LA MORT DE MONIQUE KOUMATE : UN MIROIR DE L’ETAT SAUVAGE AU CAMEROUN
CAMEROUN :: POINT DE VUE

LA MORT DE MONIQUE KOUMATE : UN MIROIR DE L’ETAT SAUVAGE AU CAMEROUN :: CAMEROON

Je souhaite m’incliner devant la mémoire de notre jeune sœur et compatriote Monique Koumate et ses deux jumeaux décédés à l’hôpital Laquintinie à Douala par négligence en raison de la précarité financière de sa famille.  

Je salue également le travail de sensibilisation de nos jeunes dans les media sociaux ainsi que le courage de nos journalistes qui ont pris à témoin le reste du monde sur le drame que vivent nos compatriotes au quotidien en raison du peu d’importance que notre gouvernement accorde aux conditions de vie et à la vie tout court de ses citoyens.

Lorsque j’étais plus jeune, le Zaire de Mobutu représentait l’épicentre de l’Etat Sauvage qui a pris racine en Afrique au lendemain des indépendances, avec une corruption endémique, la privatisation et la gangstérisation de l’Etat ainsi que la quasi-disparition des services de base aux citoyens (éducation, santé, etc).
 
J’étais loin de m’imaginer qu’en plein 21e siècle, le Cameroun allait reproduire à grande échelle ce schéma de l’Etat Sauvage, avec l’horreur, et le mépris souverain du peuple en plus. Au point de laisser mourir une femme et ses enfants, de réprimer les manifestations et de mettre aux arrêts la sœur de la victime dont le crime est d’avoir éventré sa sœur dans un acte de désespoir visant à suppléer aux manquements inacceptables des autorités et à sauver des vies humaines.

Le drame de la famille Koumate reflète le délabrement avancé des systèmes de santé au Cameroun lié à la négligence du secteur par les autorités sur plusieurs décennies. Alors que le Cameroun s’était engagé à porter la part du budget réservé à la santé à 15% du budget national en 2001 dans le cadre de la Déclaration d’Abuja sur l’avenir de la santé en Afrique, les dépenses de santé ne représentent que 5,5% du  budget 2016, soit un montant de 296 milliards FCFA sur un budget total de 4234 milliards, ce qui est largement inférieur à la moyenne de l’Afrique Sub-Saharienne.

Cette négligence s’est traduite par une baisse de l’espérance de vie, un taux de mortalité maternel ou des enfants de moins de 5 ans supérieur à la moyenne en Afrique Sub-Saharienne et un accès inégal aux soins. Selon le rapport « Cahiers Economiques du Cameroun » de la Banque mondiale publié en 2013, en ce qui concerne la mortalité maternelle, le Cameroun ferait pire que le Liberia, le Soudan, le Tchad et la République Centrafricaine. Au Cameroun, « la grossesse et l’accouchement restent des facteurs de forte mortalité, une femme mourant toutes les deux heures des complications d’une grossesse». En 2011, le nombre d’accouchements assistés par un professionnel restait faible (21,8%) dans l’Extrême Nord contre 93% dans le Littoral. En ce qui concerne la mortalité infantile, la Banque mondiale indique « qu’au cours des deux dernières décennies, le Cameroun est l’un des pays au monde où le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans a le moins diminué. Pour 1000 naissances vivantes, le Cameroun enregistre 122 décès contre une moyenne de 108 en Afrique Sub-Saharienne ».  
 
En refusant de soigner Monique, le corps médical a non seulement trahi le serment d’Hippocrate mais aussi mis à nu, une société sans normes, dominée par des monstres froids fabriqués par l’onction du décret, insensibles à la souffrance humaine et aveuglés par l’appât du gain qui les amène à enlever toute valeur à la vie humaine. Non, le Ministre Mama Fouda, le Directeur de l’hôpital Laquintinie et le personnel associé à la disparition tragique de Monique ne sont pas seuls dans le registre de l’incompétence et de l’ignominie. Ils ont des tentacules dans les autres domaines de la vie, politique, économique et sociale du pays. Ils sont le reflet de la faillite de notre mode de gouvernance, d’une absence de patriotisme et de dignité dans la sphère publique, d’une médiocratie à irresponsabilité illimitée et d’une culture politique où on ne rend compte qu’au Chef de l’Etat qui ne rend compte à personne. C’est cet héritage qui sera le plus difficile à éradiquer à la fin du Renouveau. Car le mal est profondément enraciné.

En réalité, Monique est morte parce que le Cameroun n’a aucune politique de santé publique et que le Président Biya ne choisit pas ses collaborateurs par rapport à leur capacité à résoudre les problèmes des camerounais, mais plutôt dans une logique patrimoniale de redistribution du gâteau et de préservation du pouvoir.

En raison de la navigation à vue dans la gestion du pays et le secteur médical en particulier, les médecins camerounais n’arrivent pas à gagner décemment leur vie tandis que des millions de leurs compatriotes meurent quotidiennement de maladies bénignes, faute d’accès aux soins.

Alors que nous avons largement plus de ressources que le Rwanda, ce pays a réussi à mettre en place un système d’assurance maladie universelle qui peut sauver la vie à des milliers de Monique Koumate. Dans de nombreux domaines, nous manquons de spécialistes alors qu’il y a des milliers d’excellents médecins camerounais qui exercent en Europe et aux Etats Unis.

En ce qui concerne la formation, les Ecoles de médecine comme le CUSS sont à la traîne par rapport à leurs concurrents d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Côte d’Ivoire) ou d’Afrique du Nord (Maroc, Tunisie, etc.). Gangrenées par le népotisme, la corruption et le tribalisme, nos grandes écoles sont devenues des instruments de reproduction de masse de serial killers mal formés, peu motivés, mal payés qui ont transformé nos hôpitaux en mouroirs.

Le plateau technique des hôpitaux publics est souvent exsangue et il y a peu de formations de recyclage permettant au personnel de se familiariser avec les innovations dans le secteur médical. Le système d’incitations récompense avant tout «les frères du village », « les fonctionnaires militants ou capables de monnayer l’accès aux postes de responsabilité» au détriment de l’intérêt général et du mérite. Faute de moyens, les cliniques privées ont un plateau technique et un savoir-faire souvent limité au strict minimum, ce qui peut en faire des armes de destruction massive.

Dans ce contexte, seule une infime partie de l’élite dirigeante est capable d’avoir accès aux soins de qualité à l’étranger grâce aux évacuations sanitaires aux frais du contribuable. Ceci amène les pauvres à subventionner les soins des riches tout en générant des sorties de capitaux colossales qui auraient pu aider à créer des emplois au Cameroun.  
         
Non, nous ne voulons plus pleurer tous les jours la disparition précoce de Monique Koumate, de Charles Ateba Eyene et d’autres milliers de jeunes happés par la mort à la fleur de l’âge, faute de soins adéquats ou de moyens financiers pour y accéder. Non, nous ne pouvons pas nous réclamer de Charlie à des milliers de kilomètres de nous et rester les bras croisés lorsque le malheur et l’horreur frappent à nos portes. La différence fondamentale entre l’homme et l’animal, c’est la capacité à identifier la nature des problèmes et à leur apporter une solution idoine.

Etant donné que les camerounais ne sauraient tous bénéficier des évacuations sanitaires à l’étranger, il est important qu’ils dépassent leurs différences pour réclamer un meilleur accès aux soins et la mise en place d’un système sanitaire de qualité pour leurs familles et eux-mêmes. Dans cette optique, la mobilisation initiée avec la mort de Monique doit aboutir à des changements concrets dans la vie quotidienne.

A court terme, la démission du Ministre de la Santé Publique, la révocation du Directeur de l’Hôpital et de ses collaborateurs et l’ouverture d’une enquête judiciaire pour sanctionner les manquements professionnels éventuels représentent un minimum pour apaiser les esprits.

A moyen terme, en plus du renforcement de la prévention, il est impératif de reconstruire un système de santé robuste avec un accent autour des points suivants: repositionnement du Cameroun comme un pôle d’excellence sous-régional, mise en place d’un système d’assurance maladie universel pour les couches les plus vulnérables, refonte des systèmes de formation initiale et continue, adoption d’un code de déontologie engageant la responsabilité pénale du médecin, modernisation du plateau technique et de la gestion des hôpitaux publics, meilleure gestion territoriale du personnel médical et utilisation des nouvelles technologies (télémédecine, incitations pour les zones rurales), audit technique des cliniques privées/ laboratoires et autres structures d’appui à la chaîne de santé en vue de fermer ou regrouper en polycliniques les structures ne répondant pas aux normes, adoption de normes de qualité plus strictes pour créer des cliniques, mise en place de mécanismes de financement novateurs de type crédit-bail pour permettre aux structures de santé de s’équiper à un coût supportable et, mise en place de critères de performance et de suivi pour évaluer les progrès réalisés par le pays en matière de santé publique.

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