Jean-Emmanuel Pondi : « L’Afrique ne doit pas être considérée comme une béquille des pays d’autres continents »
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Le professeur Jean-Emmanuel Pondi, spécialiste en Relations internationales, est diplômé, tour à tour, de l’Université d’État de Pennsylvanie aux États-Unis d’Amérique, de la London school of economics en Angleterre et de l’Université de Cambridge en Grande-Bretagne. Il s’est entretenu dernièrement avec Le Potentiel à Yaoundé au Cameroun.

Il a écrit plusieurs ouvrages dont « Du Zaïre au Congo démocratique, les fondements d’une crise »,  « L’Onu, vue d’Afrique » et « Thomas Sankara et l’émergence de l’Afrique au 21ème siècle », publié aux Éditions  Afric’Éveil et préfacé par la veuve Sankara, Mariam Sankara.

Dans ces ouvrages, il s’appesantit sur les atouts et les faiblesses de l’Afrique pour lesquels les Africains, est-il convaincu, sont  capables de renverser la vapeur. Dans cette première partie, Jean-Emmanuel Pondi parle du Zaïre de Mobutu et de la motivation qui l’a emmené à écrire « Du Zaïre au Congo démocratique, les fondements d’une crise ». Ci-dessous, la première partie de cet entretien.

Comment vous êtes-vous retrouvé à Kinshasa ?
Dans les  années 72-73, mon père était ambassadeur du Cameroun au Zaïre. C’est comme cela qu’on s’est retrouvé à Kinshasa où on a passé cinq bonnes années. À l’époque, le pays était sur le plan financier une puissance qui comptait suffisamment.

Le cuivre coûtait très cher sur la place mondiale. Un Zaïre-monnaie valait 1 dollar américain. Nous avons passé des années remarquables à Kinshasa. Il y avait beaucoup de dynamisme. Le Zaïre parlait pour l’Afrique et montrait la place de celle-ci dans le monde, sur la scène internationale. Notamment aux Nations unies où le président Mobutu a dit, par exemple : « Entre un ami et un frère, le choix est clair ». C’était une période assez faste.

Nous, nous habitions à Djelo/Binza, un quartier diplomatique où habitaient la plupart d’ambassadeurs.  Kinshasa était une ville qui nous étonnait par sa grandeur, sa majesté. En 1972, je ne sais pas s’il y avait en Afrique un pays dont la capitale comprenait 4 millions à 5 millions d’habitants. C’était énorme.

On avait remarqué aussi que, malgré l’immensité du pays, il y avait une grande cohésion entre les Zaïrois. On n’avait pas senti vraiment de tensions entre les enfants de ce pays. C’était remarquable pour tout le monde.

Combien de temps avez-vous passé à Kinshasa?
Papa avait fait cinq ans. Nous, nous venions en congé chaque année. Et j’avais passé une année. Après, je suis allé à l’étranger.

Je vous ai suivi lorsque vous parliez. Vous avez donné l’exemple d’un pays africain où un général a été nommé sans être à la hauteur. J’ai compris que vous parliez du Zaïre de Mobutu ?
Non. Je n’ai pas dit qu’il n’était pas à la hauteur. Mais il a plutôt dit qu’il n’était pas militaire. Ce qui était curieux. Lui-même nous l’a dit. Il n’a pas fait de formation militaire. Et qu’il se trouvait là par la force des choses. C’était très étonnant pour nous parce que c’était difficilement envisageable. C’était un jeune homme sincère. Il n’a pas caché que le métier des armes n’était pas tout à fait le sien.  C’était curieux quand même.

Qu’est-ce qui vous a beaucoup marqué à Kinshasa ?
C’est l’emprise … le choc entre deux volontés : la volonté d’être soi-même. À l’époque, on parlait de l’authenticité zaïroise. Mais aussi on sentait quand même le relent et la présence néanmoins visible de la Belgique.

À l’époque, il y avait beaucoup de clashes parce que, pendant les cinq années que nous avons passées là-bas, deux ambassadeurs de Belgique ont été faits persona non grata, c’est-à-dire qu’on les a expulsés du Zaïre pour des problèmes qu’ils avaient eus avec le président de l’époque. Donc, il y avait une tension quand même mais aussi une volonté de s’affirmer avant tout comme une puissance africaine.

Autre chose assez remarquable, c’est la vie sociale. Kinshasa était le lieu, sur le plan culturel, de l’expression, en particulier, musicale. Moi, j’ai assisté au tout premier concert d’Abeti Masikini sur le boulevard du 30 juin dans une salle de cinéma. Il y avait aussi de nouveaux groupes qui s’activaient sur la place.  Par exemple, au Rond-point Victoire, chaque samedi,  vous aviez une série de jeunes orchestres qui se produisaient. Ils étaient aussi éblouissants les uns que les autres.

Au point où on se demandait comment un pays peut produire tant de belles mélodies dans une seule contrée. C’était extraordinaire. Nous trouvions que le Zaïre était très doué sur ce plan-là. Il y avait aussi, par exemple, la Gécamines qui était pratiquement un Etat dans l’État. Avec une richesse à la limite insolente.  C’était ça le contraste, à l’époque.

Peut-on comprendre les raisons et souci qui vous ont animé pour la rédaction de votre ouvrage, « Du Zaïre au Congo démocratique, les fondements d’une crise » et quel est son contenu ?
Mon souci, c’est toujours d’essayer d’expliquer pourquoi les choses se passent comme elles se passent. Parce que j’ai constaté que, malheureusement, beaucoup d’Africains ne sont toujours pas très au fait de ce qui se passe en Afrique. Il faut le déplorer.

Notre travail, à nous précisément, est d’essayer de remédier à cela en produisant une connaissance vérifiable et fiable. Quand le régime Mobutu est tombé en juillet 1997, naturellement, cela a été un séisme. Parce que beaucoup de gens pensaient que c’était impossible. Que c’était un régime tellement ancré qu’il était soutenu par l’Occident, à tel point qu’il était impensable d’imaginer sa chute. Et celle-ci s’est produite. Mais la question a été de savoir pourquoi et comment ?

Le livre donne surtout les faits. Qu’est-ce que c’est le Zaïre ? Et pourquoi le Congo est, en fait, un pays symbole à la fois des problèmes et des potentiels de l’Afrique ? Je pense que tout cela se retrouve au cœur d’un même pays.

On voit très bien que le Zaïre de l’époque a été utilisé, mais pas pour les Zaïrois en tant que tels mais  surtout dans la grande guerre idéologique Est-Ouest. Il a été le suppôt fidèle des pays occidentaux, en particulier les États-Unis d’Amérique.

Et quand cette utilité n’a plus été évidente, comme un torchon, le régime et tout ce qui tenait pour être allié ont été jetés au bord du chemin. Pour moi, c’est une leçon sur laquelle il faut se pencher, réfléchir. Parce que l’Afrique ne doit pas être considérée comme une béquille d’autres continents ou d’autres pays de la planète.

Donc, il faut que nous ayons nos intérêts. Il faut que nous sachions les défendre et que nous puissions les identifier. Il faut que nous puissions être en mesure d’être ceux qui vont, eux-mêmes, porter nos intérêts sur la place du monde et être nos propres avocats.

Concernant la RDC, qui est également votre pays comme le Cameroun, quel regard portez-vous sur la crise dans ce pays ?
Je pense que les données du problème n’ont pas fondamentalement changé. Cela dans la mesure où la crise n’est pas bien comprise quand on n’y adjoint pas d’acteurs extra africains. C’est-à-dire que nous en sommes encore au point où, pour régler les problèmes en Afrique, il faut souvent comprendre les jeux des acteurs extra africains.

Pour ce qui est de la RDC, aujourd’hui, je pense qu’il y a eu beaucoup de changements à l’intérieur du pays. Mais le premier changement, pour moi, consisterait à comprendre que nous sommes tous des fils d’un même pays.  C’est-à-dire que ce qui doit passer avant toute chose, ce n’est pas l’intérêt individuel, personnel, ce n’est pas le parcours d’un individu.

Mais le patron de tous les politiciens, c’est le peuple. Je crois que c’est une donnée fondamentale. Une fois que chacun réfléchit ainsi, on est prêt à faire des compromis pour que l’ensemble du pays aille bien.

Ce qui me choque surtout, c’est qu’à bien regarder l’histoire de la RDC, depuis le 30 juin 1960, lorsque Patrice-Emery Lumumba a fait son discours le jour de l’indépendance où il a pris la parole de manière imprévue, il n’y a eu que quelques jours d’accalmie.

Mais ce qui doit frapper un Africain, c’est que ça soit au Congo-Léopoldville, au Zaïre ou en RDC, il n’y a jamais eu, un seul jour, l’arrêt de l’extraction du cuivre, du cobalt, du manganèse.

Par contre, en ce qui concerne la sécurité humaine, il y a eu toujours des dysfonctionnements. On a brûlé des villages, on a violé des femmes, etc. Cela veut dire que la sécurité humaine est moins importante que celle des biens et des choses. Je pense que les Africains doivent commencer à réfléchir sur cet aspect important. Comment se fait-il que les biens et les choses soient sécurisés à 100%.

Et comment se fait-il que les êtres humains aient une sécurité aléatoire et toujours remise en question. Je crois que, quand nous commençons à regarder les faits sous cet angle, nous commençons à comprendre que nous sommes, finalement, les dindons de la farce. Tout cela parce que nous avons accepté de l’être. Il faut que nous refusions cela et que nous remettions les choses à l’endroit.

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