Guillaume Soro, n°2 de l'Etat ivoirien, et ses milices sont armés jusqu'aux dents
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Selon un rapport de l’ONU, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne a acquis illégalement des armes, en violation de l'embargo international. Cet arsenal échappe au contrôle de l’État et est toujours entre les mains d'anciens chefs de guerre qui continuent de contrôler de larges parties du pays.

La liste des ennuis de Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire et ancien chef de la rébellion des Forces nouvelles, n’en finit pas de s’allonger : après le « putschgate » ou « Sorogate » de décembre 2015 et un mandat d’amener émis par une juge française, un rapport de l’ONU, publié le 4 avril 2016, révèle qu’il a constitué illégalement un arsenal militaire.

Le document a été établi par un panel d’experts que l'ONU avait mandatés pour surveiller l’embargo sur les armes et les diamants imposé à la Côte d’Ivoire. Il montre que la rébellion des Forces nouvelles, apparue en 2002 avec l’objectif de renverser le président Laurent Gbagbo, a profité de la crise postélectorale ivoirienne de 2010-2011 pour augmenter ses stocks d’armement.

Sous la direction de Soro, leur « secrétaire général », ces rebelles ont ainsi acquis 300 tonnes d’armes au lendemain de la crise, en violation de l’embargo. Les enquêteurs onusiens précisent : « Guillaume Soro s’est lui-même chargé de l’acquisition du matériel, de son transport jusqu’à Bouaké et Korhogo et de sa répartition entre membres des Forces nouvelles. » Pourtant, à l’époque, les Forces nouvelles n’existaient plus officiellement : elles avaient intégré les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), l’armée créée en mars 2011 par Alassane Ouattara, devenue depuis l’armée régulière de Côte d’Ivoire.

Pour faire ses achats, Soro a bénéficié de la complicité du patron du régiment de sécurité présidentielle du Burkina Faso de l’époque, le général Gilbert Diendéré, en prison depuis fin 2015 après un coup d’État raté. Le rapport de l’ONU rappelle au passage que le Burkina Faso a été pour les Forces nouvelles une source d’approvisionnement en armes, en munitions et en instructeurs. Ce qui est logique : avant d’attaquer la Côte d’Ivoire, en septembre 2002, cette rébellion était installée à Ouagadougou et bénéficiait du soutien logistique et financier des autorités du pays.

L’arsenal acquis par Soro représenterait 30 % du « matériel total actuellement en possession des forces armées » de Côte d’Ivoire et « n’est pas encore totalement sous le contrôle de l’armée ». Une partie a été placée à Korhogo (Nord), aux bons soins du lieutenant-colonel Martin Kouakou Fofié, un ex-chef de guerre des Forces nouvelles qui a la particularité d’être depuis 2006 sous sanctions de l’ONU pour crimes graves et d’avoir été le geôlier de Gbagbo pendant huit mois, après son arrestation le 11 avril 2011.

Détail noté par les experts à propos de « l’unité de protection rapprochée » du président de l’Assemblée nationale : elle possède des armes dont les numéros de série ou les marques d’usine ont été effacés « de manière délibérée afin d’empêcher d’en déterminer l’origine et le fournisseur ». En outre, les dix anciens « comzones » (pour « commandants de zone »), c’est-à-dire les dix ex-chefs militaires des Forces nouvelles qui ont contrôlé 60 % de la Côte d’Ivoire de 2002 à 2010, ont gardé chacun son matériel militaire. Et cela alors qu’ils occupent tous des positions de commandement au sein des FRCI. Leurs « armes, qui n’ont pas été déposées dans les armureries de l’État », échappent au contrôle de ce dernier, d’après les enquêteurs de l’ONU.

Cas particulier : le lieutenant-colonel Issiaka Ouattara, alias « Wattao », commandant en second de la Garde républicaine et ex-comzone, posséderait avec son frère, Morou Ouattara, dit « Commando Atchengue », une partie des armes appartenant officiellement à… la Garde républicaine. Ils détiendraient ainsi 10 % de l’arsenal militaire total du pays, dont des lance-roquettes RPG-7 et des mitrailleuses.

Les enquêteurs rappellent qu’au moins 16 500 anciens combattants pro-Ouattara de la guerre de 2011 n’ont toujours pas été démobilisés et que « de vastes quantités d’armes et de munitions n’ont toujours pas été retrouvées » depuis 2011. Ils ajoutent deux données importantes pour comprendre ce qui se passe dans la région, soumise ces derniers mois à des attaques de groupes armés :

  1. Des armes ont été transférées au Ghana et au Mali depuis la Côte d’Ivoire.
  2. Des munitions, utilisées lors de l’attaque des villes maliennes de Misseni et Fakola, en juin 2015, étaient identiques à celles trouvées en Côte d’Ivoire par le groupe d’experts. Ces actes terroristes avaient été revendiqués par le groupe armé islamiste Ansar Eddine. Le panel d’experts dit craindre « que les stocks d’armes qui se trouvent dans le nord de la Côte d’Ivoire ne soient détournés au profit de groupes armés illégaux ».

Soro est de plus en plus fragilisé sur la scène politique ivoirienne

Dans le rapport, le nom de Guillaume Soro, successeur constitutionnel de Ouattara en cas de vacance du pouvoir, est aussi évoqué à propos de l’exploitation illégale du gisement d’or de Gamina, dans l’ouest du pays. Trois sociétés sont impliquées, dont une est « dirigée par Ouattara Kaweli, ancien délégué des Forces nouvelles […] à Ferkessédougou et l’un des plus proches collaborateurs de M. Soro ». Les deux autres sont liées à la famille de l’ex-président burkinabé Blaise Compaoré, parrain des Forces nouvelles et réfugié en Côte d’Ivoire depuis 2014, après avoir été chassé du pouvoir.

Les enquêteurs de l’ONU relèvent une autre réalité, que les Ivoiriens connaissent bien : le « mode opératoire » des Forces nouvelles lorsqu’elles « contrôlaient le nord du pays a été étendu à tout le territoire ivoirien » depuis l’installation au pouvoir de Ouattara, en avril 2011. Ce modus operandi passe, entre autres, par « un système d’imposition parallèle, qui englobe toutes les activités des entreprises ainsi que la participation directe aux bénéfices procurés par la contrebande des ressources naturelles et par la vente de produits agricoles ».

Deux ex-comzones sont ainsi payés par de grandes entreprises d’extraction d’or contre une « protection » : Fofié et Losseni Fofana, dit « Loss ». Ce dernier, qui commandait les troupes FRCI responsables d’effroyables massacres dans la ville de Duékoué en 2011 (Ouest), est l’actuel chef de la brigade de sécurisation de l’Ouest.

Autre exemple donné par les enquêteurs pour illustrer la généralisation des méthodes des Forces nouvelles : celui d’un trafic de cacao, mis en place depuis plusieurs années dans le parc national du mont Péko (Ouest). Cette aire de 30 000 hectares est sous la coupe du capitaine FRCI Ouattara Polo, qui y organise l’exploitation et la commercialisation illégale de cacao : 20 000 hectares du parc ont été transformés en champs de cacaoyers, selon le rapport onusien. Environ 28 000 personnes, pour la plupart venues du Burkina Faso, vivent et travaillent dans ces plantations. Rackettés par les FRCI, ces planteurs illégaux produisent 10 000 tonnes de cacao chaque année, valant 28,4 millions de dollars. Les autorités ivoiriennes « semblent tolérer le système d’imposition illégal institué par le capitaine Ouattara Polo », qui lui rapporte 1,7 million de dollars par an.

Interrogé par Reuters, Guillaume Soro a rejeté les accusations des enquêteurs. Mais le rapport de ces derniers montre que les temps ont changé pour lui : il y a quelques années encore, son nom ne serait pas apparu dans un tel document émanant des Nations unies. La France, qui a un droit de regard et de censure sur le travail des experts, l’a longtemps protégé, empêchant que les crimes et trafics des rebelles ne soient trop exposés. Elle a par exemple fait en sorte que l’ONU cache longtemps un rapport montrant un réarmement massif des Forces nouvelles avant l’élection présidentielle ivoirienne de novembre 2010 : au lieu d’octobre 2010, il n'avait été publié que fin avril 2011. Soit 15 jours après la défaite de l’armée régulière de Côte d’Ivoire de l'époque, restée loyale à Gbagbo contre ces rebelles pro-Ouattara et l’armée française.

Si ce dernier rapport permet de comprendre que Soro est de plus en plus fragilisé sur la scène politique ivoirienne, il est bien sûr inquiétant pour l’avenir de la Côte d’Ivoire. Car il est évident que les ex-chefs de guerre mis en cause n’hésiteront pas à se servir de leurs armes le jour où ils estimeront leurs intérêts menacés.

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