Baleveng : Par ici les plaies inguérissables
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Dans cet hôpital de village dans la région de l’Ouest, les malades viennent de tous les coins de la république, pour faire soigner des plaies qui résistent à la guérison depuis parfois plus de 20 ans.

Dans nos villages, les plaies « inguérissables », on dira complexes pour la suite, sont l’objet de nombreux préjugés. On leur attribue des origines mystiques, du genre punition divine, mauvais sort, etc. Dans l’imaginaire populaire, les plaies sentent. En traversant le seuil de « l’hôpital des plaies de l’Ouest », en contrebas du carrefour Mbou, à Baleveng, au bord de la route P17 qui relie Bafoussam à Dschang, certains préparent leur nez à humer des odeurs nauséabondes. Que non ! Là, dans l’arrondissement de Nkong-Ni, à 15km de Dschang et à 40km de Bafoussam, des dizaines de malades envisagent dans la propreté et la sérénité, la fin de leur calvaire médical.

Opéré pour une biopsie à l’hôpital de Bingo, à côté de Bamenda, Emmanuel F. a mal été pris en charge par la suite. La blessure s’est compliquée. Depuis cinq semaines qu’il y suit des soins, l’os à problème guérit progressivement. La position assise le ruine physiquement mais son cas est de loin préférable à celui de ce sexagénaire venu de Limbé le 14 janvier 2016. Dans une chaise roulante, l’homme pousse un ouf de soulagement. Informés par des anciens malades de l’existence de cet hôpital, sa fille et sa cadette l’ont transporté ici. Il y a un an, il s’est blessé à la machette, au champ. La blessure, négligée puis mal soignée, ne guérit pas, malgré le passage dans des hôpitaux réputés. Il faudra une semaine pour apprécier la prise en charge reçue à l’arrivée à Baleveng. Mais « ça promet déjà», annonce pompeusement sa fille. Il n’est là que depuis trois jours.

Selon une infirmière de la « maison médicale de la solidarité de la Menoua », il en arrive ainsi des dizaines, chaque semaine. « Les patients gardent les plaies pendant longtemps. Beaucoup ne considèrent pas les ulcères des jambes comme des plaies. Ils arrivent après un long séjour chez les tradipraticiens. Or lorsque c’est pourri, il faut plus de temps. Six semaines suffisent pourtant pour la cicatrisation d’une plaie fraîche ». Selon la soignante, la moyenne d’âge des plaies prises en charge dans leur centre est de ... 12 ans. Dans ces cas, il faut d’abord vaincre la confusion des antibiotiques et la résistance de nombreuses bactéries. Malgré tout, le processus de cicatrisation aboutit. Pierre Simeu, 64 ans, originaire de Cheffou, à Baham, séjourne dans le centre depuis le 27 avril 2015. Au pied droit, il traîne une plaie depuis 20 ans. « J’avais seulement gratté un petit bouton sur ma cheville. L’endroit est devenu une plaie. Tous les traitements que j’ai pris à l’hôpital de district de Baham, de Bandjoun, à la léproserie de Baleng, à Libamba, Bafoussam et puis au Nord Ouest, n’ont donné aucun résultat satisfaisant.

Depuis mon arrivée, les choses évoluent bien », raconte l’homme qui garde néanmoins son embonpoint. Grand éleveur de porc, il a abandonné sa ferme pour chercher des soins, après que la peste a décimé un cheptel de 70 bêtes. Aidé par des amis, il dit avoir déboursé 148.000F pour sa prise en charge le premier mois et depuis lors, environ 50.000F chaque mois. « C’est un ancien malade guéri qui m’a appris que je pouvais trouver satisfaction ici. J’avoue que j’ai d’abord hésité. Depuis que je suis là, plusieurs malades ont retrouvé le plein usage de leurs membres. J’espère les suivre bientôt », soupire-t-il. A côté, un militaire venu de l’Extrême Nord sourit. Il dit avoir entendu parler de cet hôpital particulier à la télé, comme ces deux femmes qui viennent de la région de l’Est.

Un pari osé : renforcer les capacités locales d’intervention

Depuis près d’une décennie, cette clinique créée par le Dr. Romain Soumele s’attèle à donner espoir à ceux qui erraient avec des plaies dites inguérissables. Après avoir, plusieurs années durant, mis son expertise au service des patients français où il officie, ce médecin s’est engagé à venir en aide aux patients de son pays d’origine, souffrant de plaies complexes. En 2009, il crée la clinique des plaies de Baleveng. C’est la toute première au Cameroun, sinon en Afrique subsaharienne. « L’on intègre généralement le traitement des plaies dans la chirurgie mais en réalité, c’est un domaine entièrement à part. Pour l’heure au Cameroun, aucune structure n’est spécialisée dans le traitement des plaies complexes.

Aussi on attribue des causes mystiques à certaines plaies alors qu’elles sont toutes curables si la prise en charge de fait à temps », faisait-il savoir, lors d’un récent passage. Aux alentours de Perpignan, Dr Romain Soumele a réuni des amis au sein d’une organisation, « l’Association d’aide médicale au Cameroun », pour venir en aide à son pays, notamment dans les volets formation du personnel médical et prise en charge des plaies chroniques. En très peu d’années, l’hôpital de Baleveng est devenu une référence dans la prise en charge des plaies chroniques. Du 29 novembre au 6 décembre 2015, il a ouvert les portes de sa clinique aux patients venant de tous les coins du pays. Aidé par des experts des plaies complexes venus de France, dont des membres de l’association francophone des plaies et cicatrisation, Romain Soumélé a également expérimenté les nouvelles technologies, précisément la télémédecine, dans la prise en charge des personnes souffrant de plaies chroniques.

Plusieurs références mondiales en traitement des plaies complexes ont été mises à contribution : Luc Téot, chirurgien réparateur comme Sylvie Meaune, en service au Centre hospitalier universitaire (Chu) de Montpellier et à l’hôpital de Rotschild à Paris. Le 1er décembre, il a, pour la première fois au Cameroun, pratiqué avec succès la télémédecine sur des patients porteurs de plaies chroniques, en partenariat avec le Chru de Montpellier. Pour la circonstance, de grands moyens humains et technologiques : un médecin spécialiste des plaies et cicatrisation, une infirmière anesthésiste, un ingénieur de télémédecine et un journaliste français ; des appareils et les nouvelles technologies dont la connexion Internet. « Nos malades ont compris qu’on ne raconte pas des histoires.

On leur a parlé en direct depuis Montpellier. De là, on nous a donné des consignes et des conseils sur certains patients sur lesquels l’équipe avait un petit doute. Ce qui fait que nous avons même commencé à opérer certains patients sur lesquels on ne voulait pas prendre des risques», se félicite l’initiateur du projet. La présence de ces experts lui a permis de renforcer les capacités du personnel en service dans cette formation hospitalière. A partir de Baleveng, on pourrait envisager un échantillon d’experts qui dans les prochaines années, s’installeront dans le reste du Cameroun, pour constituer un réseau de spécialistes en plaies. Seulement, les moyens font défaut. « Beaucoup de gens que j’ai rencontrés au début ont été surpris et me prenaient pour quelqu’un qui disait des choses qui ne pouvaient pas tenir. On disait que mon projet n’était pas réalisable.

Mais partant d’une petite expérience de l’Europe et surtout en rencontrant les quatre ou cinq premiers malades qui sont venus ici à Baleveng, j’ai compris que les malades portant des plaies chroniques ne sortaient pas uniquement de Bafou ou de Baleveng. Ils pouvaient être cachés dans d’autres régions du Cameroun. Et de bouche à oreille, quand les gens ont su que cet hôpital existe, ils ont commencé à sortir de leur cachette. (...) En tout cas, c’est une nécessité aujourd’hui et la preuve est là que de plus en plus on est sollicité. Sauf que je n’ai pas les moyens de la politique que j’ai envie de mener », s’inquiétait-il, avant de retourner à son boulot en France.

Bloc opératoire

En effet, pour fonctionner de manière optimale, le centre a besoin des ressources humaines, des moyens financiers et du matériel adéquat. Déjà, pour ce genre d’hôpital, l’eau courante n’est pas disponible partout. Pour l’heure, une équipe opérationnelle de 10 personnes, composée des infirmiers diplômés d’Etat, aides soignants et agents communautaires s’occupent des malades. Les statistiques montrent qu’ils sont dépassés. Le taux de fréquentation journalier est estimé à 40 patients. Ce qui, bien calculé, fait un minimum de 600 pansements à faire tous les mois. A notre passage, le 17 janvier 2016, une trentaine de malades était internée.

Une autre trentaine, en mode ambulatoire, est faite de gens qui viennent faire leurs pansements et rentrent à la maison. L’hôpital nécessite d’être modernisé. « Il faut être capable de recevoir tous les malades car ceux qui arrivent ici sont souvent marginalisés dans d’autres structures parce qu’ils n’ont pas de moyens ou ont perdu l’espoir de guérir. Ils se sentent mal aimés, mal considérés par certains praticiens », expose une infirmière. La satisfaction des malades en cours de guérison n’empêche pas de remarquer qu’il manque un bloc opératoire. « Il faut un bloc opératoire pour faire de la détection large des plaies sous anesthésie générale.

Pour l’instant, nous opérons dans la promiscuité. Nous avons besoin d’un service de radiologie et d’imagerie médicale pour ne plus renvoyer vers Bafoussam des patients qui ont fait des heures de route pour être-là », ajoute-telle. « L’hôpital des plaies » travaille en collaboration avec des hôpitaux importants, comme l’hôpital régional de Bafoussam ou les hôpitaux de Yaoundé. Sans crainte, les praticiens de l’hôpital de district de Dschang et de l’hôpital missionnaire de Bingo y transfèrent les malades.

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