2016 à Ngoshe, que nous avons effectivement établi que c’est du TATP et du HMTD que ces criminels utilisaient». Si les «ingrédients » sont connus, lʹassemblage dʹune ceinture explosive est autrement plus compliqué et nécessite un grand savoir-faire.

Selon des déclarations des présumées kamikazes exploitées au cours des enquêtes, la confection de «Çà» revenait à un homme: «Baba» (c’est le nom révélé au Bir par la kamikaze arrêté à Limani le 28 mars 2016, NDLR). Surfant entre Ngoshe et Gambaru, c’est lui qui avait une connaissance fine des dosages (principale difficulté dans la conception, puisque cela se joue au gramme près, selon les soldats camerounais).  

Profil

A Mora, le 21 septembre 2015, Cheikh Bachirou Adama s’est faufilé dans artères cervicales d’une kamikaze. Conscrits désignés pour faire partie dʹ«unités dʹattaques spéciales », les kamikazes avaient pour ordre dʹattaquer des cibles exclusivement militaires dans le cadre dʹune tactique précise de lʹétat-major de Boko Haram. Les images de celle que le Bir a neutralisée ici montrent une jeune fille souriante, sereine, au moment dʹaccomplir son ultime sacrifice.

A l’islamologue, elle a dévoilé que les filles qui partent sont entourées de prévenances: ultime coupe de sang humain (pour ne pas émousser leurs réflexes, apprend-on), chants musulmans composés par leurs mentors jamais loin des lieux d’explosions...

D’autres confessions font état des «la journée de prière». Une semaine avant une explosion, Boko Haram en avait fait un rituel dans sa base de Ngoshe. «Il semble que durant cette journée, un processus extrêmement pervers était à l’oeuvre et finissait par produire une perception et une description des êtres humains radicalement modifiées, ceux-ci devant être transformés de façon à paraître différents de ce que l’on perçoit d’eux normalement», analyse Cheikh Bachirou Adama.

Selon lui, «à écouter une kamikaze de Boko Haram, il y a lieu de dire qu’elle n’est née ni violente, ni terroriste, ni kamikaze, elle l’est devenue bien évidemment par la force d’une réalité complexe et doctrinale. Dans ce sens, «se kamikazer» est une dimension significative d’une innocente décidée de mourir, mais aussi, faire tomber des victimes selon des spectacles de violences au-delà de toute description. Grosso modo, devenir une bombe humaine et transformer les victimes en morceaux éparpillés dans un scénario sauvagement sanglant, voilà le résultat qu’envisageait Boko Haram».

Dans sa démarche, le groupe terroriste nigérian avait raffiné et ciselé les versets du Coran. C’est du moins ce qu’avait confirmé aux enquêteurs la jeune kamikaze rattrapée à Limani. Elle avait, rapporte-t-on, montré que chaque jour, la secte jihadiste lui montrait l’urgence qu’il y a à se faire exploser. Un enquêteur avait d’ailleurs retenu qu’à la petite fille, des hommes martelaient que «le temps qui te sépare de ton mariage (dans les cieux) est très court. Après, commence la vie heureuse, où Dieu est satisfait de toi, car le monde de la terre fonctionne sur des complots».

Cette maxime claquait. Elle a d’ailleurs amené certaines à se porter «candidates à la mort». Cela est vrai pour celles qui avaient explosé à Maroua en juillet 2015.

Endoctrinement

Entre les lignes, on voit les ressorts psychologiques d’une foi dans sa  version terroriste. «Cette foi-là est écartelée entre la religion et le fanatisme », glisse Cheikh Bachirou Adama. Il pense d’ailleurs que compte tenu de leurs mécanismes de défense précaires et de leur croissance inachevée, particulièrement en termes d’intelligence sociale et émotionnelle, on peut facilement imaginer ce qui peut se passer dans la tête d’une kamikaze qui s’apprête à actionner sa ceinture explosive.

«Je me souviens de celle de Mora qui m’a dit : ma famille me manque mais, si je rentre, je serai infidèle à Dieu et je serai battue. Dans cet enfer, où chacune rêve de paradis, les anges et les démons sont de deux côtés, alors, il faut se faire exploser. Ce qui est sûr, en tout cas, cʹest quʹelle savait quʹelle allait mourir, que sa vie terrestre nʹavait plus de valeur, a fortiori celle des autres». Ce discours fait écho aux «choses enseignées».

Parmi celles-ci, la kamikaze de Mora a dévoilé la vision que Boko Haram a du «Janat al Naim» (l’un des noms du paradis dans le Coran). «Je devais avoir là-bas tous les plaisirs, les nourritures variées, la boisson, les habits, le paysage et les espaces». En acceptant de venir se donner la mort au Cameroun, croyait-elle fermement, le «Bab al Salat» (l’une des 12 portes du paradis) lui serait ouvert. «Parce que y rentrent les musulmans qui prient. Surtout le «shahid» (martyr), qui tombe mort pour la réalisation de la voie dʹAllah, reçoit aussitôt lʹexpiation de tous ses péchés par le saignement dʹune goutte de sang, il est dispensé des douleurs de lʹenterrement».

Cela suppose que pendant le flash de l’explosion, tous ses restes deviennent invisibles parce «transportés» dans une apothéose de lumière. Aussi, le nombre de victimes causées par lʹattentat, ou lʹampleur de la destruction des bâtiments quʹil a entrainée, nʹest que lʹinstrument de mesure de lʹintensité de cette saturation ; en soi, elle nʹen forme quʹun des moyens - mais à aucun titre la fin. Ce dont il sʹagit, pour un kamikaze, cʹest de parvenir à ce que lʹimage de lʹattentat.  

Âge

De 6 à 15 ans, c’est la tranche d’âge des bambins que Boko Haram «envoyait », assure un agent de renseignement. «Ce choix n’est pas gratuit. Les terroristes préfèrent garder leurs combattants pour d’autres tâches, considérant souvent femmes et enfants comme négligeables. D’ailleurs, ces derniers attirent généralement moins l’attention. En effet, qui irait se méfier d’un bambin s’approchant d’un barrage militaire ?», s’interroge-t-il Au sein du groupe jihadiste nigérian, on l’avait compris: faute dʹadultes, chercher les recrues parmi les enfants.

Amenés de tous les bastions de la pauvreté, elles étaient détenues et entraînées par des hommes connus pour leur expertise et leur capacité à les «convertir en une demiheure ». Bien sûr, cela n’exigeait pas que les participants aient un certain âge. Selon les kamikazes stoppées à Mora et à Limani, elles doivent seulement avoir atteint l’âge de la puberté et être aptes mentalement.

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