Côte d'Ivoire: Quand  Guillaume Soro parle pour l’Histoire à Cyril Bensimon
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La parole politique est l’axe de l’action collective. Le pouvoir du politique et même de la politique est le dire du devenir commun, l’orientation proposée par l’acteur politique au vivre-ensemble. Tout un art de déplacer les montagnes du sens. A lire dans les lignes et à s’exercer à lire entre les lignes de la dernière interview accordée par le chef du parlement ivoirien au journaliste Cyril Bensimon le 17 juin 2016, on mesure la pleine importance de la responsabilité de parler, aux étapes cruciales du devenir d’une société donnée. Avec plus de vingt millions d’habitants, dans une Afrique de l’Ouest en ébullition et en mutations diverses, la Côte d’Ivoire, 40% de l’économie francophone de sa sous-région, est une terre-pivot pour l’ensemble des générations de ce 21ème siècle africain. Sa manière d’être organisée, gouvernée, pilotée vers l’avenir, déterminera le destin, non pas seulement de ses propres habitants, mais aussi de la sous-région ouest africaine, de l’Afrique émergente dans son ensemble, et de sa carte géopolitique en cette première moitié de siècle. Comme l’expérience des tragédies de la période 1990-2011 l’aura douloureusement établi, il y va aussi de la solidité de l’Afrique de l’ouest et de l’Afrique en général dans l’avenir proche et lointain de cette grande nation africaine. Non pas seulement grande par son rayonnement économique et géopolitique, mais aussi grande par l’africanité, la cosmopoliticité de sa population, le métissage africain et mondial dont son destin de « terre d’espérance, pays de l’hospitalité », est marqué. N’est-ce pas avec la conscience de l’importance et de la gravité des temps ivoiriens actuels que Guillaume Soro, sans langue de bois, a fait face aux questions de Cyril Bensimon ce 17 juin 2016 ?  Je me propose de revenir ici sur sept points essentiels de l’Interview, et de pointer du doigt les lignes directrices de la vision Soro qui en émergent.
 
Le différend aplani avec le Burkina Faso

Guillaume Soro, dans sa réponse, ne dévie pas d’un iota sur la ligne de défense adoptée dès la révélation de cette affaire en novembre 2015. La conviction première et permanente du chef du parlement ivoirien est l’évidence de son innocence et la vacuité des prétendues preuves brandies contre l’accusation, qui du reste s’est aujourd’hui dessaisie d’elle-même, quand elle a pris conscience de ses lacunes. Le Chef du parlement ivoirien, cependant, en homme d’Etat, s’en tient ici à la volonté diplomatique des deux exécutifs ivoirien et burkinabé, traduite par l’heureux apaisement des choses que l’on apprécie des deux côtés de la frontière fraternelle qui lie ces deux nations. Enfin, dans la miséricorde du ton de Guillaume Soro envers le principal artisan de cette cabale, Isaac Zida, tout comme dans la confiance que le président de l’assemblée nationale ivoirienne exprime envers son « ami et frère Salif Diallo », on ne peut que voir se manifester la volonté politique de transcender les frictions du passé, pour le co-développement harmonieux des deux pays. En effet, les priorités de la Côte d’Ivoire et du Burkina actuels sont : la gestion de leur poussée démographique exceptionnelle, la lutte contre la pauvreté massive des populations rurales et infra-urbaines, l’éducation et la formation des jeunes, la diversification de leurs économies, la lutte contre le terrible fléau de masse du chômage, la sécurisation des Etats face aux menaces géostratégiques communes, la construction de synergies efficaces entre les deux pays sur tous les plans afin de faire de l’Afrique de l’Ouest, un espace vital bénéfique à toutes ses populations, entre autres défis de même envergure.

Des ragots onusiens contre Guillaume Soro

La tranquillité légendaire de Guillaume Soro tient ici encore à la bonne conscience que lui procure le sentiment d’avoir toujours servi son pays avec abnégation et droiture. Soro classe clairement ces allégations dans la catégorie bien connue des ragots, dont raffolent certains experts onusiens aux compétences  et intentions suspectes. Qu’on lui attribue la détention d’un stock de trois cents tonnes d’armes et de munitions ou qu’on lui attribue la possession exclusive de la seconde puissance cacaoyère du monde, Guillaume Soro ne voit dans toute cette créativité de la calomnie qu’une manière bien maladroite de reconnaître qu’il est naturellement incontournable dans son pays. Les allégations délirantes, dans leur démesure et leur manque cruel de preuves objectives, discréditent dès lors ceux qui les profèrent comme ceux qui les répètent.
 
L’invitation sobre au respect du droit par la juge française Sabine Khéris

Le Chef du parlement ivoirien rappelle simplement à l’opinion que loin d’avoir voulu en quoi que ce soit, se soustraire à la justice française, sa posture n’a consisté qu’à exiger de la juge qui prétendait le convoquer dans le cadre de l’affaire Michel Gbagbo, le plein respect des procédures juridiques franco-ivoiriennes consacrées en ces cas de figure. Un parlementaire ivoirien, sur le sol français, est couvert par l’immunité diplomatique de son pays. Une juge française qui souhaite l’entendre doit dès lors procéder par une commission rogatoire, et se rendre dès lors près d’un magistrat ivoirien pour une éventuelle audition dudit parlementaire, si du reste l’assemblée nationale de Côte d’Ivoire en convient.  Guillaume Soro affirme donc, contre une certaine opinion mal informée, que la juge Sabine Khéris sera la bienvenue en Côte d’Ivoire, si telle est sa volonté. Mais Soro rappelle aussi in fine qu’il n’acceptera jamais de faire mépriser l’immunité diplomatique des officiels ivoiriens par quelque Etat étranger que ce soit. Ouverture d’esprit, mais fermeté dans la souveraineté donc.
 
A propos des procès Gbagbo et Blé Goudé à la CPI : fraternité et justice

Le chef du parlement ivoirien ne surprend ici que ceux qui ne le connaissent pas bien. Il affirme d’emblée que l’ex-président Laurent Gbagbo et son « général de la rue » Charles Blé Goudé sont ses frères et furent même ses amis les plus proches. C’est du reste cette fraternité et cette amitié premières qui explique que pour l’un comme pour l’autre, Guillaume Soro ait essentiellement voulu qu’advienne le meilleur et non le pire. N’est-ce pas Guillaume Soro, alors premier ministre de Laurent Gbagbo, qui prit la responsabilité de lui annoncer de prime abord qu’il avait perdu le second tour de l’élection présidentielle 2010 ? Traversant des haies de fusils et des rangées de chars, Soro se rendit à la résidence présidentielle pour dissuader Laurent Gbagbo de s’entêter à confisquer le pouvoir. Mieux encore, en ce qui concerne Blé Goudé, par plusieurs fois, Soro lui tendit la perche du retour à la lutte politique républicaine. Il ne voulut pas la saisir. Enfin, comment oublier que si les vies des Gbagbo et de Blé Goudé sont sauves, c’est bien parce que Guillaume Soro y a mis un point d’honneur inoubliable ?  Le procès de la CPI est légitime puisqu’il s’agit de déterminer la responsabilité de la tragédie postélectorale de 2010-2011. Et l’on voit clairement, rappelle Soro, que c’est celui qui s’est opposé à la souveraineté démocratique populaire et au droit international qui a provoqué la déflagration aux trois milles morts.  Cela étant, le second aspect de l’analyse de Guillaume Soro souligne sa confiance en la justice de la CPI, dont il sait qu’elle peut, si elle le jugeait opportun, décider d’élargir les deux prisonniers ivoiriens. On voit ainsi un Guillaume Soro prêt à recueillir, si cela était la décision des juges de La Haye, ses frères mais amis d’antan Laurent Gbagbo et Blé Goudé. Il faudra donc qu’on se souvienne longtemps de cette phrase de Guillaume Soro : «  La CPI est impartiale et si elle considère qu’ils sont innocents, ils pourront rentrer dans leur pays ».

A propos d’une convocation possible de Guillaume Soro à la CPI

L’argument de Soro est imparable. C’est parce que la communauté internationale et la CPI ont reconnu que c’est Laurent Gbagbo qui a fait basculer la Côte d’Ivoire dans la guerre en 2010-2011 qu’il y a été conduit pour être jugé. Vouloir dès lors faire porter le chapeau de la responsabilité de la crise à un tiers, ce serait une aberration qui disqualifierait gravement la CPI.  La crédibilité de la communauté internationale et de la CPI dans la gestion de la crise ivoirienne serait d’autant plus remise en cause que ce sont les mêmes instances, via la CEDEAO, l’UA et l’ONUCI, qui ont autorisé et cautionné le recours à la force pour rétablir la souveraineté du peuple de Côte d’Ivoire que menaçait le régime défait de Laurent Gbagbo. Comment le premier ministre, ministre de la défense du président de la république Alassane Ouattara, agissant avec la caution du droit international, avec l’accord et l’appui de la CEDEAO, de l’UA, de l’ONU, serait-il accusé au même titre que les forces usurpatrices du régime FPI  qu’il a contribué à stopper dans leur folie meurtrière ? La conviction d’avoir agi dans le respect du droit ivoirien et du droit international est donc  le fondement de la sérénité de Guillaume Soro.
 
Des morts de messieurs Tagro et Ibrahim Coulibaly

Ici encore, Guillaume Soro administre à l’opinion une piqûre de rappel des normes de la responsabilité politique. Les combats pour mettre fin à l’imposture du FPI à la tête de la Côte d’Ivoire ont été ordonnés par le Chef suprême et légitime des forces armées de Côte d’Ivoire, le président de la république Alassane Ouattara. Dans ces conditions de belligérance formellement déclarée, comment ignorer que de nombreux soldats des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire ont trouvé la mort, comme leurs ennemis des forces résiduelles restées au service de Laurent Gbagbo entre décembre 2010 et le avril 2011 au moins ? Comment s’étonner que des hommes aient pu  être blessés ou trouver la mort, dans les champs de bataille de la prise d’Abidjan ? Soro rappelle pour la gouverne de tous, que se déclarer sur les conditions de la mort de Messieurs Tagro et Ibrahim Coulibaly serait précoce dès lors qu’aucune enquête officielle n’a été menée sur celles-ci, survenues dans le contexte de belligérance formellement déclarée par l’Etat de Côte d’Ivoire envers tous ceux qui lui résisteraient illégitimement. Enfin, Soro nous administre un ultime rafraîchissement de mémoire : il ne lui est pas possible de témoigner des circonstances des morts de ces citoyens ivoiriens parce qu’il n’était ni à la résidence présidentielle (où Monsieur Tagro aurait été mortellement atteint), ni à Abobo (où Ibrahim Coulibaly a trouvé la mort). Le président Guillaume Soro rappelle donc l’opinion au respect des institutions de la république et de la probité du droit.

De la magistrature suprême de la Côte d’Ivoire après le président Alassane Ouattara

Le Chef du parlement ivoirien ne renie pas la carrure d’homme d’Etat que le journaliste Cyril Bensimon lui reconnaît d’emblée en abordant cette question sensible de l’après Alassane Ouattara. Mais méthodique et concis, Soro pose d’emblée une distinction conceptuelle importante entre ceux qui ambitionnent d’être président de la république et ceux qui peuvent accomplir les plus hautes missions de la république de Côte d’Ivoire.

L’ambitieux, bien souvent, est un usurpateur, un prétentieux qui n’a pas le coffre de la fonction vers laquelle il veut se précipiter. Il appartient au temps politique court. C’est un tacticien et non un stratège. Bien souvent, son CV politique est quasiment vierge. Aux heures les plus décisives de l’Histoire de son pays, l’ambitieux se planque dans les rangs arrières, laisse les risques et périls aux hommes de mission, espérant par la suite tirer les marrons du feu à leurs dépens.  L’ambitieux, mieux encore, a peur du peuple et l’ignore. Il compte être parachuté, coopté, proclamé vainqueur sans le moindre péril parce que triompher sans gloire est sa passion.  L’ambitieux se surestime donc, mais la réalité finit par le ramener, d’une manière ou d’une autre, à la raison.
Or Guillaume Soro le redit urbi et orbi à Cyril Bensimon. Il n’est pas un ambitieux, mais un homme de mission, un serviteur du peuple de Côte d’Ivoire, dans lequel il est profondément enraciné, immergé et engagé. L’homme de mission, véritable homme d’Etat, montre sur le temps long qu’il est capable de se sacrifier pour le bonheur de tous. Il a un CV politique épais, fait de hauts faits incontestables, d’endurance, de réalisations et de sacrifices incomparables avec tous les ambitieux qui rêvent de rivaliser avec lui. L’homme de mission est le politicien de la raison. Il sait d’où il vient, sait ce qu’il est et travaille à être à la hauteur des plus grandes espérances de son pays. Guillaume Soro, éminent homme de mission, aura amplement donné à voir ces qualités devant le peuple ivoirien, depuis ses 20 ans. Guillaume Soro rappelle que 24 années d’adversité, de luttes citoyennes pour l’égalité, mais aussi d’expérience de la quasi-totalité des plus hautes responsabilités de l’Etat, plaident pour le sérieux de sa posture d’homme d’Etat, résolument à la disposition de son peuple. On découvre ainsi à la fin de l’interview, un Guillaume Soro profondément à l’écoute de son peuple, dévoué à la continuité de l’émergence ivoirienne. Le passé politique éloquent de Guillaume Soro, loin de plaider pour une retraite, n’esquisse-t-il pas au contraire, la promesse d’une apothéose au faîte de la souveraineté populaire ivoirienne ? Le peuple de Côte d’Ivoire, et lui seul, en décidera un jour, avec en son âme et conscience, Guillaume Soro lui-même. Et lui de conclure : « J’ai encore beaucoup de ressources ».

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