Déby à bout de crédit
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Les vieux crocos sont fatigués. Mais pas au point, quand même, de raccrocher. Après le Congo- Brazza de Denis Sassou Nguesso, virtuose du « Un coup chaos », après le Niger de Mahamadou Issoufou, vainqueur d’un challenger embastillé puis hospitalisé, après Djibouti, où Ismaïl Omar Guelleh vient de terrasser une opposition atomisée, voici que la tournée Simulacre Electoral 2016  fait escale ce dimanche au Tchad. Suite de notre série « Tant que les sortants seront de sortie… »

Parvenu aux commandes au prix d’un coup d’Etat dès 1990, Idriss Déby Itno, alias IDI, 63 ans, y brigue un cinquième mandat. A vaincre sans péril : aucun de ses treize rivaux ne paraît en mesure de détrôner le président en exercice de l’Union africaine, même si quatre ou cinq d’entre eux peuvent miser sur la fidélité du fief natal. Le hic, c’est que tous ont, à un moment ou à un autre de leur carrière, servi le « Boss ». Figure de proue de la dissidence, Saleh Kebzabo, qui se désista en sa faveur lors du ballottage de 1996, fut un temps son ministre d’Etat à l’Agriculture. Naguère apparatchik du Mouvement patriotique du salut (MPS) au pouvoir, l’enfant du sérail Joseph Djimrangar Dadnadji a dirigé le gouvernement en 2013-2014. Ex-ambassadeur à Paris, Mahamat Ahmat Alhabo avait auparavant collectionné les portefeuilles. Quant à Laoukein Kourayo Médard, le prince de Moundou, il en détint deux avant d’accéder au poste de directeur général adjoint de la Société cotonnière du Tchad.

En dépit d’une santé précaire, qui lui vaut de fréquents checkups à l’Hôpital américain de Neuilly, le zaghawa Déby demeure avant tout un soldat, un Clausewitz subsaharien. Pour lui, la politique s’apparente bien à « la continuation de la guerre par d’autres moyens ». Nul doute que l’engagement, louable et décisif, de N’Djamena contre l’hydre djihadiste -tant au Mali dès janvier 2013 que face à Boko Haram, pourchassé au Cameroun, au Niger et au Nigeria même depuis 2015- aura conforté ce tropisme. Il offre en outre à IDI une précieuse rente de situation géopolitique et lui garantit la mansuétude de l’ex-puissance coloniale ; laquelle a installé le QG du dispositif sahélien Barkhane au cœur de l’ancienne Fort-Lamy. Si Paris a bien sauvé en 2008 le sceptre de son indocile allié, alors assiégé par une insurrection armée venue du Nord, l’ancien as du rezzou a depuis lors apuré sa dette.

Ciel sans nuage pour le fils de Berdoba ? Pas si vite. Bien sûr, la hantise du terrorisme -la capitale a été endeuillée à deux reprises l’an dernier- peut susciter au sein de l’électorat un réflexe légitimiste. Reste que l’harmattan de la contestation souffle au pays avec une vigueur inédite. Témoins, la manif lycéenne du 15 février, violemment dispersée par la police anti-émeute, la journée « ville morte » du 24, puis la grève générale décrétée un mois plus tard. Un abject « fait divers » aura catalysé la grogne : le viol collectif de Zouhoura, 16 ans, fille d’un opposant établi à Nancy depuis des lustres.

Viol perpétré par une bande de crétins nantis et désoeuvrés, fils de dignitaires du régime, dont trois rejetons de généraux ; avec, parmi les complices présumés, l’un des héritiers du ministre des Affaires étrangères. S’ils n’ont ni cœur ni cerveau, les intéressés détiennent des smartphones : furieux de la plainte que l’adolescente eut le courage de déposer, ils ont cru la discréditer en diffusant sur les réseaux sociaux des photos d’elle, dénudée et en larmes. Raté : cette infamie n’a fait qu’amplifier la colère. Et les autorités se sont vues contraintes d’interpeller, fût-ce pour la galerie, les membres du gang.

Bousculé par la rébellion civique et pacifique qu’orchestrent les collectifs « Ca suffit ! », « Trop c’est trop ! » et «  Iyina » -« On est fatigués » dans l’arabe dialectal du cru-, ainsi que l’Union des syndicats du Tchad, le pouvoir répond sur un mode pavlovien par la fuite en avant caporaliste et la répression, tant dans la rue que dans les prétoires. Le 7 avril, le procureur de la République de N’Djamena a ainsi requis, au terme d’une audience interdite aux médias, six mois de prison ferme à l’encontre d’une poignée d’animateurs de la société civile.

Coût de la vie, austérité, corruption : la fièvre couve aussi dans l’arène sociale et, loin d’être circonscrite au sud, traditionnellement frondeur, gagne le septentrion. Certes, le Tchad a rejoint en 2003 le club des puissances pétrolières. Mais si le pactole a permis de densifier le réseau routier, il a surtout financé l’achat d’armements dernier cri. Et le petit peuple – plus de 50% de la population sous le seuil de pauvreté, 70% d’analphabètes- ne hume que de très loin le parfum de l’or noir.

Au détour de son discours de campagne inaugural, le candidat Déby a juré de placer la lutte contre la misère au cœur de son action et promis « l’accès à l’eau, à une santé de qualité et au logement décent pour tous ». Déjà ? Pour celui qui, maître absolu d’un pouvoir clanique et prébendier, confisque les leviers de l’exécutif depuis un bon quart de siècle, il ne serait que temps.

Le MPS, parti à la dévotion du chef, a pour emblèmes le fusil d’assaut et la houe. Pour le fusil, on a vu. Mais la houe, c’est pour quand ?

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